Hommage

Du panneau publicitaire au top team : l'empire Red Bull de Mateschitz

Dans les années 1980, Dietrich Mateschitz a proposé à Gerhard Berger de financer sa carrière avec de l'argent qu'il n'avait pas encore. Visionnaire, l'homme d'affaires est devenu milliardaire et a bâti en Formule 1 un empire Red Bull capable de remporter des titres mondiaux. Une page d'Histoire tournée avec son décès, mais le livre est encore bien ouvert.

La Red Bull RB1 en 2005 à Melbourne

La Red Bull RB1 en 2005 à Melbourne

Andre Vor / Sutton Images

Depuis sa disparition samedi dernier à l'âge de 78 ans, il a beaucoup été question du parcours exceptionnel de Dietrich Mateschitz, devenu milliardaire après avoir cofondé en 1984 la marque Red Bull. Il avait alors investi 500 000 dollars et s'était associé à Chaleo Yoovidhya. Sa passion dévorante pour le sport et son soutien à de nombreux athlètes ont également été rappelés, autant que sa présence en Formule 1, évidemment, avec deux écuries et un circuit lui appartenant. Il y a toutefois eu du chemin pour en arriver là…

Dès le début, Dietrich Mateschitz est convaincu de l'utilité des sports mécaniques et extrêmes à des fins promotionnelles. Son arrivée en Formule 1 se fait via un sponsoring personnel, d'abord modeste, auprès de Gerhard Berger au milieu des années 1980. "Il n'avait pas encore créé de société", racontera le pilote autrichien. "Il n'avait pas vraiment d'argent non plus, mais il promettait de m'offrir la somme 'colossale' de 10 000 $. J'ai levé les yeux au ciel parce que cette somme ne menait nulle part en Formule 1, même en 1985. [Mais] dès le départ, il y avait quelque chose qui me plaisait chez lui et plus il parlait, plus j'aimais ce que j'entendais. Il était enthousiaste et convaincant." En 1989, Gerhard Berger devient le premier sportif sponsorisé par Red Bull à travers la signature d'un contrat historique.

De Sauber à Jaguar

Quelques années plus tard, en 1995, Red Bull s'associe à l'écurie Sauber, allant jusqu'à en acquérir 60% des parts. C'est cette même saison que Heinz-Harald Frentzen décroche, à Monza, le tout premier podium de la structure suisse en Formule 1. Sous l'ère Red Bull, les pilotes de renom qui passent à Hinwil ne manquent pas : on peut citer entre autres Johnny Herbert, Jean Alesi, Mika Salo, Nick Heidfeld, Giancarlo Fisichella ou encore Felipe Massa. L'histoire se brouille lorsqu'en 2001, Peter Sauber choisit d'engager l'inconnu Kimi Räikkönen en ignorant la préférence de son sponsor qui allait à Enrique Bernoldi. Le Brésilien sera placé chez Arrows par Red Bull, qui soutiendra d'autres espoirs par la suite.

Monza 1995 : la première F1 portant les couleurs de Red Bull monte sur le podium.

Monza 1995 : la première F1 portant les couleurs de Red Bull monte sur le podium.

Parallèlement à cette aventure avec Sauber, Dietrich Mateschitz a également commencé à soutenir la carrière de jeunes pilotes en formules de promotion, d'abord avec Helmut Marko, alors propriétaire d'équipe en F3000 et F3. "Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, il n'avait pas de budget pour se lancer mais Red Bull n'a cessé de grandir, et il semblait naturel de nous réunir", confiera en 2010 l'Autrichien dans des propos rappelant ceux de Gerhard Berger. Entretemps, il sera devenu le conseiller sportif numéro un du groupe, qu'il est toujours aujourd'hui.

