Poids des pilotes : faut-il légiférer pour rééquilibrer les luttes ?

En MotoGP comme en WorldSBK, les pilotes les plus grands se disent désavantagés par leur poids et sont contraints de suivre des régimes stricts tout en évitant la prise de masse musculaire. Ils appellent les instances dirigeantes à imposer un poids minimum.

Aleix Espargaro, Aprilia Racing Team

Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images

Le poids est souvent qualifié de pire ennemi de la performance dans les sports mécaniques. Chaque gramme perdu est synonyme de gain en vitesse, même lorsqu'un poids minimum est imposé puisque les gains effectués permettent de peaufiner la répartition des masses ou d'abaisser le centre de gravité. Cette quête d'allégement permanent peut aussi avoir des conséquences sur la vie des pilotes, contraints d'éviter toute prise de graisse ou de muscle superflue, et parfois de surveiller au quotidien ce qu'affiche la balance.

En Formule 1, les pilotes ont été incités à s'affiner autant que possible jusqu'à ce qu'un règlement ne fixe un poids minimum à l'ensemble comprenant le baquet et le pilote, afin de ne pas pénaliser les plus grands, par nature plus lourds. Si un pilote est en dessous de la limite, des lests sont ajoutés à son baquet en compensation. Sur deux roues, le Moto2 impose que le pilote et sa machine atteignent au minimum 217 kg tandis qu'en MotoGP et en WorldSBK, seule la masse des machines est codifiée, laissant de côté la question de la santé des concurrents, mais aussi l'avantage des plus légers.

Ce débat n'a rien de nouveau dans le monde de la moto, le poids plume de Dani Pedrosa ayant souvent été mis en avant dans les discussions sur ses performances, et il avait été relancé par Danilo Petrucci, qui se sentait particulièrement désavantagé par sa relative lourdeur au cours de ses dernières saisons en catégorie reine. Du haut de son 1m84, Luca Marini fait son maximum pour rester sous la barre des 70 kg et estime qu'imposer un poids minimum aurait "énormément" de sens.

"C'est incroyable qu'ils ne l'aient pas instauré plus tôt en MotoGP, je ne sais pas pourquoi", a même commenté le pilote VR46, reconnaissant être "strict" dans son entraînement et son régime, la différence avec d'autres pilotes Ducati pouvant approcher les 10 kg. "Je pense que c'est quelque chose de très 'démocratique'. Pourquoi un pilote lourd devrait-il être pénalisé pour quelque chose qui est tout simplement sa nature ? Ça n'a pas de sens, selon moi. Je pense que ce serait mieux pour tout le monde d'avoir un poids minimum. Et ça vaut même pour les autres pilotes : ils pourraient peut-être s'entraîner plus et mettre plus de poids et de muscles. La saison prochaine, l'effort sera encore plus important et les pilotes les plus petits pourraient avoir un avantage, à mon avis."

Sur le plan technique, Luca Marini estime que le poids est surtout l'ennemi des pneus, ce qu'il a dû prendre en compte dans son pilotage en course : "Sur de nombreuses pistes, on sent et on a analysé que je sollicitais plus les pneus car avec plus de kilos il faut mettre plus d'énergie sur les pneus pour accélérer de la même façon. Ce n'est pas qu'on perd de l'accélération, au final on ne perd rien ; sur les données, l'accélération est la même, mais on met plus d'énergie sur les pneus et il faut donc être très prudent, surtout avec le pneu arrière car on ne veut pas trop le solliciter. En début de saison, je me souviens que j'ai fini mon pneu arrière dans de nombreuses courses et c'est une chose sur laquelle on a beaucoup travaillé et maintenant on est très compétitifs, je suis l'un de ceux qui utilisent le moins le pneu arrière, ce qui est très bien."

Malgré ces constatations, le règlement reste pour le moment inchangé et des changements à court terme semblent peu probables car si le sujet a été abordé en Commission de sécurité en MotoGP, Marini n'a pas reçu le soutien escompté : "C'est parce que les constructeurs ne veulent pas l'instaurer. Ils veulent que ça reste comme ça et continuer comme ça, ne pas avoir à penser à où ils placeront les kilos [de lest], le poids, s’ils ont des petits pilotes, parce que ça peut peut-être affecter le comportement de la moto."

