Les leçons que la F1 peut tirer du "souk" de Masi à Djeddah

Alors que la Formule 1 est sur le point d'achever sa saison à Abu Dhabi, la FIA et le directeur de course Michael Masi font l'objet d'une attention accrue. Les messages radio diffusés lors de la course du week-end dernier ont suscité des discussions et des controverses. Mais quelles leçons peuvent-ils tirer de la débâcle de l'Arabie saoudite ?

Michael Masi, directeur de course et Stefano Domenicali, PDG, Formula 1

Photo de: Andy Hone / Motorsport Images

Le très regretté Charlie Whiting, ancien directeur de course de Formule 1, m'a dit un jour que la règle la plus importante en Grand Prix était celle que l'on ne trouvait dans aucun règlement publié. Au lieu de cela, et comme il le rappelait occasionnellement aux équipes, l'article 0.0.0 du règlement de la F1 était absolu : "Tu ne te prendras pas la tête."

Bien sûr, il y avait un peu d'humour derrière cette référence, mais elle en dit également long sur la façon dont Whiting a guidé la F1 pendant des décennies. En tant que braconnier devenu garde-chasse, il savait les efforts que les équipes faisaient pour essayer d'explorer les zones grises des règlements sportifs et techniques, que ce soit pour elles-mêmes ou pour mettre leurs rivaux en difficulté.

Il était inutile de rappeler à Whiting que dans certains cas, les équipes ne font qu'essayer de se frotter aux instances dirigeantes, de se foutre de la gueule du monde si vous voulez. Et cela, pour Whiting, ce n'était tout simplement pas acceptable.

Cette compréhension commune a fonctionné. Bien sûr, Whiting n'a peut-être jamais satisfait toutes les équipes, tout le temps, et il s'est retrouvé au centre de quelques grosses controverses, mais ceux qui se trouvaient dans les stands savaient où étaient les limites.

Charlie Whiting

Charlie Whiting

Le successeur de Whiting, Michael Masi, n'aurait jamais eu la tâche facile en devenant directeur de course de la F1, car il n'existe pas de chemin rapide pour acquérir les décennies d'expérience que son prédécesseur avait sous le maillot de la FIA.

En outre, Masi n'a pas non plus bénéficié des connaissances de l'intérieur des équipes que Whiting a acquises au cours de ses années chez Brabham, pour savoir à quel point les équipes de F1 peuvent être sournoises, effrontées, impitoyables, politiques, à double visage et déterminées lorsqu'il s'agit de s'engager dans la lutte pour les victoires et les titres.

Pourtant, il y a des éléments où Whiting et Masi sont très similaires. Tous deux sont des travailleurs acharnés, tous deux sont très pointilleux en matière de sécurité sur la piste et tous deux sont très ouverts quant à leur vision de l'art de la course, même s'ils l'abordent peut-être avec un regard différent.

Tous deux sont et ont été des personnages incroyablement sympathiques, qui sourient et disent bonjour quand on les croise dans le paddock. Ils ont tous deux un grand sens de l'humour, sont toujours prêts à s'amuser, aiment s'amuser et ne se prennent pas trop au sérieux.

Mais il y a également de grandes différences dans la façon dont ils gèrent leurs Grands Prix.

Whiting a toujours été ferme avec les pilotes quant à la ligne de conduite acceptable, ce qui leur a permis de rester sous contrôle. Il était l'un de ceux qui s'assuraient de l'application stricte et rapide, et cohérente, des règles, même si cela signifiait que certaines pénalités étaient impopulaires.

Masi, en revanche, est quelqu'un qui préfère regarder les choses au cas par cas, jugeant chaque incident sur son propre mérite et ne voulant pas trop s'enliser dans les précédents.

Il y a aussi des différences dans la façon dont le travail de directeur de course de la F1 est diffusé de nos jours : et c'est cela, plus que tout, qui a peut-être alimenté une grande partie du cynisme de ces derniers jours à propos du travail de Masi.

Le troisième départ du Grand Prix d'Arabie saoudite 2021

Le troisième départ du Grand Prix d'Arabie saoudite 2021

Rien ne le montre mieux que la conversation pour conclure un "accord" qui a eu lieu en direct à la télévision pendant la deuxième interruption due au drapeau rouge lors du Grand Prix d'Arabie saoudite entre Masi et le directeur sportif de Red Bull, Jonathan Wheatley.

