Analyse

Valentino Rossi s'est-il arrêté trop tard ?

Inlassablement interrogé sur sa retraite depuis des années, Valentino Rossi a-t-il trop attendu, au risque de voir son palmarès se ternir ? On serait plutôt tenté de dire qu'en ayant tout essayé jusqu'au bout, il a choisi de raccrocher au moment qui était le bon pour lui.

Valentino Rossi, Petronas Yamaha SRT

Valentino Rossi, Petronas Yamaha SRT

Gold and Goose / Motorsport Images

Le 5 août, une conférence de presse exceptionnelle, un peu maladroite et timide, officialisait la nouvelle que beaucoup avaient attendue et parfois redoutée depuis des années, celle de la retraite prochaine de Valentino Rossi. À la tête du plus grand palmarès depuis les parcours de Giacomo Agostini et Ángel Nieto dans les années 1960 à 1980, le pilote italien s'est résolu à raccrocher, non sans mal.

Voilà 26 ans que sa vie tournait autour des Grands Prix moto, 22 saisons qu'il s'engageait dans la catégorie reine, inlassablement en quête de succès. Ils ont d'abord été au rendez-vous, c'est certain : de 2000 à 2009, il a remporté sept titres, grâce notamment à 77 victoires. Et puis la tendance s'est affaiblie et seuls 12 autres succès sont venus enrichir son tableau de chasse sur les 12 années suivantes.

Ces deux phases bien distinctes dans sa quête de succès ne sont pourtant pas à voir en opposition, comme si l'une avait forgé la légende du pilote et l'autre peu à peu terni son aura. Car, si Rossi a peiné à rester au sommet, ce n'est pas faute d'avoir essayé. Semblant infatigable, il est toujours reparti au combat, affûtant sa préparation physique pour rester apte à se battre contre des pilotes qui, peu à peu, avaient l'âge d'être ses enfants, cherchant aussi à adapter son pilotage aux nouveautés mises en place saison après saison.

Ses premières difficultés remontent déjà à bien loin. Après avoir enchaîné cinq titres dans la catégorie reine, au gré de performances qui ont fait de lui une icône de la course moto et de confrontations devenues légendaires contre Max Biaggi ou Sete Gibernau, Rossi a commis un premier faux-pax en laissant filer le titre 2006. Trop d'erreurs, peut-être un trop-plein de confiance : Nicky Hayden, diablement régulier, ne s'est pas fait prier pour sauter sur l'opportunité. L'année suivante, Rossi se heurtait à un Casey Stoner émergent, redoutable au guidon de la Ducati, et glissait même au troisième rang derrière Dani Pedrosa.

De ses débuts en 1996 à sa retraite en 2021, Valentino Rossi aura disputé 26 saisons en Grand Prix

Récemment, il a admis : "Si j'avais investi les efforts des dix dernières années lors de mes premières années, j’aurais pu gagner plus. Quand on est jeune on est plus con et c'est normal. On apprend avec l'expérience." Et on ne peut que donner raison à Rossi sur ce point : il a su se remettre en question pour tenter coûte que coûte de parvenir à ses fins, sans s'arrêter au premier obstacle.

Son retour au sommet, avec les titres de 2008 et 2009, fait partie de ses plus grandes fiertés, estimant qu'il a démontré toute sa force à l'époque en parvenant à reconquérir la couronne alors qu'on le pensait déjà dépassé par la nouvelle génération. C'est une fois rassuré sur ce point, mais aussi battu par un Jorge Lorenzo arrivé à maturité et récompensé par un premier titre d'autorité en 2010, qu'il a fait le choix risqué de changer de crèmerie, quittant sa bien-aimée Yamaha pour tenter sa chance au guidon de la Ducati. Son but ? Ajouter une autre ligne à son palmarès pour le rendre définitivement légendaire en gagnant avec une marque italienne.

Ce fut pourtant une cassure nette dans son parcours, puisque ses deux saisons en rouge l'éloignèrent considérablement des places qui lui étaient habituelles. Sa moyenne de points fut divisée par deux et pour la première fois il ne signa aucune pole position, et surtout aucune victoire, se contentant de trois podiums en deux ans. Au championnat, il se classa septième puis sixième, du jamais vu.

