Mexique : l'avant-propos de Denis Giraudet

Avant la troisième manche de la saison qui débutera la nuit prochaine (heure de Paris) par le shakedown, puis la cérémonie de départ jeudi soir, notre chroniqueur nous plonge dans l'ambiance toute particulière de ce rendez-vous mexicain.

Thierry Neuville, Nicolas Gilsoul, Hyundai i20 WRC, Hyundai Motorsport

Photo de: XPB Images

Le village de Nuevo Valle de Moreno pourrait servir de décor à un film de Zorro : quelques maisons de terre, blanchies à la chaux, regroupées autour d'une église majestueuse. Le jour se lève à peine. Comme nous sommes à 2000 mètres d'altitude, il fait froid et j'hésite à quitter la tiédeur de ma vieille Dodge. 

La conscience professionnelle prenant le dessus sur mon instinct de conservation, je me risque dehors pour faire mon relevé de températures et je tombe nez à nez avec une charmante jeune fille qui semble être tombée de son lit. Elle tient dans ses bras une lourde cruche en terre cuite. À peine surprise par ma présence incongrue, elle poursuit son chemin vers ce qui ressemble à de gros yuccas ou à une espèce de cactus. Elle se penche au cœur de la plante, soulève une pierre plate et, à l'aide d'un petit bol en bois, recueille avec précaution un liquide qui semble bien précieux.

D'un naturel plutôt anxieux, j'attends son retour pour en savoir plus sur cet étrange cérémonial. Maria Paz m'explique qu'elle vient de récolter l'aguamiel, la sève de l'agave, pour préparer le petit déjeuner de la famille...

Nous sommes en 2004 et comme tout le WRC circus, je découvre le Mexique, ses charmes et ses mystères ! 

L'ambiance du Rallye du Mexique

Cette anecdote vous montre un des aspects les plus séduisants du rallye par rapport aux autres formes de sport mécanique : la découverte d'un pays et de ses habitants dans toute leur authenticité.

Cette année-là, avec Nicolas Voullioz, notre participation au Rallye du Mexique se limitait aux reconnaissances et pour optimiser notre présence sur place, notre boss, Jean-Pierre Nicolas, nous avait demandé de "faire la météo". Faire la météo, c'est se lever au milieu de la nuit pour atteindre le point le plus éloigné du rallye, faire des relevés réguliers de températures "sol" et "air", regarder la couleur de ciel, étudier le sens du vent et se faire "engueuler" si l'équipe choisit les mauvais pneus... Un peu comme les ouvreurs au Monte-Carlo.

Voilà comment on se retrouve sur les hauts-plateaux à l'est de León, au petit matin, dans l'indifférence totale de la population.

Benito Guerra, Borja Rozada, Ford Fiest RS WRC

En un peu plus de dix ans, les organisateurs, d'origine française, ont réussi à imposer une épreuve désormais incontournable au calendrier du WRC. Le Rallye du Mexique, c'est 400 km d'épreuves chronométrées, sur terre, dans un rayon de 50 km autour d'une ville de deux millions d'habitants : un concept unique au monde ! Ce sont des spéciales refaites chaque année, un véritable billard, alors que le reste du réseau secondaire est délabré : le seul rallye au monde où les "chronos" sont plus roulants que les liaisons ! D'où l'amertume de ceux qui n'habitent pas sur le parcours... et la joie des autres !

C'est une province, Guanajuato, loin de l'image traditionnelle d'insécurité, de criminalité que l'on colle au Mexique. Il y a deux ans, alors que j'essayais de sympathiser avec un policier à l'allure redoutable, style Robocop perché sur un pick-up noir, il m'avança que la partie la plus dangereuse de son job, c'était l'arrestation des ivrognes... L'agave ne produit pas seulement un breuvage pour les enfants. Un peu de fermentation et c'est la pulque, un peu de distillation et c'est la tequila !

Culture et savoir-faire industriel

Cette province, c'est aussi le cauchemar (parmi d'autres) de Donald Trump avec une "manufactory" GM qui produit la majorité des SUV et 4x4 du groupe, mais aussi des usines VW, Honda, Mazda... Depuis des siècles et l'exploitation des mines d'or et d'argent, il y a une véritable culture, un savoir-faire industriel qui fait de cette région un "eldorado" loin des clichés liés aux trafics en tout genre des régions frontalières avec les USA.

