Analyse

Comment Ferrari est resté devant sans toucher à sa F1

Des essais hivernaux à Barcelone au Grand Prix d'Australie il y a une semaine, Ferrari s'est clairement imposée comme la première force du plateau sans apporter de nouveauté à sa monoplace. Décryptage du développement de la monoplace rouge.

Charles Leclerc, Ferrari F1-75

Photo de: Zak Mauger / Motorsport Images

Deux victoires et cinq podiums en trois courses : Ferrari pouvait difficilement mieux démarrer la saison 2022. Si Red Bull a tenu tête à la Scuderia sur les deux premières manches, il n'y a clairement pas eu débat lors du dernier Grand Prix, à Melbourne. Pourtant, l'écurie de Maranello n'a pratiquement pas modifié sa voiture depuis les premiers essais hivernaux à Barcelone, alors que ses rivales ont déjà apporté quelques modifications, parfois majeures. Plusieurs aspects expliquent ce choix. Tout d'abord, la voiture était rapide dès le départ et n'avait pas de défauts évidents. Comme d'autres, elle souffre de marsouinage, mais l'équipe semble avoir trouvé un moyen de vivre avec, sans compromettre la performance autant que chez certains concurrents.

En ne changeant pas le package chaque semaine, l'équipe possède une meilleure compréhension de sa voiture, permettant aux ingénieurs de commencer chaque week-end de course avec une bonne configuration de base. Ainsi, Ferrari peut immédiatement se concentrer sur les petits réglages pour grappiller les derniers centièmes lors de chaque week-end. Cela a permis aux pilotes de s'habituer à la voiture et de savoir ce qu'elle exige d'eux, même si Carlos Sainz a mis un peu plus de temps à s'adapter que Charles Leclerc.

De plus, en l'absence de nouvelles pièces pour trouver de la performance, Ferrari a pu respecter son rythme en termes de R&D. L'équipe peut se concentrer sur la mise au point de nouveaux éléments dont elle sait qu'ils fonctionneront sur la piste, plutôt que de passer en revue des pièces qui n'ont pas donné entière satisfaction. À une époque où le plafond budgétaire limite grandement les possibilités de développement, ce paramètre représente un avantage de taille par rapport à la concurrence.

"Heureusement, la voiture est bonne depuis le début", déclare Claudio Albertini, responsable des opérations châssis. "C'est donc une bonne nouvelle pour nous, car nous pouvons alors nous concentrer sur le développement. Avec ces nouvelles réglementations, l'approche est différente de celle du passé, parce qu'avec le plafond budgétaire, nous devons être très prudents, chaque développement qui ne fonctionne pas est aussi un gaspillage d'argent, en plus de ne pas donner de performance à la voiture. Les conditions sont différentes de celles du passé. Nous devons travailler d'une manière différente. Mais il est certain que nous aurons des développements futurs. Et parce que cette philosophie de voiture est complètement nouvelle, il y a beaucoup de choses que nous étudions encore, que nous voulons analyser."

Le vainqueur Charles Leclerc, à Melbourne.

Le vainqueur Charles Leclerc, à Melbourne.

De ce fait, Ferrari a été en mesure de se limiter en nombre de pièces car la voiture était bonne dès le premier Grand Prix, avec un rythme suffisant pour gagner des courses. "Heureusement, nous avons répondu aux attentes", se réjouit Albertini. "Donc, d'une certaine manière, vous voyez que la voiture a un potentiel. Et donc, comme je l'ai dit, nous avons pu repérer dès le début du projet les parties de la voiture qui étaient les plus performantes, et nous concentrer sur elles. Nous comprenons maintenant que notre première idée était bonne, car les parties importantes fonctionnent, et nous allons dans cette direction. Nous suivons donc toujours le plan de base que nous avons depuis l'année dernière."

Ferrari a apporté un plancher différent à Melbourne, mais comme prévu, Leclerc ne l'a utilisé que le vendredi, avant de revenir à la spécification normale pour le reste du week-end. Il s'agissait d'un simple exercice de collecte de données qui alimentera des changements prévus plus tard dans la saison. Une séance d'essais libres riche d'enseignements et utilisée à la perfection par le Cheval cabré.

"Nous avions une pièce dans le diffuseur", explique Albertini. "En fait, c'est une pièce qui a changé la forme du plancher. C'était un élément de test. Nous savions depuis le début qu'il ne serait pas dans la voiture pour les qualifications et la course. Et c'est normal aujourd'hui, avec moins d'essais en-dehors des week-ends de course, vous utilisez le vendredi pour ce développement. C'était quelque chose lié, évidemment, à l'aérodynamique de la voiture. Et nous cherchons à mieux comprendre le flux d'air, en particulier sur le plancher et la partie inférieure de la voiture."

"Ces composants spéciaux ont pour but de recueillir des informations", poursuit l'Italien. "En fait, avec ce composant, nous avons des capteurs dans la voiture, nous effectuons toutes les mesures, puis nous ramenons toutes les informations à la maison. Et ensuite, [les ingénieurs] peuvent établir une corrélation avec nos calculs, avec les données de soufflerie. C'est un moyen de faire correspondre la voiture réelle et la voiture simulée, et nous avons un meilleur aperçu. Pour le développement ultérieur de la voiture pendant la saison, c'est la première étape. Ce n'était pas quelque chose qui était censé être mieux ou moins bon que la pièce d'origine. C'était un essai utile pour nous afin d'avoir une quantité différente de données à analyser à l'usine."

"Le plancher est évidemment la partie la plus importante de la voiture. Et cette philosophie est complètement nouvelle. Nous sommes donc nous comprenons toujours des nouvelles choses. Le temps passe, et donc nous nous concentrons sur différentes parties du plancher, en essayant de l'améliorer globalement."