C'est en 2004 que l'histoire va prendre un tournant capital mais inattendu. Christian Klien est soutenu par Red Bull et placé chez Jaguar : à la fin de la saison, Ford veut quitter la Formule 1 et se séparer de l'écurie britannique qui lui appartient. Dietrich Mateschitz, qui a un temps envisagé le rachat d'Arrows auparavant, saute sur l'occasion. Pour un dollar symbolique mais avec la promesse d'investir 400 millions sur trois ans, il reprend l'équipe basée à Milton Keynes et se sépare définitivement de Sauber. "J'ai toujours dit que l'investissement le plus économique en Formule 1 était d'acheter une écurie", annonce-t-il alors. "La responsabilité et les dépenses viennent après."

Red Bull Racing dispute son premier Grand Prix à Melbourne, en 2005.

Red Bull Racing dispute son premier Grand Prix à Melbourne, en 2005.

"À l’été 2004, Ford a donné aux dirigeants de Jaguar Racing trois mois pour trouver un repreneur, sans quoi ils allaient fermer les portes de l’usine", se souvient Mark Gallagher, directeur du sponsoring chez Jaguar Racing à l’époque. "Peu de temps après la conclusion de l’accord, Mateschitz est venu à Milton Keynes pour s’adresser à nous. Il était debout devant les 600 employés et il a décrit pourquoi il avait acheté l’équipe et quelle était sa vision, expliquant que c’était la réalisation de l’ambition de sa vie. Il a dit que nous étions là pour gagner et a réitéré le fait qu’il avait connu le succès dans tout ce qu’il avait entrepris avant. Tout ce que Red Bull a fait en F1 est né de ce premier discours, et il a coché chaque case de ce qu’il voulait accomplir en F1."

L'inspiration de l'homme d'affaires va plus loin quand, en accord avec Helmut Marko et à la surprise générale, il recrute Christian Horner, alors tout jeune patron de 31 ans à la tête de l'écurie Arden en F3000, et lui confie les rênes de l'équipe devenue Red Bull en 2005. Il s'attache également les services de David Coulthard pour faire équipe avec Mark Webber. Mais Dietrich Mateschitz n'est pas rassasié et, un an plus tard, il reprend l'écurie Minardi alors en grande difficulté financière, et la renomme Scuderia Toro Rosso. Le rachat se fait à parts égales avec Gerhard Berger. L'idée est d'en faire une équipe capable de former les jeunes pilotes du giron Red Bull. "Nous avons plus de pilotes que de baquets", explique alors Dietrich Mateschitz. "Nous avions deux solutions : trouver des places pour nos talents dans d'autres écuries ou augmenter notre nombre de baquets. Nous avons opté pour la seconde, simplement car nous pouvons tout contrôler."

En fait, c'est du sérieux !

Au départ, Red Bull Racing n'est guère plus qu'une écurie Jaguar rebaptisée, équipée de moteurs Cosworth. Le projet est d'ailleurs plutôt mal vu à ses débuts car beaucoup considèrent qu'il est uniquement marketing et que les deux écuries ne peuvent avoir aucun autre destin que celui d'être des panneaux publicitaires roulants. Christian Horner se révèle toutefois être un patron efficace et capable de changer la culture de ses troupes. Fin 2005, avec le soutien de Dietrich Mateschitz, il parvient à convaincre Adrian Newey de rejoindre l'aventure pour devenir directeur technique. Le génie de l'ingénieur britannique est déjà largement reconnu et ses succès personnels déjà nombreux. "Si j'avais le choix entre Adrian Newey et Michael Schumacher, je choisirais Adrian à chaque fois", lance même Christian Horner. Son arrivée fait définitivement basculer le projet Red Bull dans une autre dimension.

Adrian Newey, Dietrich Mateschitz et Helmut Marko fêtent le titre mondial à Abu Dhabi en 2010.

Adrian Newey, Dietrich Mateschitz et Helmut Marko fêtent le titre mondial à Abu Dhabi en 2010.