Luca Marini, VR46 Racing Team

Luca Marini

Un débat vif en WorldSBK

Du côté du WorldSBK, la question a tourné à la polémique ces dernières semaines, dans un championnat remporté par Álvaro Bautista, d'un gabarit bien moins imposant que ses rivaux Toprak Razgatlioglu et Jonathan Rea. Jugeant le sujet tabou pour les prétendants au titre, qui prendraient le risque de passer pour de mauvais perdants en s'exprimant, Scott Redding a souhaité endosser le rôle de porte-voix et a évoqué le sujet à plusieurs reprises. Dans un long message publié sur Instagram, il a expliqué pourquoi ses concurrents plus légers étaient selon lui favorisés, sans jamais citer Bautista mais avec des vidéos du pilote Ducati pour étayer son propos, et des arguments similaires à ceux de Marini concernant la gestion des pneus.

"Un pilote beaucoup plus petit aura un avantage en ligne droite, en général de 0"2 à 0"4", a écrit Redding, qui affiche près de 30 kg de plus que Bautista sur la balance. "Cela ne vous paraît peut-être pas immense mais quand dix pilotes se tiennent en une seconde, ces 0"2 en ligne droite sont une belle protection. En plus du gain en vitesse, un pilote plus léger ne consommera pas autant de gomme qu'un pilote plus lourd. En fin de course, la partie la plus critique, les pilotes plus légers auront plus d'adhérence que les autres, et donc plus de chances de victoire. [...] Je pense qu'il faut que ce soit le plus juste possible pour tous les pilotes. Je vais probablement recevoir beaucoup de commentaires haineux, ça me va parce que quelqu'un doit prendre la parole."

 

Les membres du WorldSBK ont été nombreux à réagir à ce message. Si Loriz Baz a "approuvé à 200%" les propos de Redding, Chaz Davies, retraité depuis un an et devenu coach des pilotes Ducati, a pris la défense du Champion 2022 : "Si on enlevait Álvaro Bautista de l'équation, est-ce qu'on parlerait de ça ? Non", a assuré l'Anglais. "Les autres pilotes 'légers' sur la même moto ne sont pas capables d'exploiter le package aussi bien."

Visiblement agacé par les débats dont il était la cible, Álvaro Bautista a estimé que les pilotes se sentant désavantagés oubliaient de mentionner que leur poids était souvent synonyme d'une masse musculaire plus importante, ce qui était selon lui susceptible de rééquilibrer la situation. "Limitons également la force..." a ironisé l'Espagnol. "Les pilotes les plus légers ont moins de force pour déplacer la moto et piloter en courbe, mais ce n'est pas un problème pour les grands pilotes et ceux qui sont presque des bodybuilders... Donc si on met une limite d'un côté, il faut mettre une autre limite de l'autre côté."

"Je pense qu'il est plus important de se concentrer sur ses points forts et d'essayer de minimiser ses faiblesses, mais il est plus simple de trouver des excuses externes que de travailler dur et d'accepter la réalité. C'est la première fois de ma carrière que je vois des pilotes se plaindre du poids des autres."

Il est absurde d'essayer de nier que quand on pèse moins, on a un avantage.

Aleix Espargaró

Pour Luca Marini, cet argument n'est pas véritablement recevable puisque les plus grands ne peuvent pas se permettre d'être très musclés, au risque d'accentuer leur désavantage : "J'ai lu que Bautista dit [...] que les pilotes plus lourds ont plus de force, mais à mon avis c'est faux parce qu'en réalité un pilote plus lourd doit s'entraîner pour peser le moins possible et il ne peut donc pas prendre beaucoup de masse et avoir plus de force. Alors je n'ai pas compris sa réponse. À mon avis, un pilote plus léger peut s'entraîner pour avoir plus de force tandis qu'un pilote plus lourd ne peut pas s'entraîner pour avoir plus de force car il doit s'entraîner pour peser le moins possible."