Ce genre de test, qui ont lieu avant de passer au développement et la fabrication de nouveaux planchers, est un autre exemple de la façon dont les limites de dépenses ont un effet sur le moment où les équipes introduisent des nouveautés. "Évidemment, comme je l'ai dit, le plafond budgétaire a un impact sur la façon dont nous opérons cette saison", dit Albertini. "Il est extrêmement important, lorsqu'il y a un développement, que le nouveau composant soit bon, sinon il y a une perte d'argent et de temps."

"La compréhension au début nous a conduit à un processus d'amélioration plutôt que d'apporter de nouvelles pièces et d'avoir les anciennes qui ne sont plus utilisées. Elles ne seraient pas utiles, également du point de vue du plafond budgétaire. Parfois, c'est un peu comme un pari. Vous apportez la pièce, et si vous l'apportez plus tôt et que c'est bon, alors vous êtes plus détendu, et vous faites du développement. Mais si vous pariez et que vous arrivez au deuxième test avec le nouveau composant, mais qu'ensuite il ne fonctionne pas, c'est encore pire."

Ferrari veut alléger la F1-75

Si les éléments aérodynamiques sont évidemment le principal axe de développement des nouvelles voitures, comme pour toutes les équipes, Ferrari poursuit également un programme d'allègement. "Pour le moment, c'est en parallèle", explique l'ingénieur. "Parce que le poids est très important, ces voitures sont plus lourdes. C'est sûr que la réduction du poids est un axe majeur de notre développement. Nous avons le développement de l'aérodynamique, le développement de la mécanique, le développement du poids, donc nous travaillons en parallèle avec différents programmes, et nous reprenons là où nous voyons qu'il y a le plus de besoins. C'est quelque chose qui va de pair en ce moment."

Gagner du poids coûte de l'argent, mais comme le fait remarquer Albertini, il en va de même pour tout le reste du plateau : "Même une pièce légère comme le plancher est, d'une certaine manière, extrêmement coûteuse. Pour avoir une voiture légère, nous devons reconstruire les pièces métalliques dans des matériaux différents. C'est un coût important. Mais je peux vous dire que le développement aérodynamique, même si la partie n'est pas liée au poids, est très, très coûteux !"

Carlos Sainz, Ferrari F1-75

Carlos Sainz

Un package stable, qui ne change pas d'un week-end à l'autre, aide donc les pilotes à en tirer le maximum chaque week-end, à mesure qu'ils se familiarisent avec ses particularités. Mais s'agit-il plutôt d'une adaptation des pilotes ou d'une mise au point des réglages en fonction de leur style ?

"Comme d'habitude, c'est un peu des deux", estime Albertini. "Cette voiture était nouvelle pour les pilotes, et elle était nouvelle pour nous. Nous avons dû comprendre un peu, parce qu'ils ont dû changer la façon dont ils devaient l'appréhender, parce que cette voiture a une telle charge aérodynamique et une configuration mécanique différente par rapport à l'année dernière. Elle doit être pilotée différemment. Donc, en tant qu'équipe, nous devons comprendre quelle est la meilleure façon d'utiliser les compétences du pilote. Et le pilote doit s'adapter d'une certaine manière. C'est un peu des deux à nouveau, et nous devons trouver le juste milieu."

Les nouveaux pneus sont un élément clé que l'équipe et les pilotes ont dû comprendre, et encore une fois, un package qui ne change pas (ou peu) a aidé dans ce processus. Ferrari a constaté que dans l'ensemble, deux tours de préparation sur le pneu tendre sont optimaux pour les qualifications, par exemple.

"Cela dépend beaucoup du circuit, je pense", analyse l'Italien. "C'est une sorte d'équation, pneu, asphalte et conditions ambiantes. C'est sûr, cela fait aussi partie des tests que nous faisons le vendredi. Ce n'est pas comme si nous arrivions et que nous savions dès le début que nous aurons peut-être besoin d'un tour de préparation, ou peut-être pas. C'est quelque chose que nous devons tester. Et vous voyez aussi que certaines équipes le font, et d'autres non."

Le week-end prochain, le cirque de la F1 retrouvera Imola, à quelques kilomètres de Maranello. Il était donc attendu de la Scuderia qu'elle apporte de nouvelles évolutions devant son public. Cependant, Imola est le premier week-end à proposer un Sprint, et avec seulement une session avant les qualifications du vendredi, il ne serait pas logique de modifier le package gagnant. "Je pense que ce sera un week-end difficile pour ce qui est d'apporter des nouveautés et d'essayer de les évaluer lors des essais du vendredi", a noté le patron de l'équipe, Mattia Binotto, en Australie.

"Parce que vous devez évidemment vous concentrer sur les qualifications de l'après-midi. En ce qui nous concerne, il n'y aura pas grand-chose à Imola parce que, encore une fois, nous pensons que ce ne sera pas le bon endroit. Nous essayons d'atténuer les problèmes que nous avons eus jusqu'à présent, je pense au marsouinage qui a affecté nos performances [en Australie]. Donc nous essayons encore de travailler sur ce point spécifique. Mais pour les améliorations significatives, ce sera pour plus tard dans la saison."

La grande question maintenant est de savoir quel potentiel de développement peut être trouvé dans la F1-75 par rapport à la RB18, qui s'annonce comme la rivale principale en 2022. Le temps nous le dira.

Lire aussi :

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article

Voir aussi :

Article précédent Leclerc "confiant" sur la façon dont Ferrari gère ses faiblesses
Article suivant Alpine pourrait prêter Oscar Piastri en 2023

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France