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Phil Read, le prince aux 7 couronnes

À une époque où l'on ne débutait en Grand Prix qu'une fois adulte, et où le championnat était endeuillé chaque année par de dramatiques accidents, réussir à étendre une carrière mondiale sur 16 ans était un petit exploit. C'est ce que réalisa Phil Read, en menant plusieurs luttes parallèles pour les titres et en coiffant la couronne à sept reprises.

Phil Read, MV Augusta

Les Grands Prix moto ont perdu cette année l'un de leurs plus grands champions. L'un de ces noms teintés de légende qui, avec le temps, tendent à devenir quelque peu impersonnels pour les nouvelles générations, malgré leur récurrence dans les palmarès et les statistiques d'un championnat né pratiquement avec eux. Phil Read était septuple Champion du monde, et pourtant l'hommage officiel auquel il a eu droit à sa mort a été bien trop modeste (une minute de silence dans une salle de presse) pour véritablement faire honneur à ses années de succès et à ce qu'il a incarné en son temps.

La carrière mondiale du pilote anglais, né en 1939, s'est étendue sur 16 ans, à une époque où la pratique de la compétition était bien différente de celle d'aujourd'hui. Comme tant d'autres, il a été engagé dans quatre catégories, disputant souvent deux courses le même week-end, et durant ces années 1960 et 70 ses adversaires se sont appelés tour à tour Mike Hailwood, Barry Sheene et, bien sûr, Giacomo Agostini, son grand rival.

Au sortir de la guerre, Phil Read était d'abord un adolescent comme tant d'autres, qui s'est fait la main au guidon d'une Matchless et s'est pris de passion pour la conduite. Mais à 17 ans, cette passion le conduisit à disputer une première course, puis une autre, et voilà qu'il parvint à s'engager sur l'épreuve incontournable pour tout Britannique souhaitant atteindre le plus haut niveau de la course moto : le TT de l'île de Man.

C'est là, en 1961, que tout débuta, la légendaire et redoutée épreuve britannique faisant encore partie à l'époque du calendrier des Grands Prix mondiaux. Il avait alors 22 ans et cherchait à se faire remarquer après avoir vécu sa passion de façon amateure jusque-là et avec une réussite toute relative. Ingénieur de formation, ce n'est pas dans les bureaux qu'il se voyait vivre, mais bien sur les pistes. Au TT, il côtoyait soudain de grands noms et la chance lui sourit : avec sa Norton Manx privée, il tira son épingle du jeu lorsque Mike Hailwood ou Gary Hocking, tous deux Champions du monde, connurent des casses mécaniques, et il remporta le Junior TT, catégorie 350cc. La victoire d'un Anglais inconnu sur une machine anglaise au Man, cela ne passait pas inaperçu !

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Durant deux ans, on l'aperçut lors de quelques courses en 125cc, en 350cc donc, et déjà dans la catégorie reine des 500cc. Mais tout s'accéléra lorsque le téléphone sonna pour lui proposer de remplacer Derek Minter, blessé, dans la nouvelle équipe de Geoff Duke (oui, la star des années 1950) pour la saison 1963. Le voilà bel et bien engagé en Championnat du monde, et avec sa Gilera il obtint la troisième place du TT, cette fois dans la classe Senior où s'imposa Hailwood.

Très vite, il poursuivit son ascension, jusqu'à devenir pilote officiel Yamaha en 1964, appelé à remplacer un autre blessé, l'Américain Don Vesco, ce qui fit de lui le premier pilote européen à représenter officiellement la marque d'Iwata. Et d'emblée, trois ans après ses premières piges, il devint Champion du monde en quart de litre avec sa RD56. Il remporta plus de la moitié des courses de sa catégorie cette saison-là, la première étant le GP de France, sur un circuit de Charade qu'il mettrait un point d'honneur à défendre bien des années plus tard lorsque la piste auvergnate eut tant besoin d'un peu de soutien, et il parvint également à jouer la gagne en 500c au point de finir dans le trio de tête du championnat.

La saison suivante, Read défendit à la perfection sa couronne en remportant sept des neuf courses 250cc au programme et en montant sur la deuxième marche du podium lors des deux autres épreuves, principalement opposé à son coéquipier Mike Duff et à Jim Redman sur la Honda. Cette année-là, on le revit également au palmarès du TT, cette fois en 125cc alors qu'il se battit aussi pour la victoire en 250cc et 350cc.

1965 était l'année d'une véritable démonstration pour Phil Read. La saison suivante, trop d'abandons l'éloignèrent du titre face à Hailwood, magistral. Puis en 1966, ce dernier réédita son succès, mais en le battant cette fois de très peu. Il fallut en effet départager les deux Anglais au nombre de victoires (Hailwood en avait une de plus), alors qu'ils étaient à égalité de points nets, à savoir les sept meilleurs scores retenus par le règlement. Si les points bruts avaient été totalisés, c'est bien Read qui aurait été sacré, mais il n'était pas question alors de comptabiliser l'ensemble des résultats. Autres temps...

Cette époque était aussi celle d'une confrontation ardue entre Honda (Hailwood) et Yamaha (Read), chaque clan tentant de prendre l'ascendant grâce à des développements techniques − parfois coûteux en fiabilité, cependant − et au travail groupé des pilotes de la marque. Le départ de Honda des petites catégories en 1968 allait faciliter la tâche de Yamaha sur le premier point. Quant au second, il allait mener à un épisode peu glorieux.

