Le MotoGP réticent à freiner le développement en faveur du spectacle
Malgré les commentaires de plusieurs pilotes inquiets de l'influence néfaste de l'aérodynamique sur les dépassements, la Dorna et plusieurs constructeurs ne souhaitent pas donner la prédominance au spectacle sur les innovations techniques.
Le MotoGP vit un paradoxe. Jamais les écarts entre les six constructeurs n'ont été si faibles, jamais les prétendants au podium n'ont été si nombreux, mais les dépassements paraissent plus difficiles que par le passé, au point de parfois nuire au spectacle. La convergence des performances est naturellement susceptible d'avoir réduit les marges permettant de faire la différence mais les pilotes ont mis en avant plusieurs éléments techniques pour expliquer la situation actuelle, entre la surchauffe du pneu avant dans le trafic, ce qui vient limiter les performances, et une aérodynamique de plus en plus aboutie et donc de plus en plus sensible quand un pilote est dans le sillage d'un rival, le privant de la vitesse nécessaire pour doubler.
"Les dépassements sont très difficiles en MotoGP parce que les motos sont très rapides en ligne droite et très précises avec l'aérodynamique", a déclaré à Crash.net Danilo Petrucci, qui a perçu l'évolution de la catégorie au cours de la dernière décennie avant de rejoindre le MotoAmerica cette année. "C'est particulièrement difficile de doubler parce que l'aérodynamique n'aide pas quand on est à l'aspiration : on ne sent pas un avantage, on perçoit plutôt un désavantage au freinage. Il faut sortir de la trajectoire pour tenter un dépassement, parce que si on freine derrière un pilote, on n'a pas 'l'air' pour nous ralentir."
"Ces petites choses rendent les qualifications beaucoup plus importantes, il faut partir d'une bonne position et après il faut avoir le meilleur pneu possible pour les dix derniers tours. On ne peut donc pas solliciter les pneus dans des dépassements, en essayant de freiner plus tard ou en poussant plus sur le pneu arrière. C'est plus difficile tous les ans."
Face à ce constat partagé par plusieurs pilotes aujourd'hui présents dans la catégorie, faudra-t-il prendre en compte le spectacle dans la rédaction des futurs règlements techniques et freiner ainsi la course au développement aérodynamique ? Carmelo Ezpeleta, promoteur du championnat, ne semble pas faire de cette question une priorité. "Les courses sont ainsi et si [le manque de dépassements en fin d'épreuve] n'est pas une coïncidence, je n'ai aucune influence sur ça", a expliqué le grand patron de la Dorna au quotidien espagnol As, précisant que les changements décidés par le passé avaient pour but de limiter les dépenses et pas d'influencer le spectacle. Sa volonté n'a pas changé : "Nous ne modifierons pas les motos pour augmenter le nombre de dépassements".
Interrogé par Motociclismo.es, Ezpeleta s'est montré plus ouvert et a souligné que les instances dirigeantes "pensaient déjà à 2027", quand un nouveau cycle contractuel liant constructeurs et équipes au championnat débutera. "Entre maintenant et 2026, [...] rien ne changera, sauf s'il y a une unanimité [entre les participants]", a-t-il néanmoins prévenu.
Circulez, y'a rien à voir !
Pour le moment, cette unanimité semble plus facile à trouver du côté de la proposition inverse, à savoir le maintien d'une course à l'armement technologique sans véritablement prendre en compte ses effets sur les dépassements. Chez Ducati, toujours à la pointe pour des innovations comme les ailerons et le holeshot device, on estime d'ailleurs que rien ne prouve que la sophistication des machines actuelles puisse avoir une influence sur le spectacle en piste.
"Selon nous, la technologie ou de nouveaux devices sur les motos – comme on a pu en discuter vis à vis de l'aérodynamique ou du holeshot device – sont très similaires à ceux de l'an dernier donc je ne le vois pas comme un vrai problème concernant le fait que les courses soient moins spectaculaires", a déclaré Paolo Ciabatti, directeur sportif du constructeur, au cours d'une conférence de presse à Assen.
"Bien sûr, on a vu moins de dépassements sur certains circuits que ce à quoi on était habitués mais je pense que ça n'a pas de grand rapport avec le développement de la moto car je ne pense pas qu'il y a de grosses différences avec les machines que l'on avait l'an dernier. On a vu des courses spectaculaires [en 2021] comme Aragón, entre Bagnaia et Márquez, qui était l'un des meilleurs spectacles des dernières années en MotoGP, et les motos ne sont pas très différentes aujourd'hui."
