Analyse

Ces héritiers que Valentino Rossi s'est choisis

Avec le départ de Valentino Rossi, le MotoGP perd sa plus grande star et l'Italie son meilleur représentant en course depuis les années 1980. Le Docteur lui-même a toutefois préparé sa relève et formé ceux qu'il espère voir lui succéder.

Francesco Bagnaia, Ducati Team, Valentino Rossi, Petronas Yamaha SRT, Franco Morbidelli, Yamaha Factory Racing

Francesco Bagnaia, Ducati Team, Valentino Rossi, Petronas Yamaha SRT, Franco Morbidelli, Yamaha Factory Racing

Gold and Goose / Motorsport Images

À 42 ans, il a décidé qu'il pouvait raccrocher sans regrets, ou presque. Valentino Rossi a passé plus de la moitié de sa vie à rouler sur les pistes du monde entier, disputant à lui seul 44% des Grands Prix organisés depuis la création du championnat, en 1949. À la tête d'un des palmarès les plus prestigieux que l'on ait connus et véritable tête de gondole médiatique de la discipline pendant un quart de siècle, il peut de toute évidence estimer qu'il a fait sa part et que le moment est venu de jouir d'une vie désormais plus calme.

Longtemps, le MotoGP s'est interrogé sur la manière dont il pourrait survivre sans sa star. Celui qui a fait exploser les chiffres d'audience et de fréquentation des circuits, et qui a aussi mis en place un marketing colossal, paraît aujourd'hui irremplaçable en termes d'aura et d'attraction médiatique, néanmoins le succès non démenti du MotoGP ces dernières années, alors que le #46 n'était plus en capacité de jouer les premiers rôles, devrait pouvoir rassurer les organisateurs.

La Dorna, promoteur du championnat, a depuis longtemps déjà préparé le terrain, grâce à une communication spectaculaire mettant en avant les autres poids lourds de la discipline. Même la longue absence de la deuxième star, Marc Márquez, n'a pas démenti ce succès, la nouvelle génération de pilotes et le haut niveau de compétitivité affiché d'un dimanche à l'autre suffisant à alimenter l'attrait des courses. Sportivement, la transition a été réussie et ce n'est que plus prometteur pour la suite.

"Ça a été ma vie pendant 30 ans. C'est ma grande passion et le MotoGP est un sport fantastique, c'est toujours très amusant à suivre. Je pense donc qu'à l'avenir tout le monde continuera à suivre les courses. On a beaucoup de jeunes pilotes qui sont très forts", observe lui-même le nouveau retraité.

Valentino Rossi aussi avait préparé l'avenir. Commercialement, sa société VR46 domine le merchandising et restera très présente, au minimum pour vendre les produits dérivés des pilotes qui font partie du groupe. Mais personne ne s'attend en réalité à voir disparaître les vêtements porteurs du numéro 46 des tribunes la saison prochaine, tant ils font à présent partie du paysage MotoGP.

"Je pense que ces choses-là continueront aussi les prochaines années", juge lui-même le Docteur. "Bien sûr, ça ne sera plus la même chose, mais autour des circuits beaucoup de monde portera encore le 46 et une casquette jaune. C'est une sensation fantastique pour moi et c'est génial aussi pour le MotoGP. Je pense que ça contribuera aussi à l'ambiance sur les circuits ces prochaines années."

VR46 restera également présent sur la grille grâce à l'équipe que Valentino Rossi a montée et progressivement menée vers la catégorie reine. Créée en 2014, elle a d'emblée décroché de premières victoires en Moto3, avant d'intégrer le Moto2 trois ans plus tard et de remporter deux titres, avec Franco Morbidelli (2017) et Pecco Bagnaia (2018). Arrivée en MotoGP cette année grâce à une association avec le team Avintia, elle y aura une place à part entière dès 2022.

Il s'agissait de la dernière étape à franchir pour un système puissant que le nonuple Champion du monde a d'abord créé dans le but double de s'entourer pour ses propres entraînements, solution idéale pour se stimuler et se maintenir en forme, et de former de jeunes pilotes italiens afin de remédier à la pénurie qui semblait s'annoncer après lui.