L'affaire de 1968

Alors que la lutte contre son coéquipier Bill Ivy s'était faite de plus en plus intense, Phil Read reçut en effet la consigne de la part de Yamaha de laisser le titre 250cc à son acolyte tandis que celui de la catégorie 125cc lui était promis. La marque était sur le point de se retirer l'année suivante et ce couronnement équilibré aurait dû clore de la plus belle des manières une phase de domination…

On assista alors à des scènes improbables, comme lorsqu'Ivy s'arrêta à l'approche de l'arrivée du Junior TT 125cc, qu'il menait, pour demander autour de lui comment était le classement… Un arrêt inopiné qui permit à Read de l'emporter ! Au Sachsenring, Ivy gagna la course 250cc mais Read challengea son coéquipier jusqu'à passer l'arrivée avec seulement un dixième de retard, alors qu'il avait, supposèrent les journalistes, la marge nécessaire pour s'échapper.

À la course suivante, à Brno, Read fut assuré du titre 125cc, et cette fois il ne céda pas et s'imposa également en quart de litre, devant son coéquipier. Le message était clair : il n'allait pas offrir ce championnat. Il décrocha un nouveau doublé lors du GP suivant, en Finlande, alors qu'Ivy était touché par une casse, avant la situation inverse au GP d'Ulster. Il ne restait alors plus qu'une manche, à Monza, et l'issue fut encore plus incroyable : les deux coéquipiers terminaient la saison à égalité de points, qu'il s'agisse des totaux nets ou bruts, et avec exactement les mêmes résultats ! C'est donc sur tapis vert, et à la faveur des temps de course cumulés, que Read remporta le titre, provoquant l'amertume d'Ivy, qui avait, lui, respecté le deal passé avec la direction de l'équipe.

Phil Read en 1970

Phil Read en 1970

Moralement, la carrière de Phil Read allait restée entachée par cette saison, et la mort de son ancien coéquipier quelques mois plus tard n'arrangea pas le souvenir terni de ce titre. Engagé de façon plus sporadique durant les années qui suivirent avec une Yamaha privée, il fit son véritable retour en remportant un nouveau titre 250cc en 1971, un exploit pour un pilote non officiel. On le vit aussi au guidon d'une Ducati au Grand Prix des Nations 500cc, et puis coup de théâtre en 1972 : MV Agusta l'associa à Giacomo Agostini en 350cc ! C'était le début d'une nouvelle légende…

Le Prince face au Roi

Read était alors pleinement de retour et désormais associé à la star Agostini pour défendre les couleurs du constructeur italien, notamment dans la catégorie 500cc qu'il n'avait pas beaucoup connue depuis une dizaine d'années. Ago avait jusqu'ici régné en maître et n'était pas franchement disposé à se faire challenger en interne.

Les deux adversaires peinèrent à cohabiter, d'autant que les tensions étaient fortes également entre l'Italien et la nouvelle direction depuis le décès du comte Domenico Agusta et que la balance pencha en faveur de l'Anglais. Finalement battu au championnat après sept titres 500cc consécutifs (!), le Roi Ago finit par rejoindre à son tour Yamaha en 1974, laissant Read, nouveau champion, en terrain conquis chez MV Agusta.

Difficile à l'époque de réussir à se faire une place dans un championnat qui n'avait d'yeux que pour un héros de la stature d'Agostini, mais face au "roi", Read se tailla tout de même une légende à lui, celle du "prince de la vitesse". Cette consécration enfin arrivée dans la catégorie reine fit de lui le premier à réaliser le triplé de couronnes 125cc, 250cc et 500cc, ce que Valentino Rossi et Marc Márquez rééditeraient bien des années plus tard (avec pour l'Espagnol le Moto2 comme catégorie intermédiaire).

Phil Read au Grand Prix de Suède 1975

Ce titre de 1973 et le suivant qu'il décrocha furent les deux derniers de MV Agusta. La saison 1974 marqua alors la fin d'une ère, puisque si la marque italienne empocha ce nouveau titre et réalisa même le doublé chez les pilotes avec le coéquipier de Read, Gianfranco Bonera, deuxième, elle perdit la couronne chez les constructeurs au profit de Yamaha. Encore en lutte pour le titre en 1975, Read s'inclina cette fois face à Agostini, et avec le retrait de MV sa carrière touchait désormais à sa fin. Il fit encore quelques apparitions en Grand Prix sur une Suzuki, puis se montra dans d'autres disciplines avant de disputer un ultime TT à 43 ans (il en aura remporté huit !) et de profiter d'une retraite bien méritée.

De Phil Read, il allait rester ce surnom de Prince de la vitesse, mais aussi une réputation écornée par l'affaire de 1968. Le temps a fait son œuvre et il s'est par la suite refait une morale dans le paddock, où il aimait à rendre des visites amicales à l'heure où il était devenu un papi très gentleman. Il était l'un de ces témoins si précieux de l'époque du Continental Circus, aussi mythique pour ceux qui en ont vu le film en salle que pour ceux qui arpentaient les circuits et y croisaient ces coureurs si souvent confrontés aux drames. Une époque hors cadre, où un Phil Read fut capable de prendre le départ d'une course 500cc avec sa Yam' 250cc en échappant à tout contrôle ! Une époque, aussi, où les pilotes se sont peu à peu dissociés de la génération précédente, celle des premiers Grands Prix, pour offrir des luttes plus acharnées entre eux, sans doute alimentées par la gloire que l'on réservait à ceux qui parvenaient à émerger. Il fallait une sacrée dose de talent, une grande témérité, pas mal de chance aussi sans doute, pour s'en sortir à la fois indemne et à la tête d'un des plus grands palmarès de ce sport.

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