Sa carrière aurait pu s'arrêter là, à 33 ans. Pourtant, il remit une pièce dans la machine pour neuf autres saisons, à nouveau avec Yamaha. "Au fil des années, je pense que j'ai parfois été très proche de la fin de ma carrière, surtout après 2012 : je ne savais pas, sincèrement, si j'aurais eu assez de vitesse et de force pour repartir et pour me battre pour un championnat et gagner des courses, mais je suis reparti pour dix ans", observe-t-il.

Valentino Rossi, Ducati Marlboro Team

En 2011 et 2012, le pari Ducati a tourné au fiasco

Cela ne s'est pas fait seul : son entourage aussi a su lui redonner le moral lorsque ce fut nécessaire. Il explique : "J'ai plusieurs fois traversé des périodes très difficiles au cours de ma longue carrière. Je me souviens de trois ou quatre fois où j'étais vraiment, vraiment désespéré parce que je n'obtenais pas les bons résultats, j'avais beaucoup de pression mais je n'arrivais pas à gagner, à obtenir les résultats que j'attendais et que tout le monde attendait. Et je me souviens que je voulais tout le temps m'arrêter, je voulais rester à la maison."

"J'ai poussé très fort auprès de mes gars, de mon équipe, de ma famille, de mon entourage. Et je leur ai dit : 'Non, je ne viens pas à la prochaine course, je veux rester à la maison'. Et j'ai de la chance parce que tous mes proches, Uccio, Aldo et même ma mère, m'ont dit : 'Non, tu ne peux pas t'arrêter. Tu ne comprends pas ce qui va se passer en toi si tu t'arrêtes. Si tu t'arrêtes, la situation sera bien pire que maintenant'. Moi je disais qu'il était impossible que ce soit pire et ils me disaient 'non, tu ne dois pas t'arrêter, car ce serait bien pire'. Et je dois leur dire merci parce que, sincèrement, ils avaient raison. Après quelques années, j'ai compris que si je m'étais arrêté à ce moment-là, la situation aurait été bien pire qu'en essayant de continuer."

Un bonus de neuf ans

C'est une autre de ses fiertés : avoir réussi à se réadapter à la M1 et à jouer à nouveau le titre après la parenthèse Ducati. Il a repris ses marques en 2013, en retrouvant la victoire à Assen, puis a réalisé trois solides saisons, toutes conclues à la deuxième place du championnat. Le point noir de cette période est bien évidemment la campagne 2015, terminée dans la polémique et avec un échec dû à la pénalité qu'il a reçue pour avoir donné un coup de pied à Marc Márquez. Leader du classement général en arrivant sur la dernière course (comme en 2006), il n'a rien pu faire pour empêcher le sacre de Jorge Lorenzo en partant depuis le fond de la grille.

Aurait-il dû s'arrêter là ? On peut aisément le faire dire aux statistiques, puisqu'à partir de 2017 sa route a de plus en plus ressemblé à un chemin de croix. Une dernière victoire cette année-là, toujours à Assen, et une présence sur le podium qui s'est raréfiée : six fois en 2017, cinq l'année suivante, puis deux, une… et zéro en 2021. Tombé à la 15e place du championnat l'an dernier, dans une année troublée par les problèmes techniques de Yamaha autant que ses forfaits dus au COVID-19, Rossi a fait pire en 2021 en n'engrangeant que 44 points en 18 courses.

Remplacé par Fabio Quartararo dans l'équipe officielle Yamaha, il a fait le choix, peut-être un peu désespéré, de rejoindre la structure satellite pour rester en course, préférant décider par lui-même à quel moment il raccrocherait au lieu de se voir montrer la porte de sortie. Jamais résigné, Rossi est resté focalisé sur son objectif personnel, déterminé à remonter la pente pour se prouver qu'il en était encore capable. C'est dans cette optique qu'il a changé de chef mécanicien fin 2019 pour s'associer au jeune David Muñoz, souhaitant une nouvelle fois faire souffler un vent de nouveauté dans son entourage et y puiser une nouvelle vitalité.

