Analyse

Le dilemme du cash derrière les choix du calendrier F1

La promesse de Liberty Media selon laquelle toute nouvelle course s'ajoutant au calendrier doit apporter une valeur ajoutée aux fans, aux équipes et à la Formule 1 en général a été remise en question par de multiples facteurs, découlant tous de la pandémie de COVID-19. Mais avec un œil sur le bilan comptable, la F1 va-t-elle à l'encontre de ses promesses avec ses récents projets ?

Stefano Domenicali, PDG, Formula 1, sur la grille

Stefano Domenicali, PDG, Formula 1, sur la grille

Mark Sutton / Motorsport Images

"Ce que nous voulons voir, c'est un circuit pour la course, nous ne voulons pas de circuits Mickey Mouse. Nous ne voulons pas de ces vieux circuits urbains classiques avec des virages à 90 degrés. Nous voulons des circuits rapides et sinueux, des circuits qui vont mettre les pilotes au défi – et ils vont adorer – et nous voulons des circuits où nous pouvons avoir des courses roue contre roue."

Tels étaient les mots de Ross Brawn au début de l'année lorsque, parlant du dessin du nouveau circuit d'Arabie saoudite, il s'est extasié à propos de la nouvelle approche adoptée par les propriétaires de la F1, Liberty Media, lorsqu'il est question d'ajouter de nouveaux éléments au calendrier.

L'époque où il suffisait d'un gros chèque du gouvernement local pour obtenir un Grand Prix, d'une somme colossale pour l'accueil de la course et d'installations de paddock rutilantes et attrayantes pour les invités commerciaux est révolue.

La F1 a traversé une période où les nouvelles courses, qui se déroulaient dans des endroits reculés devant des tribunes souvent vides, étaient présentées comme un plan d'expansion vers un monde nouveau mais ne rencontraient pas l'adhésion des fans de longue date. Et lorsque l'argent s'est épuisé, la F1 a rapidement remballé ses camions et s'est remise en route, prête à courir après le prochain gouvernement prêt à lui accorder une injection de fonds.

La qualité des courses n'avait pas d'importance pour les comptables de la F1, car tant que les dollars continuaient à affluer, ils étaient plus que satisfaits. Après le départ de l'ancien propriétaire de la F1, CVC, Liberty était censé remettre l'accent sur les courses.

L'extension du calendrier ne consiste pas seulement à se vendre aux plus offrants. La qualité du produit final le dimanche après-midi des Grand Prix était considérée comme essentielle, et pour cette raison, la F1 n'irait que sur les circuits qui, selon elle, pourraient faire honneur au spectacle.

Dans son siège londonien, la F1 a dûment consacré du personnel et des ressources techniques, sous la direction de Craig Wilson, ancien responsable de l'ingénierie de Williams, à faire fonctionner des modèles de simulation informatique afin de créer et de concevoir des circuits offrant des possibilités de dépassement.

C'est là qu'est née l'idée des virages inclinés de Zandvoort, et c'est là aussi que les ambitieux projets de circuits urbains au Vietnam et en Arabie saoudite sont devenus réalité, concrétisant ainsi la vision dont Brawn s'est si fièrement vanté.

L'argent est roi et les bruits selon lesquels le Qatar offrirait l'une, sinon la plus grosse somme d'argent pour l'organisation d'une course [...] expliquent certainement pourquoi il a été choisi pour cette année

Des sites tels que le Vietnam (qui n'a finalement pas été utilisé en raison du COVID-19) et l'Arabie saoudite devaient servir de modèle pour la construction de circuits encore meilleurs à l'avenir. "Rien n'est jamais à 100% – et nous ferons probablement une ou deux erreurs – mais cela contribuera grandement à créer le type de circuit que nous voulons", avait déclaré Brawn.

Mais au milieu de tout l'espoir que nous ont donné les paroles et les actes de Liberty (y compris ses choix populaires – mais imposés par la pandémie – de circuits tels que le Mugello, Imola et le Nürburgring), la décision d'inscrire le Qatar au calendrier de cette année a suscité quelques craintes.

Car dans une saison qui a tout d'un classique, avec si peu d'écart entre Lewis Hamilton et Max Verstappen, la F1 est confrontée à une course potentiellement cruciale sur un circuit qui est loin de la vision décrite par Brawn. Le tracé de Losail, plat et sans particularités, s'est avéré bon pour le MotoGP, mais la nature de ses virages à moyenne et haute vitesse, alliée à de vastes zones de dégagement sans caractère, n'augure pas beaucoup d'excitation côté F1.