Ajoutez à cela que León est la capitale mexicaine du cuir et de la transformation, et vous aurez compris que le rallye ne s'est pas installé là par hasard. Encore fallait-il résister, garder sa place et ne pas subir le sort de ces rallyes qui n'ont fait que passer dans le calendrier du WRC : Indonésie, Chine, Bulgarie, Turquie, Irlande, Chypre...

Valeriy Gorban, Volodymyr Korsia, Mini

Le challenge était d'autant plus compliqué que ni le pays, ni la région ne sont "fans" de rallye. Il fallait mettre l'épreuve au centre de la ville pour que la population, toujours prête à faire la fête, puisse découvrir notre sport. Le parc d'assistance s'installe au cœur même de León, avec en plus une spéciale dans les rues de la ville. La cérémonie de départ, la plus belle – et de loin – de la saison, était organisée jusqu'à l'an dernier dans le cadre somptueux de la cité historique de Guanajuato, berceau industriel et culturel de la région. L'incroyable liesse populaire électrise les petites ruelles et les vieilles demeures coloniales. Un must du WRC.

Pour ceux, assez rares malgré tout si l'on considère le potentiel de la région, qui veulent aller en spéciales, les organisateurs mettent à disposition une noria de bus, pour les regrouper en toute sécurité (?) dans quelques points spectacles où ils peuvent passer la journée au milieu des "sierras".

Mi-western, mi-film noir

Au tout début, les habitants de ces montagnes sauvages ne voyaient pas le rallye d'un très bon œil. Ils avaient l'habitude de circuler lentement, avec des engins à bout de souffle importés des "States" et complètement inadaptés aux pistes de montagne. Il n'était pas rare de croiser un Mack ou un Kenworth gigantesque en plein gauche au milieu de nulle part. Les reconnaissances, c'était un peu Duel ou Le salaire de la peur. Et le jour de la course, c'était Règlement de comptes à OK Coral avec des cailloux dans les pare-brise des voitures de course, des rochers et des meubles (!) dans les trajectoires et des shérifs qui coursaient les hors-la-loi...

Ce rallye a frôlé le pire mais aujourd'hui, la population des villages s'est habituée, les organisateurs ont usé de diplomatie et tout va pour le mieux, ou presque, dans le meilleur des mondes.

Eric Camilli, Benjamin Veillas, M-Sport Ford Fiesta WRC

Pour pérenniser leur épreuve, ils font preuve d'imagination. Aussi en 2009, victime de la rotation imposée par la FIA, le rallye perdait le label WRC. Qu'à cela ne tienne, ils organisèrent aux mêmes dates le Rallye des Nations. Ils invitèrent une dizaine de pays, dont la France, représentée par Didier Auriol et Brice Tirabassi, à former des équipes de deux pilotes au volant de Mitsubishi Gr. N pour étoffer le plateau local. Ils venaient de réaliser le rêve de Jean Graton, le "père" de Michel Vaillant, dans Le grand défi. Résultat : une bonne couverture médiatique, des sponsors qui vous restent fidèles – ou comment transformer une descente aux enfers programmée en petit séjour au purgatoire.

L'an dernier, ils décidèrent de mettre sur pied la plus longue spéciale de l'histoire du WRC : 80 km d'efforts à 2000 m d'altitude, le challenge ultime pour les hommes et leurs machines. Sauf que rien ne s'est passé comme prévu. D'abord, il y avait un peu tromperie sur la marchandise, car en termes de distance, il y avait eu mieux en Corse il y a longtemps et au Kenya plus récemment. Même chose pour ce qui est de la durée puisque 50 km dans les montagnes chypriotes demandent un effort plus long que 80 km sur le billard mexicain. La domination de Jari-Matti Latvala fut telle les deux premiers jours, Sébastien Ogier devant balayer la route, que la concurrence se résigna, transformant la spéciale "mythique" en une procession ennuyeuse, les pilotes se réservant pour la Power Stage !

Cette année, nouveau défi et nouvelle prise de risques avec l'abandon de la traditionnelle cérémonie de départ au charme désuet. Cap au sud, à 400 km, pour un départ et une spéciale dans les rues de Mexico City. L'occasion de faire découvrir le rallye aux dix millions d'habitants de la capitale ! L'espace d'une soirée, mes petits camarades vont se prendre pour des "footeux" dans une telle ambiance...

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent Paddon espère lancer vraiment sa saison
Article suivant Shakedown : meilleur temps pour Neuville et Hyundai

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France