Les résultats n'ont pourtant pas été au rendez-vous. Comment explique-t-il les difficultés rencontrées ces dernières années ? "Je pense qu'il n'y a pas qu'un seul facteur, mais plusieurs", a-t-il réfléchi lorsque la question lui a été posée ce fameux 5 août. "Par exemple, en 2018, j'ai fait une très bonne saison et j'ai terminé troisième du championnat. Je n'ai pas gagné de course, mais j'ai marqué beaucoup de points et j'aurais aussi pu gagner lors des deux dernières courses mais j'ai fait des erreurs. En tout cas, mon niveau était élevé."

"En 2019, je suis très bien parti, mais ensuite quelque chose a changé. Quoi ? Sincèrement, je ne sais pas. L'année dernière aussi, j'étais assez fort au début de la saison, j'ai fait un podium, j'ai fait des top 5 et je me suis maintenu vers là, mais à la fin de la saison j'étais plus en difficulté pour figurer avec les premiers."

"Je pense en tout cas que le niveau est très élevé et les jeunes pilotes sont toujours plus forts. Maintenant tous les pilotes s'entraînent beaucoup, ce sont des athlètes, qui travaillent dur. Il y a différentes choses, je ne sais pas précisément quelle est la raison."

Valentino Rossi au travail avec son équipe

Au moment de faire son annonce, Rossi apparaissait toujours férocement concentré sur la saison en cours, ne souhaitant pas se déconcentrer, en dépit même d'une prochaine paternité qui, elle aussi, lui promettait une nouvelle vie dès 2022. Quelques semaines plus tard, à Austin, le constat était pourtant évident : "On essaye de tout faire et de rester concentrés au maximum, moi je donne tout, mais j'ai plus de mal à être aussi bon par rapport aux années passées, je suis moins compétitif", admettait-il, alors que le MotoGP retrouvait le circuit américain pour la première fois en deux ans et demi et qu'il figurait parmi les dernières places. "J'essaye de tout faire mais je suis plus lent, je suis plus en difficulté avec la moto. Ici, en 2019 je me sentais beaucoup mieux et les données montrent que je prenais les virages plus vite. Mais je ne saurais pas comment répondre car je n'ai pas l'impression d'être si différent d'il y a deux ans. Il doit pourtant bien y avoir quelque chose."

Il semble que ce soit en constatant et en acceptant la stabilité de résultats désormais faibles que Valentino Rossi a finalement digéré ce retrait à venir, qu'il dit avoir choisi à regret. "Pour moi, les résultats sont très importants. C'est très important d'être fort, de pouvoir jouer le podium ou le top 5. Cette saison a été difficile pour moi. Je m'attendais et j'espérais être un peu plus fort, donc je pense que c'est le bon choix."

On peut bien sûr regretter que le pilote qui détient le record de victoires et de podiums dans la catégorie reine n'ait pu montrer que l'ombre de lui-même durant sa dernière saison, avec seulement quatre entrées dans le top 10, mais on ne pourra pas reprocher à Valentino Rossi de ne pas avoir tout tenté. Bien que n'ayant plus rien à prouver, il a maintenu le niveau de forme et l'implication nécessaires pour, à 42 ans, continuer à se mesurer à des pilotes 20 ans plus jeunes que lui.

"J'ai été physiquement chanceux en termes d'ADN, car même si je suis vieux désormais je me sens bien physiquement, je me sens assez jeune", décrivait-il en marge de son dernier Grand Prix, assurant avoir été poussé par le plaisir. "J'ai toujours aimé faire des courses avec les autres, sur tout [type d'engin] et surtout avec des motos, et aussi travailler avec mon équipe pour essayer d'améliorer les performances. Et le dimanche, quand les choses se passent bien, qu'on pilote bien et qu'on est compétitif, c'est vraiment un plaisir. À mon avis, il n'existe rien d'autre d'aussi satisfaisant."

En disputant la dernière course de l'année derrière lui, Franco Morbidelli dira toute son admiration pour la hargne avec laquelle son mentor a avalé ces 27 tours, comme si la retraite était encore une perspective lointaine. Valentino Rossi aura certainement inspiré autant de jeunes pilotes par ses succès que par sa volonté inébranlable.

Valentino Rossi, intronisé Légende du MotoGP au soir de son dernier Grand Prix

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