Tout comme le problème du Paul Ricard est la difficulté pour les voitures de se suivre d'assez près dans les virages de la séquence d'ouverture, cela pourrait être le cas de Losail. En fait, malgré tous les discours sur le fait que le Qatar est un ajout incroyable au calendrier, la F1 a déjà presque admis que la piste n'est pas la solution à long terme.

Il est assez révélateur que le jour même de l'annonce, la F1 ait déjà précisé que lorsque le championnat reviendra au Qatar en 2023, ce sera dans un nouvel endroit. Cela signifie soit un circuit complètement différent, peut-être un tracé urbain à Doha, soit un circuit de Losail modifié.

Comme l'a déclaré cette semaine le PDG de la F1, Stefano Domenicali : "Pour 2023, nous travaillons vraiment sur un autre plan pour voir quel est le meilleur site, sur lequel nous pouvons vraiment bâtir l'événement." Ce n'est pas exactement une approbation éloquente des perspectives de voir Losail offrir une bonne course cette année, et il serait dommage que le titre soit attribué au terme d'un événement ennuyeux.

Mais, en fin de compte, l'argent est roi et les bruits selon lesquels le Qatar offrirait l'une, sinon la plus grosse somme d'argent pour l'organisation d'une course dans le cadre de son contrat de 10 ans avec le Championnat du monde de F1 expliquent certainement pourquoi il a été choisi pour cette année.

N'oublions pas qu'à la suite de la pandémie, les revenus de la F1 ont subi un énorme coup. Il est donc évident que le rétablissement de la situation financière est une priorité. Et c'est aussi une bonne nouvelle pour les équipes car, comme elles partagent les revenus des droits commerciaux, elles bénéficieront aussi des revenus supplémentaires en provenance du Qatar.

Mais il arrive aussi un moment où, si Liberty court après l'argent aussi agressivement que l'a fait son prédécesseur CVC, cela pourrait nuire à son précédent mantra, qui était de satisfaire les spectateurs et d'améliorer le spectacle. Les fans ont ouvertement demandé sur les réseaux sociaux comment le Qatar, un pays sous le feu des projecteurs pour son bilan en matière de droits de l'Homme, s'est retrouvé au calendrier d'une discipline qui tient à mettre en avant son slogan #WeRaceAsOne.

Cette décision a également été prise au cours d'une semaine où les promesses antérieures de Liberty Media de s'assurer que le calendrier ne pousse pas le personnel des équipes au bord du gouffre ont également été remises en lumière. En 2018, lorsque la triplette composée des Grands Prix de France, d'Autriche et de Grande-Bretagne avait épuisé le personnel des écuries, les dirigeants de la F1 avaient clairement indiqué qu'il ne serait pas souhaitable d'organiser trois événements sur trois week-ends consécutifs à l'avenir.

Bien sûr, la pandémie de coronavirus en 2020 et la nécessité d'avoir un programme aussi complet que possible au cours de la seconde moitié de l'année ont fait des triplettes une obligation compréhensible que les équipes de F1 ont dû accepter pour la survie du championnat.

"Nous devons être plus équilibrés, et j'espère vraiment que l'année prochaine, lorsque la situation devrait être plus stable à cet égard, nous allons éviter autant que possible les triplettes" Stefano Domenicali

Mais au début de cette année, Domenicali a été clair sur le fait que ce n'était pas quelque chose qui devrait se reproduire une fois le monde revenu plus proche de la normale. "Nous devons être plus équilibrés, et j'espère vraiment que l'année prochaine, lorsque la situation devrait être plus stable à cet égard, nous allons éviter autant que possible les triplettes, car je comprends quelles sont les limites. Il faut aussi tenir compte des implications logistiques que nous [la F1] devons gérer."

Mais les trois triples Grands Prix prévus au calendrier de 2021 ne semblent pas être les derniers que la F1 aura à gérer. Dans le cadre des efforts déployés par la F1 pour faire rentrer les 23 courses qu'elle souhaite organiser en 2022 entre la mi-mars et la mi-novembre, d'autres triplettes sont envisagées, ce qui n'est pas du goût de plusieurs patrons d'écurie.

Il ne fait aucun doute que le désir de courir après ces courses supplémentaires et d'offrir le plus grand calendrier de l'Histoire de la F1 est alimenté par la recherche de revenus. Mais il reste à voir si l'amour des triples courses et des calendriers de 23 épreuves n'est qu'un épisode temporaire pour la F1, comme le fait de soutenir le tracé actuel de Losail.

Il sera donc fascinant de voir jusqu'où ira la F1 dans sa quête d'argent. C'est cet équilibre délicat entre ce qui est le mieux pour les affaires et ce qui est le mieux pour le championnat et les fans qui définira en fin de compte la façon dont nous percevrons le règne de Liberty.

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