Pour mettre en avant son propos, Ciabatti a également cité le duel des derniers tours à Austin, entre Marc Márquez et Fabio Quartararo, et le patron de ce dernier, Maio Meregalli, est allé dans le sens de son compatriote. "Je partage en grande partie le point de vue de Paolo", a déclaré le team manager de l'équipe Yamaha officielle. "Oui, ces dernières années nous avons introduit beaucoup de dispositifs mais les ailerons et l'électronique apportent plus de sécurité au pilote. Comme chez Ducati, notre moto est assez proche de celle de l'an dernier et je ne partage pas le point de vue selon lequel les courses seraient moins fun cette année."
On peut donner notre opinion, tout le monde en a une mais c'est au championnat, aussi aux constructeurs mais surtout au championnat, de comprendre la voie qu'ils veulent prendre.
Marc Márquez
Les analyses associant le développement des motos à une diminution du nombre de dépassements ne sont-elles vraiment qu'une vue de l'esprit, fruit d'un biais de perception ? L'objectivité des constructeurs reste discutable car la course à l'innovation est l'un des moyens de faire la différence face à la concurrence. Du côté des pilotes, Marc Márquez juge la situation "difficile" et s'il se prononce en faveur d'une certaine part de technologie, il estime que c'est aux instances dirigeantes de définir un cap.
"C'est impossible d'avoir une décision unanime car, comme toujours, on est dans une compétition donc ceux qui ont un meilleur moteur veulent [garder] une bonne vitesse de pointe, ceux qui ont une bonne aérodynamique veulent continuer avec l'aérodynamique, ceux qui ont un bon système de holeshot ou de device arrière veulent continuer avec donc c'est impossible d'être unanimes", expliquait le champion espagnol avant de s'éloigner des circuits pour être opéré du bras droit. "Mais ce n'est pas notre travail. On peut donner notre opinion, tout le monde en a une mais c'est au championnat, aussi aux constructeurs mais surtout au championnat, de comprendre la voie qu'ils veulent prendre. S'ils veulent toujours plus de prototypes ou faire un peu attention au spectacle avec des dépassements et des courses groupées."
Marc Márquez a eu de grandes difficultés à doubler Jack Miller à Jerez
"Moi je suis d'accord, je considère qu'un minimum d'aérodynamique est nécessaire car on pilote très vite et c'est plus sûr. C'est nécessaire d'avoir un minimum sur la moto. On a besoin de traction control, on a besoin d'aérodynamique mais il faut [trouver] la voie qui permette de faire des règles claires, ce qui n'est pas simple. Peut-être des limitations car sinon on ne cesse d'être chaque fois plus rapides mais les gens devant leur télé ne réalisent pas qu'on est une demi-seconde plus rapides ou une demi-seconde plus lents dans un virage."
"Ils réalisent qu'il y a des dépassements comme à Estoril en Superbike ou qu'il y a je ne sais pas combien de dépassements pendant la course, 10 ou 15 entre Johnny [Rea] et Toprak [Razgatlioglu]. C'est ce que j'ai aimé regarder d'Estoril par exemple, depuis mon canapé. Il faut comprendre pour l'avenir mais ce n'est pas simple de trouver un compromis entre les constructeurs, les pilotes et le championnat."
Andrea Dovizioso s'est plusieurs fois plaint de la sensibilité des machines actuelles au freinage, qu'il attribue à l'importance prise par l'aérodynamique, le holeshot device et l'électronique. Et même si la FIM a décidé de limiter l'utilisation des variateurs de hauteur pour 2023, l'Italien se montre fataliste pour les prochaines saisons, tous les signes convergeant vers une prédominance de la technologie.
"C'est vers ça que va le MotoGP, depuis des années", a souligné Dovizioso. "Le MotoGP a énormément changé ces dernières années et est devenu beaucoup plus [axée sur] l'ingénierie. En conséquence, des ingénieurs de ce calibre sont plus utiles au MotoGP d'aujourd'hui que par le passé. Les MotoGP sont devenues comme ça, c'est la raison pour laquelle je dis que le MotoGP a changé. Les motos se pilotent différemment, il y a tellement plus d'aspects différents qui aident le pilote dans le pilotage parce que plus d'ingénieurs ont pris en main le projet et ils travaillent sur cet aspect. Ça fonctionne, et que ça plaise ou non, le MotoGP est comme ça aujourd'hui."
Avec Charlotte Guerdoux
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