Max Verstappen ayant coupé le deuxième virage au premier restart pour reprendre la tête à Lewis Hamilton, il ne faisait guère de doute que le Néerlandais devait rendre sa position pour perdre l'avantage durable que sa manœuvre lui avait procuré.

Si la course s'était poursuivie sans interruption rapide, la procédure normale aurait été pour Masi de conseiller à l'équipe de rendre la position – ou de risquer de porter l'affaire devant les commissaires pour une éventuelle pénalité.

Mais le drapeau rouge presque immédiat signifiait que le conseil de Masi à Verstappen de reculer dans la hiérarchie ne pouvait pas intervenir avant l'arrêt des voitures. Donc, dans l'intérêt d'accélérer l'inévitable remaniement de l'ordre, Masi a choisi de faire avancer les choses avant le nouveau départ, plutôt que d'attendre, avec son offre à Red Bull.

La diffusion de cette conversation sur les ondes internationales a été révélatrice pour les fans et les équipes rivales. Le patron de l'équipe Red Bull, Christian Horner, a dit que cela faisait penser à un "souk", tandis que le directeur exécutif d'Alpine, Marcin Budkowski, a admis que c'était un peu "surréaliste".

Du point de vue de Masi, cependant, la conversation était "normale". Et en effet, vous pouvez comprendre pourquoi il pense ainsi : parce qu'il n'a fait qu'avoir exactement la même conversation avec Red Bull que celle qu'il aurait eue plus tard de toute façon, en leur conseillant de céder la position ou de risquer une pénalité.

Adrian Newey et Christian Horner

Adrian Newey et Christian Horner

L'intention derrière cette conversation était bonne, mais la façon dont elle s'est déroulée sous les yeux de millions de fans dans le monde entier n'était pas bonne. Car il y avait deux problèmes clés.

Tout d'abord, l'approche décontractée de Masi et son choix de langage ont donné l'impression qu'un accord était en cours de négociation (et la confusion initiale entre deuxième et troisième place n'a rien arrangé). L'utilisation du mot "offre" a certainement été regrettée car elle a donné l'impression de quelque chose qui n'était pas censé exister.

En effet, l'arbitre d'un sport doit avoir le contrôle total de la procédure et le dernier mot. Ce n'est pas au concurrent de décider s'il accepte ou non les sanctions, ou de choisir les punitions qui lui sont infligées. Imaginez, lors d'une finale de Coupe du monde, que les équipes se voient offrir la possibilité de choisir l'endroit où elles peuvent tirer des coups francs...

Le deuxième problème de cette "offre" est que le fait de donner à une équipe le choix d'une place sur la grille de départ à un moment où elle peut changer de pneus et donc réagir avec sa stratégie, revient à s'aventurer dans l'arène des gains potentiels de performance.

Avec le recul, il aurait été beaucoup plus logique, du point de vue de l'équité, de faire partir Verstappen de la pole position que le règlement impose sur la base du moment où a été brandi le drapeau rouge

Savoir à l'avance que vous allez chuter dans la hiérarchie signifie que votre choix de pneus sera inévitablement différent : et cette anticipation peut apporter un gain énorme.

De plus, le fait de revenir sur la grille de départ donne à Verstappen la possibilité d'effacer immédiatement le désavantage d'être rétrogradé : c'est exactement ce qui s'est passé lorsqu'il s'est frayé un chemin vers la tête à la sortie du virage 1.

Avec le recul, il aurait été beaucoup plus logique, du point de vue de l'équité, de faire partir Verstappen de la pole position que le règlement impose sur la base du moment où a été brandi le drapeau rouge. Ensuite, une fois la course relancée, on aurait pu dire à Red Bull que son pilote devait se ranger derrière Hamilton ou risquer une pénalité.

De cette façon, l'équipe n'aurait pas bénéficié d'un avantage potentiel en matière de stratégie, et il n'y aurait pas non plus eu de chance qu'elle efface la pénalité quelques mètres après le départ.

