Analyse

Pourquoi le titre de Bagnaia n'a pas moins de valeur que celui de Stoner

D'aucuns croient bon de dévaluer le titre de Pecco Bagnaia sous prétexte de la puissance du clan Ducati dans le championnat actuel. Mais malgré la supériorité affichée par la Desmosedici, le contexte dans lequel ce deuxième titre a été conquis par le groupe italien devrait pousser à témoigner la même reconnaissance à Bagnaia qu'à Casey Stoner, le premier à avoir été titré avec Ducati en 2007.

Le champion du monde MotoGP Francesco Bagnaia, Ducati Team

Photo de: Ducati Corse

Dans le sport, les chiffres sont généralement le reflet le plus fidèle de la réalité, et ceux qu'affiche Ducati à son tableau de chasse cette année soulignent sans équivoque la domination exercée par la machine italienne sur le championnat. Douze victoires en 20 courses, 32 places occupées sur le podium, mais aussi 16 pole positions et des premières lignes, voire des top 5, verrouillés à huit reprises sur la grille de départ… Telles sont les statistiques impressionnantes du constructeur italien sur l'ensemble de cette saison 2022, sa meilleure en MotoGP.

Marque la plus représentée sur le plateau cette année, Ducati a pu compter sur la force de son groupe en ayant placé trois pilotes différents dans le groupe des vainqueurs, six au total sur le podium et sept en pole position. Il serait toutefois très réducteur d'en déduire que le titre remporté par Pecco Bagnaia découle plus du mérite de la moto que du pilote lui-même. Car si les statistiques témoignent aisément de la supériorité de la Desmosedici, d'autres éléments invitent à placer ce sacre au même niveau que celui de Casey Stoner, le premier décroché par Ducati il y a 15 ans.

La force du groupe a pu jouer dans la manière dont les réglages pouvaient être affûtés grâce au partage d'informations, ou encore dans la place moindre laissée à la concurrence, tant on a pu voir les Ducati se multiplier aux avant-postes. Mais encore fallait-il être celui qui pourrait sortir du lot, celui qui aurait la ressource pour gommer un retard de 91 points à mi-saison (du jamais-vu pour un champion) et boucler près de 40% des tours en tête, monter sur le podium lors de la moitié des courses et cumuler sept victoires.

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En 2007, Stoner avait remporté le titre en glanant dix victoires et cinq pole positions au guidon de la GP7. Parmi tous les membres du clan Ducati présents à Valence pour assister au couronnement de Bagnaia, le plus à même de comparer ce titre avec celui rapporté par l'Australien est assurément Christian Gabarrini, ingénieur du champion cette année comme il y a 15 ans. Et il est impossible pour lui de choisir. "Il n'y en a pas un meilleur que l'autre. Au fond, ce sont deux pilotes très forts, très différents l'un de l'autre", note-t-il auprès de Sky Sport Italia, lui qui a su opérer aussi bien aux côtés d'un Stoner instinctif, qui secouait un box, et du calme Bagnaia, qui intériorise tant ses émotions et ses doutes.

Mais personne ne sait mieux que Christian Gabarrini à quel point le contexte de ces deux titres est différent. Il faut dire que, d'un point de vue technique, les deux époques n'ont pas grand-chose de comparable. Stoner a été titré l'année où la catégorie reine est passée de moteur de 990cc à 800cc, or une révolution d'une telle ampleur dans le règlement technique ouvre toujours une porte dans une discipline, dans laquelle peuvent s'engouffrer des vainqueurs surprises. C'est d'autant plus vrai lorsqu'ils font figure d'outsider, n'ayant rien à perdre. À l'époque, Ducati a pris des risques en concevant une moto dont la principale force était l'énorme puissance, à laquelle il fallait ensuite réussir à associer un pilote capable de la maîtriser.

Stoner scored Ducati's first riders' title of the MotoGP era in 2007 following a major rule change

Casey Stoner est resté pendant 15 ans le seul à avoir pu mener Ducati vers le titre pilotes en MotoGP

Il faut également rappeler qu'à l'époque l'utilisation de l'électronique était libre et que le MotoGP était encore le théâtre d'une concurrence dans la fourniture de pneus, ce qui pouvait engendrer une certaine inégalité entre les clients de Michelin (les Honda et Yamaha officielles notamment) et ceux de Bridgestone (les Ducati entre autres). Sans que tout cela ne soit nécessairement en faveur de Ducati sur le papier, la situation était en tout cas beaucoup plus propice au fait qu'une marque puisse ainsi faire la différence puisque de nombreux éléments pouvaient varier d'un projet à l'autre. Dans la situation actuelle, la fourniture pneumatique et l'utilisation de l'électronique sont standardisées et c'est dans d'autres domaines, de plus en plus restreints, qu'il faut aller chercher la singularité. Si Ducati se distingue aujourd'hui, c'est notamment par son ingéniosité dans le développement aérodynamique, l'un des principaux éléments donnant sa personnalité à la Desmosedici.