La réussite n'est pas immédiate, avec une saison 2006 difficile en utilisant le moteur Ferrari. En 2007, Red Bull entame son partenariat avec Renault et Adrian Newey met réellement sa patte pour la première fois sur une monoplace conçue à Milton Keynes. Le tout dans une période où un autre recrutement consolide les fondations : celui de Sebastian Vettel, soutenu dès ses années karting par Dietrich Mateschitz et placé chez Toro Rosso fin 2007, écurie avec laquelle il signera pole position et victoire lors d'un inoubliable Grand Prix d'Italie un an plus tard. La petite structure de Faenza a donc gagné en Formule 1 avant Red Bull, chez qui Sebastian Vettel débarque en 2009 et où il empoche quatre victoires, auxquelles s'ajoutent les deux de Mark Webber. C'est le début d'une ère de succès qui va durer de 2010 à 2013. Quatre années durant lesquelles Red Bull empoche tous les titres mondiaux et où Dietrich Mateschitz voit son rêve ultime se concrétiser.

Mateschitz laisse faire… et ça marche

La saison 2014 marque l'entrée dans l'ère turbo hybride et Red Bull souffre du retard de performance et de fiabilité de Renault. Daniel Ricciardo parvient certes à signer trois victoires mais Sebastian Vettel est en difficulté, poussant l'Allemand à quitter l'équipe pour réaliser son rêve de devenir pilote Ferrari. Dietrich Mateschitz perd son talisman, mais les troupes de l'Autrichien ont un coup d'avance et ont réussi, aux dépens de Mercedes notamment, à mettre la main sur Max Verstappen, âgé seulement de 17 ans quand il débute chez Toro Rosso en 2015. L'ascension du Néerlandais est météorique, il rejoint l'écurie principale dès 2016 et s'y impose dès son premier Grand Prix, en Espagne.

Tout n'est pourtant pas rose pour Red Bull, dont les relations avec Renault ne cessent de se détériorer. La période voit même Dietrich Mateschitz brandir la menace de claquer la porte de la Formule 1. Fin 2016, celui dont la parole demeure très rare admettra le coup de bluff : "Vraiment, nous n’avons jamais pensé à ça". C'est aussi l'un des derniers dossiers brûlants sur lequel il s'implique autant publiquement.

Malgré les succès de Daniel Ricciardo, l'entrée dans l'ère hybride est compliquée pour Red Bull.

Malgré les succès de Daniel Ricciardo, l'entrée dans l'ère hybride est compliquée pour Red Bull.

Quelques mois plus tard, Christian Horner et Helmut Marko, dont l'influence est à son paroxysme, parviennent à le convaincre de se lier à Honda en dépit des difficultés énormes du motoriste japonais avec McLaren. L'image de Honda est abîmée, les critiques nombreuses et les moqueries dévastatrices devant les piètres performances réalisées pour son retour. Vaille que vaille, Red Bull se jette à l'eau et, là encore, pari gagnant ! L'année de transition avec Toro Rosso en 2018 est prometteuse ; elle se confirme en 2019 lors de l'arrivée du bloc nippon chez Red Bull, et l'histoire s'écrit à nouveau quand Max Verstappen offre à Honda sa première victoire dans l'ère Red Bull, le tout en Autriche, sur le circuit racheté et rénové par Dietrich Mateschitz pour devenir le Red Bull Ring et le théâtre d'un retour du Grand Prix national de la marque depuis 2014.

Cette victoire est sans aucun doute un jalon importantissime dans l'histoire de Red Bull. Elle est suivie de deux autres, puis de nouveaux succès en 2020, jusqu'à ce que Max Verstappen dispute le titre à Lewis Hamilton en 2021 et soit finalement sacré Champion du monde à Abu Dhabi. Pourtant, Honda est sur le départ, mais une énième – et dernière – fois, Christian Horner et Helmut Marko ont convaincu leur grand patron de voir plus grand : bâtir un département moteur à Milton Keynes pour rendre l'écurie indépendante grâce à Red Bull Powertrains, tout en gardant ouverte la possibilité d'y associer un motoriste à l'avenir. Dietrich Mateschitz n'est plus, mais son héritage dans l'univers de la Formule 1 est probablement sans égal. Et loin de s'éteindre.

Max Verstappen dans les bras de Dietrich Mateschitz en 2018.

Max Verstappen dans les bras de Dietrich Mateschitz en 2018.

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