C'est Marco Simoncelli, de huit ans son cadet, qui donna à Valentino Rossi cette idée qui allait mener à la création de la VR46 Riders Academy. Dans le même temps, le Ranch était construit, terrain d'entraînement réservé à ce petit groupe et au boss, afin de mieux encadrer et de professionnaliser les séances de motocross que Rossi et Simoncelli menaient auparavant dans des carrières désaffectées.

"Je dis toujours que Marco a été le premier pilote de l'Academy, même si elle n'existait pas", rappelait le #46 encore cette année, au moment de porter un regard sur sa carrière qui s'achevait. "Mon Academy est en son honneur. Le premier pilote qu'on a aidé, c'était Marco, alors c'est pour lui. Ça n'est pas grand-chose, on préférerait que Marco soit avec nous, mais c'est tout ce qu'on peut faire."

Mort il y a dix ans, Simoncelli aurait peut-être pu être un héritier pour Rossi si la vie lui avait laissé le temps de confirmer ses débuts prometteurs en MotoGP. C'est en tout cas ce que croit son aîné : "Marco me manque beaucoup. D'abord en tant qu'ami, parce qu'il était vraiment très, très drôle ! On a passé de super moments ensemble, avec lui c'était toujours vraiment marrant. Et il nous manque aussi en tant que pilote. Je pense que Marco avait de très bonnes chances de courir sur la Honda d'usine en 2012, avec la 1000cc qui aurait été une meilleure moto pour son poids et sa taille. Je pense qu'il aurait pu se battre pour le titre et qu'on aurait pu vraiment beaucoup s'amuser."

Valentino Rossi, Fiat Yamaha Team et Marco Simoncelli, San Carlo Honda Gresini

Valentino Rossi et Marco Simoncelli au GP d'Aragón 2010

"Je me souviendrai toujours des instants qui ont suivi la course en Malaisie comme l'un des pires moments de ma vie, quand je suis retourné dans mon bureau avec Uccio et Max juste après la course. J'étais désespéré. C'était un de ces moments dans lesquels on ne sait pas ce qu'on doit faire pour essayer de continuer, une sensation inoubliable", se souvient Rossi les rares fois où il accepte de mettre des mots sur cette douleur après avoir été impliqué dans l'accident qui a coûté la vie à Simoncelli. "Après, c'était encore pire parce qu'on a perdu un grand pilote qui aurait sûrement pu faire une grande carrière et livrer de superbes batailles avec les pilotes modernes. Et j'ai aussi perdu un bon ami. J'ai passé beaucoup de temps avec Marco, surtout dans les dernières années de 2006 à 2011, et il a laissé un grand vide."

"Quand je vois les pilotes et l'Academy maintenant, ça me rappelle toujours Marco", admet le pilote de Tavullia. Si l'on peut imaginer le pincement au cœur que cela lui provoque, observer ce qu'est devenu ce groupe en sept ans a aussi toutes les raisons de le rendre fier. Car, aujourd'hui, quatre pilotes membres de l'Academy courent parmi l'élite : Franco Morbidelli, vice-Champion du monde en 2020, Pecco Bagnaia, lui aussi deuxième du championnat cette année et déjà annoncé comme l'un des favoris pour la saison prochaine, Luca Marini, arrivé cette saison, et désormais Marco Bezzecchi, qui rejoindra le MotoGP en 2022. Six autres membres de ce groupe évoluent dans les catégories Moto2 et Moto3, prêts à gravir les échelons à leur tour le moment venu.

Et c'est bien à travers eux que Valentino Rossi compte garder un pied dans le MotoGP. Notoirement impliqué au point de multiplier les messages et conseils à ses jeunes élèves, le Docteur n'a pas l'intention de lever la garde même s'il s'éloigne des circuits.

"Je pense que je resterai une aide importante pour nos pilotes. Déjà, je vais venir sur certaines courses et je vais de toute façon suivre les essais et donner mes conseils l'année prochaine aussi. Ils en sont toujours très contents, je crois que je peux les aider avec mon expérience. Et puis j'aime ça, c'est bien, parce qu'on a une bonne relation, on est aussi des amis et c'est une super sensation quand ils arrivent à faire une bonne course."