Chez Aprilia, Aleix Espargaró est devenu l'un des pilotes les plus fins du plateau, aidé par sa pratique acharnée du cyclisme qui favorise le maintien d'une telle ligne. Le Catalan va dans le sens de Luca Marini et confirme éviter toute prise de masse musculaire. "J'ai toujours fait partie des pilotes les plus grands", a rappelé Espargaró, qui mesure 1m80. "Je fais un régime de dingue, quand je pars en vacances je prends 5 kg en une semaine parce que pendant la saison je mange très peu. Maintenant on entend certains pilotes Superbike qui disent que quand on pèse plus on a plus de force… Mais, franchement, quand on pèse moins la moto va plus vite, c'est clair ! Et Luca a raison, ça n'est pas vrai non plus que les plus grands ont plus de force. Ça n'est pas vrai. Moi, je ne porte même pas mon fils !"

Aleix Espargaro, Aprilia Racing Team, avec des fans

Aleix Espargaró est l'un des pilotes les plus fins du MotoGP

"Je n'ai pas fait de poids depuis cinq ans, si je vais en salle avec mon frère [Pol], il soulève trois fois plus de poids que moi ; il fait 10 cm de moins, alors il peut faire beaucoup plus de muscle. Moi non. J'ai très peu de force. J'ai un bras de cycliste, petit, parce que je ne peux pas faire [de poids]. Mais ça a toujours été comme ça, je suis habitué à être tout le temps au régime. Mais il est absurde d'essayer de nier que quand on pèse moins, on a un avantage. Je suis bien d'accord avec Luca."

Un équilibre difficile à trouver

Imposer un poids minimum ne permettrait peut-être pas de résoudre totalement l'équation. Les 217 kg du Moto2 cumulant la machine et le pilote restent très restrictifs et Augusto Fernández, titré dans la catégorie en 2022, se sentait particulièrement défavorisé par son 1m81. La KTM qu'il pilotera en MotoGP exigeant plus de force physique, il va se permettre de changer de régime après avoir particulièrement souffert durant ses six saisons en Moto2, mais en continuant à surveiller son poids de près.

"Je vais manger un peu plus qu'en Moto2 mais pas beaucoup", a confié le pilote Tech3. "Je ne veux pas prendre beaucoup de poids parce que je suis assez grand. Je veux juste ne pas avoir faim parce qu'en Moto2 parfois mes dîners n'étaient pas suffisants. Maintenant, je vais juste avoir un régime sain et être suffisamment fort pour le MotoGP parce qu'il faudra l'être." 

"En Moto2, je n'avais parfois pas pleinement d'énergie mais je préférais ne pas aller à la limite de la moto et peser un peu moins", a ajouté Fernández. "Ça a été comme ça toute l'année, et à présent je ne dois plus manquer d'énergie et je dois bien me préparer, en motocross et tout ça." 

En Moto2, Luca Marini se permettait d'être 4 kg au-dessus de la limite mais il est selon lui "plus difficile" de se permettre une telle liberté en MotoGP. Imposer un poids trop faible ne changerait donc rien à la situation, mais placer la barre trop haut se ferait au détriment de l'autre partie du plateau. "Évidemment ça ne doit pas être un poids minimal excessif qui pourrait limiter les pilotes trop légers", a précisé Marini. "Il faut que ce soit quelque chose qui nivelle encore plus le championnat et enlève une autre variable importante."

"Mais simplement, ça n'est pas à nous les pilotes de faire changer les règles", a estimé l'Italien. "Ça doit être l'organisateur simplement parce que c'est quelque chose de plus juste pour tout le monde, ça n'est pas pour apporter un avantage ou un désavantage à qui que ce soit. Si j'avais été trop léger j'aurais peut-être moi aussi fait la guerre pour que ça ne change pas. Mais étant donné qu'il y a [cette règle] dans toutes les catégories, tous les autres sports, pourquoi ne devrait-il pas y avoir cela en MotoGP ?"

Avec Charlotte Guerdoux et Léna Buffa

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