Plus un outsider, mais un constructeur établi

À Valence, la fébrilité était palpable dans tout le clan italien, Ducati n'étant plus à présent cet outsider capable d'un pari gagnant mais bien un constructeur établi en quête d'un retour au sommet longuement recherché et plusieurs fois touché du doigt. Aux côtés de Bagnaia depuis 2019, Christian Gabarrini était peut-être le seul de tout le groupe à afficher une certaine sérénité avant le départ de la course de Valence. Sa part du travail était faite, c'était désormais au pilote de mener l'ultime bagarre pour tenter de marquer les points manquants, ce qu'il allait parvenir à réaliser pour finalement libérer Ducati du poids de cette attente qui avait trop duré entre ces deux titres pilotes, les plus prestigieux qu'a à offrir le MotoGP.

Lui demander après coup de juger ce nouveau sacre par rapport au premier rapporté par Stoner, c'est un peu comme demander à un enfant de choisir entre son père et sa mère. L'ingénieur s'attarde néanmoins sur les plus grands mérites de ces deux championnats et il n'en oublie pas les différences de contextes.

"La Ducati 2007 était très extrême, avec un moteur presque impossible à piloter. Celle d'aujourd'hui est l'une des meilleures du paddock, mais [à Valence], c'est une Suzuki qui a gagné. Et si Marc [Márquez] avait été à 100%, Honda aurait aussi probablement gagné quelques courses", observe le perfectionniste ingénieur pour Motorsport.com.

"Il est vrai que les pneus Bridgestone avaient un niveau élevé, mais Michelin apportait encore des pneus spécifiques le dimanche matin, après les avoir produits dans la nuit, et dans de nombreux cas ça a été d'une grande aide", rappelle-t-il en se remémorant cette saison 2007, avant de s'attarder sur un autre des facteurs encore essentiels aujourd'hui : "Et puis il y a l'électronique. À cette époque, la nôtre était bien plus mauvaise que celle des autres, et puis Casey aimait rouler pratiquement sans, il voulait tout contrôler lui-même. Maintenant, c'est très différent, car le pilote qui se charge de gérer l'électronique."

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Avec ces explications, on pourrait penser que Gabarrini place le titre de 2007 au-dessus du second. Pourtant l'ingénieur n'hésite pas à souligner l'extrême difficulté de ce qu'a réalisé cette saison le #63 : "Quand Casey courait, il y avait les 'quatre fantastiques', c'est-à-dire lui, Rossi, Dani [Pedrosa] et Lorenzo. Aujourd'hui, le niveau a tellement augmenté qu'il n'y en a plus quatre : tout est tellement égalitaire que pratiquement tout le monde peut gagner. Les différences sont minimes, et se distinguer comme l'a fait Pecco est très difficile, tout comme il est très difficile de remonter comme il l'a fait."

Si sa présence auprès des deux champions a de quoi faire de lui un porte-bonheur chez Ducati, Christian Gabarrini modère les compliments qui peuvent lui être personnellement adressés et n'oublie pas les hommes de l'ombre. "Que ce soit au circuit ou à la maison, personne n'a baissé les bras un seul instant. Nous y avons tous toujours cru, alors je veux remercier ceux que l'on ne voit jamais, car sans eux cela n'aurait pas été possible", a-t-il déclaré dès les premiers instants au micro de Sky Sport. "Je m'estime vraiment chanceux et honoré d'avoir travaillé avec deux pilotes très forts comme Stoner et Bagnaia, et de les avoir aidés à gagner le championnat."

Si un premier titre conserve à jamais une place toute particulière dans les souvenirs, l'accomplissement de Ducati pour revenir au sommet dans un plateau ultra-compétitif et le tour de force réalisé par Bagnaia à titre personnel font de cette deuxième couronne un succès au moins aussi mémorable que celle de Stoner dans le parcours du constructeur italien.

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