Analyse

Donner ou prendre le sillage : entre aubaine, tolérance et nécessité !

Prendre le sillage d'un rival pour gagner en performance... ou être celui qui est accroché et donne, de son plein gré ou non, un avantage à un concurrent. Le sujet n'a pas pas fini de faire parler, mais crée en tout cas des dynamiques intéressantes entre les pilotes du plateau MotoGP.

Fabio Quartararo, Yamaha Factory Racing

Fabio Quartararo, Yamaha Factory Racing

Gold and Goose / Motorsport Images

Prendre la roue d'un autre pilote : de l'aveu même de ceux qui pratiquent la ruse pour comprendre des choses sur ceux qu'ils poursuivent ou tenter de profiter de la forme de ceux-ci pour eux-mêmes réaliser un chrono performant, mieux vaut se trouver en position de devoir éviter d'avoir recours à cette démarche. Néanmoins, la fin justifie parfois les moyens, et au sein d'un plateau MotoGP de plus en plus serré et compétitif, soumis à un programme très tendu chaque week-end pendant les séances, certains doivent bien – ponctuellement ou régulièrement – s'aider d'un rival en piste pour optimiser leurs propres performances, bien souvent à contrecœur.

Et alors qu'il hérisse parfois les poils des fans, observateurs ou membres des équipes, le sujet semble moins agacer une bonne partie des pilotes qui savent que cela fait non seulement partie du jeu, mais qu'ils peuvent tous, tour à tour, eux-mêmes être amenés à profiter un jour de ce phénomène. Le thème a été particulièrement commenté récemment par différents protagonistes, après plusieurs épisodes distincts.

Johann Zarco, par exemple, assume parfaitement sa démarche mise en place plusieurs fois au cours du week-end catalan derrière Fabio Quartararo. Celui qui devient peu à peu la référence absolue en termes de rythme au guidon de sa Yamaha sur l'ensemble des tracés en ce début de saison 2021 est intéressant à suivre en essais libres pour son compatriote de l'équipe Pramac Racing. Celui-ci tolère par ailleurs que ce soit le cas.

Interrogé sur le déroulé de sa journée de vendredi en Catalogne, Zarco a ainsi immédiatement avoué avoir pu signer son meilleur temps des EL2, qui représenta par la suite un ticket d'accès direct à la Q2, grâce aux quelques dixièmes gagnés directement en suivant Quartararo dans son tour rapide. C'est humblement, et en attribuant le crédit au Niçois, qu'il expliquait ainsi : "Sur les deux derniers tours, on s’est rendu compte que suivre Fabio était d’une grande aide pour être premier, pour faire un 1'39"2. Seul, j’aurais été dans le top dix… 1'39"6, 1'39"7, ou 1'39"8 était possible. Mais être capable de suivre Fabio sur un tour rapide, à la fin, était plutôt intéressant... On a bénéficié d'un bon timing. Je suis sorti, j’ai vu au dernier moment que Fabio sortait aussi : nous ne l’avions pas vu parce que mon box est loin du sien. Donc c’était un bon timing. J’ai été chanceux qu’il pousse sur ses derniers tours, car ça m’a aidé à performer."

Une inspiration pour ramener du feedback au box ?

Au-delà de la performance immédiate acquise sur le tour en question, Zarco en disait long sur ce que peut apporter le fait de suivre un pilote lancé en plein time-attack dans un moment crucial du week-end. "Pour voir de jolies choses et faire des commentaires afin de développer la moto", commentait-il, rappelant qu'il avait pu bénéficier de la même chance au Mugello. Décortiquer le comportement d'un pilote dans des circonstances moins tendues qu'en course, où se suivre est commun, permet d'en apprendre beaucoup et de revenir dans le box avec des commentaires pour les ingénieurs.

Si je suis seul, il est difficile de juger si la vitesse est bonne.

Johann Zarco

"On voit très bien que sa moto semble moins nerveuse en sortie de virage", expliquait par exemple Zarco au sujet de la Yamaha de Quartararo. "Est-ce que c’est de la prise de virage ou du grip ? On voit que lorsqu’il accélère, moi, au lieu d’aller vers l’avant, je glisse et je vais vers l’extérieur. C’est là que le suivre m’a permis de gagner des mètres, en m’accrochant, sans trop aller à l’extérieur. Si je suis seul, il est difficile de juger si la vitesse est bonne. C'est dans ce domaine, au Mugello, qu’il a été fort, alors que pour moi, au fur et à mesure des tours, ça devenait délicat. Et c’est là encore qu'il a cette force, à Barcelone. En étant seul, il enchaîne deux bons chronos : je n’étais pas le seul à accrocher sa roue mais je suis le seul, peut-être, à être resté proche de lui."

Les avis diffèrent néanmoins sur le sujet. Plutôt pessimiste, Pol Espargaró déteste constater être dans le besoin de prendre la roue de quelqu'un pour espérer réaliser une performance. Selon lui, cet artifice n'est qu'une illusion qui sert dans des nécessités immédiates mais n'apporte aucune solution, contrairement à ce que suggère Zarco. La fierté en prend également un coup.