Lewis Hamilton et Max Verstappen au GP d'Arabie saoudite

Lewis Hamilton et Max Verstappen au GP d'Arabie saoudite

Masi a certainement été victime de la diffusion de sa conversation sur les ondes mondiales, ce que Whiting n'a jamais eu à subir.

La décision de la F1 de commencer à diffuser les conversations entre la direction de course et les équipes est un ajout récent à la couverture, et une question éthique se pose ici quant à savoir si cela est approprié ou non pour le bon déroulement d'une course de Grand Prix.

De la même manière que les messages radio des pilotes et des équipes peuvent être édités pour donner du relief aux sensations fortes, les conversations entre Masi et les équipes font désormais partie de la dramatisation des courses de F1.

Bien sûr, le trafic radio est intéressant et divertissant – il suffit de voir comment l'"offre" de la grille est devenue un sujet de discussion important – mais un arbitre devrait être en mesure de traiter avec les concurrents de la meilleure façon possible pour le sport et non pas pour faire bonne figure.

Comme l'indique le Code Sportif de la FIA, l'organe directeur est "la seule autorité sportive internationale habilitée à établir et à faire appliquer des règlements fondés sur les principes fondamentaux de la sécurité et de l'équité sportive, pour encourager et contrôler les compétitions automobiles, et pour organiser les championnats internationaux de la FIA".

Diriger un Grand Prix n'est pas une audition de X-Factor où les fans devraient voter pour savoir si Masi a parlé de la bonne manière. Il devrait s'agir de l'application clinique du règlement d'une manière équitable pour tous les concurrents, quelle que soit l'impopularité de cette décision auprès des équipes perdantes.

Faire des discussions de la direction de course une partie du spectacle change la dynamique. Cela encourage l'esbroufe depuis les stands et incite les équipes à se plaindre davantage des violations potentielles des règles par leurs rivaux, sachant pertinemment que leurs commentaires publics peuvent changer le récit de la diffusion.

Il est également un peu injuste que la F1 diffuse les demandes de clarification des équipes à Masi concernant les événements sur la piste, sans jamais assurer le suivi des réponses qu'elles ont reçues.

Toto Wolff

Toto Wolff

Alors que les fans ont éteint la télévision après le GP dimanche, le manque de réponses sur le rythme lent de Valtteri Bottas sous voiture de sécurité pour construire un écart, les raisons du drapeau rouge, la simulation de départ de Verstappen dans la pitlane, les plaintes de Red Bull concernant les 10 longueurs de voiture, Hamilton forçant Verstappen à élargir au dernier virage et de nombreux autres incidents, ont donné l'impression que la direction de course ne connaissait pas les réponses.

Masi a également choisi de ne pas parler aux médias dimanche soir, laissant encore plus de questions sans réponse sur tout ce qui s'est passé – et faisant en sorte que les plaintes des équipes ont eu une résonance beaucoup plus forte.

Alors que la F1 se dirige vers la finale de la saison, le travail de la FIA et de Masi pour gérer les inévitables tensions entre Red Bull et Mercedes sera plus que jamais sous le feu des projecteurs.

Si l'on peut tirer une leçon d'Abu Dhabi, c'est que Masi doit peut-être renoncer à son attitude décontractée, polie et raisonnée avec les équipes.

Ce n'est pas le moment de négocier, c'est le moment de faire respecter la loi. Au milieu de la guerre qui s'annonce, il n'y a pas de place pour les plaisanteries

Si les querelles et les plaintes se poursuivent, il doit les faire taire rapidement et affirmer son autorité. Ce n'est pas le moment de négocier, c'est le moment de faire respecter la loi. Au milieu de la guerre qui s'annonce, il n'y a pas de place pour les plaisanteries.

La F1 elle-même a également le devoir de veiller à ce que les conversations qu'elle diffuse soient choisies de manière équitable pour toutes les parties. Elle ne peut pas se contenter de lancer les commentaires les plus piquants pour la génération Netflix, dans l'espoir d'en faire un feuilleton, au risque de contrarier et d'ennuyer les fans inconditionnels qui se soucient profondément du règlement.

Et peut-être que Masi devrait rappeler à Hamilton et Verstappen, ainsi qu'aux stands de Red Bull et Mercedes, une chose importante....

L'article 0.0.0 n'a pas été oublié, et qu'il sera appliqué avec une tolérance zéro.

 

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