Les deux premiers héritiers désignés sont forcément Bagnaia et Morbidelli, déjà vainqueurs de sept courses MotoGP ces deux dernières saisons. "Je suis un grand supporter de tous nos pilotes", affirme Rossi. "L'année prochaine on en aura quatre en MotoGP : Luca et Bez avec notre équipe, et Pecco et Franco qui, je pense, peuvent se battre pour le titre. J'espère que la nouvelle superstar du MotoGP pourra venir de ces gars-là."

Marco Bezzecchi, VR46 Racing Team, Francesco Bagnaia, Ducati Team, Luca Marini, VR46 Racing Team

Trois pilotes VR46 seront sur Ducati en 2022 : Pecco Bagnaia, favori pour le titre, Luca Marini et le rookie Marco Bezzecchi

"Très fier" de Bagnaia, qu'il a jugé "impressionnant" dans sa lutte face à Fabio Quartararo cette saison, Rossi veut le voir franchir la dernière étape. "Pecco a tout le temps été très rapide cette année, mais c'est comme si sa victoire en Aragón lui avait apporté quelque chose de plus, comme si ça l'avait débloqué mentalement", juge-t-il. "Je pense qu'il est prêt pour l'an prochain. C'est dommage pour cette année, parce que je crois qu'il avait le potentiel pour se battre avec Fabio jusqu'à la dernière course, mais je pense qu'il sera prêt à se battre l'an prochain."

"Et puis il y a Ducati, et ce qui est génial pour les fans italiens c'est que Pecco court sur la Ducati. Un pilote italien sur une moto italienne, difficile de faire mieux ! C'est comme si Ferrari était en mesure de gagner le titre [en F1] et partait de la pole à Monza avec un pilote italien ! Alors disons qu'on est à l'apothéose de la moto en Italie. Ça doit faire venir les fans en masse !" s'enthousiasme le nonuple Champion du monde, voulant croire que la passion pour les deux roues, en Italie tout au moins, saura lui survivre.

À en juger par la différence d'afflux devant son camion et celui d'Andrea Dovizioso, du temps des luttes pour le titre de ce dernier avec Ducati, même sur leurs terres de Misano, on peut en douter, mais qu'en sera-t-il réellement lorsque le #46 sera cette fois absent des circuits ?

"Je pense que l'Italie en MotoGP est en bonne situation, même sans moi, et c'est positif pour tout le mouvement en Italie", juge-t-il. "Je pense qu'on aura Pecco, qui pourra se battre pour le titre, et que Franco Morbidelli sera lui aussi très fort l'année prochaine. Avec la Yamaha d'usine il sera très rapide, alors je pense qu'il pourra se battre pour le championnat."

"Du côté de l'Academy, il y aura aussi mon frère et Bezzecchi, et je pense que ce sont deux pilotes très rapides, comme ils l'ont prouvé en Moto2. Et puis il y a aussi Bastianini. Ce n'est pas notre pilote, mais il a été impressionnant [à Misano], incroyable, très rapide. [...] et je pense qu'il peut avoir un très solide avenir."

Ces jeunes pilotes ont le talent, et l'avenir dira si celui-ci sera suffisant pour ouvrir une nouvelle ère italienne sportivement parlant. Quant à cette attitude si singulière qui a assurément donné à Valentino Rossi une tout autre dimension, elle ne semble pas leur correspondre, tous bien plus sages que leur mentor. D'autres en dehors de ce groupe prennent toutefois plaisir à réinventer les célébrations amusantes du jeune Rossi, et notamment Fabio Quartararo, nouveau roi du MotoGP, et peut-être est-ce grâce à des personnalités comme la sienne que le MotoGP continuera à divertir en plus d'offrir les courses époustouflantes que l'on sait.

Mais, au fond, peut-être faut-il aussi se résoudre à ne pas chercher d'héritier à un pilote qui aura laissé une marque indélébile dans l'Histoire des Grands Prix, unique par son palmarès autant que son caractère. D'autres pages vont s'écrire, différentes mais pas moins belles.

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