"On doit suivre quelqu'un parce qu'on n'est pas rapides, parce que la moto n'est pas prête à faire des chronos seule. C'est la vérité", estime-t-il, amer d'en être réduit à cela. "Les pilotes tentent tout pour essayer d'être rapides. Je déteste ça, je n'aime pas suivre quelqu'un, parce que quand on est contraint de faire ça, on est obligé de faire comme [l'autre] : on ne peut pas être détendu, adopter son propre style de pilotage ou s'améliorer. On fait juste ce que celui de devant fait. Il n'y a pas de progrès à ce niveau, il y a juste le chrono, mais c'est trop superficiel. On doit améliorer la situation, et suivre un pilote n'est pas la solution. Mais c'est ce qu'on est contraint de faire en ce moment. On traverse cette situation, et suivre un pilote est une possibilité… que je déteste."

Quartararo, en tout cas, n'est pas irrité d'être une cible à laquelle s'accrocher. La camaraderie existant actuellement entre le leader du championnat, Zarco et Miller, trois des hommes forts de ce début de saison, et leur manière proche de voir les choses sur les principes régulant les relations entre les pilotes en piste et en dehors permettent une atmosphère détendue entre eux sur le sujet.

Un grapin lancé en cas de difficultés, même pour les meilleurs

De son côté, tout Champion du monde qu'il est, Marc Márquez est actuellement à la peine et retrouve ses sensations physiques en piste au guidon d'une Honda difficile. Une situation que comprend très bien Jack Miller, qui ne s'émeut ainsi pas d'avoir vu l'Espagnol lui prendre la roue pendant de longs kilomètres pour tenter de s'extraire de la Q1, samedi, après avoir déjà suivi la Ducati en EL vendredi.

L'Australien s'en amuse et il a glissé en plusieurs occasions quelques références au sujet durant le week-end, rappelant avec dérision que ce petit service serait monétisé. Reste que la camaraderie et la solidarité étaient évidentes entre Miller et Márquez dans le tour de décélération, le champion sachant bien quel service son pair, pilotant pourtant pour une autre équipe factory, venait de lui rendre. On en fut quitte pour un beau geste en piste entre les deux hommes.

L'ironie finale de la situation aura finalement été que c'est Pol Espargaró, lui aussi dans le sillage des deux hommes et utilisant l'aspiration de manière un peu plus discrète, qui coiffa finalement sur le fil sa qualification pour la Q2, excluant Márquez, avant de véritablement se montrer à la peine lors du reste de la séance…

Accepter d'être pris en aspi, "un état d'esprit"

Lors de la conférence de presse post-qualifications de Barcelone, il était ainsi demandé avec humour à Miller combien allait être facturé le dépannage de Márquez. "La première aspiration est gratuite !" s'est esclaffé le pilote Ducati. "Cela ne m'a pas dérangé : c'est un état d'esprit. Si tu sors en ne pensant qu'aux gars qui sont derrière, tu as déjà perdu."

"Le plus important dans cette situation, je pense, est quelque chose que j'ai appris au fil des années : il faut se concentrer sur son propre travail, sur ce que l'on fait… et c'est tout ! S'il y a un autre gars derrière moi, c'est comme ça. Et s'ils sont trois, c'est comme ça : je ne peux pas contrôler ça et au final, c'est un monde libre et il fait ce qu'il veut. Mais on en a plaisanté. On s'est tous retrouvé dans cette situation. Bon, peut-être pas Fabio ! [rires] Mais on l'a tous vécu et je sais que ce n'est pas facile. Je me suis retrouvé dans cette situation, où il faut un petit quelque chose en plus, donc bon…"

On s'est tous retrouvé dans cette situation et je sais que ce n'est pas facile.

Jack Miller

Philosophe face aux difficultés de Márquez, qui avait brillement réussi à prendre sa roue et à se hisser en Q2 à ses dépens au Mugello, Maverick Viñales l'avait aussi été, du moins devant les micros. En piste, le pilote Yamaha avait paru s'agacer de la prise de roue systématique de Márquez dans son sillage et il avait perdu sa concentration, focalisant celle-ci sur son poursuivant… avant de finalement noter devant les médias qu'aucun pilote ne souhaite avoir recours à ce genre de procédé et qu'il comprenait et acceptait que cela fasse partie du jeu, portant également la responsabilité de son élimination à son propre camp.

"[Il ne m'a] pas vraiment dérangé. Je savais que Marc était derrière, mais je savais aussi qu'en faisant un bon tour, j'allais pouvoir accéder à la Q2. Je n'étais pas assez rapide, c'est tout. Il ne m'a pas dérangé. Il a très bien joué, c'est tout", avait-il déclaré.

Ceux à qui ce genre de choses fait finalement le moins plaisir semblent être les grands pontes des équipes, qui goûtent peu à ces combines et les voient plus comme de l'anti-sportivité de la part de ceux qui en usent qu'une validation de leur propre forme par leurs rivaux. C'est le cas de Massimo Meregalli, team manager Yamaha, qui s'était montré moins compréhensif que Viñales et n'avait pas mâché ses mots sur la retransmission TV officielle. "Marc Márquez a l'air d'aller de mieux en mieux, parce qu'il commence à se comporter comme il avait l'habitude de le faire. Et je pense vraiment qu'il a fait quelque chose d'inapproprié… Je ne veux pas finir ce que j'aimerais vraiment dire. J'espère que la direction de course va décider quelque chose, parce que pour moi ce n'est pas un comportement fair-play, c'est tout !"

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