Colapinto va lui succéder : l'histoire du dernier pilote argentin en F1
Vingt-trois ans qu'un pilote argentin n'avait pas pris le départ d'un Grand Prix. L'ultime représentant du pays ayant offert à la F1 Juan Manuel Fangio et Carlos Reutemann s'appelle encore Gastón Mazzacane... jusqu'à ce week-end à Monza, où Franco Colapinto débutera chez Williams.
Photo de: Rainer W. Schlegelmilch
L'Argentine est un pays ayant connu un franc succès dans les premières années du Championnat du monde de Formule 1, Juan Manuel Fangio et ses cinq titres mondiaux entre 1951 et 1957 étant le meilleur exemple. José Froilán González a également inscrit son nom sur les tablettes de la discipline en devenant le premier homme à faire triompher Ferrari, lors du Grand Prix de Grande-Bretagne 1951, et en achevant la saison 1954 à la deuxième place du classement, derrière son compatriote Fangio.
À cette même époque, il n'était pas rare de voir de nombreux pilotes tenter leur chance en F1 uniquement lors de leur Grand Prix national. Et grâce à la présence du Grand Prix d'Argentine au calendrier jusqu'en 1960, 15 des 22 pilotes argentins ayant couru en catégorie reine ont roulé lors de la première décennie de la F1.
Parmi les sept pilotes restants, Carlos Reutemann a été le plus performant. Resté au plus haut niveau de la compétition automobile pendant dix ans, celui qui s'est éteint le 7 juillet 2021 a participé à 146 Grands Prix, remporté 12 victoires, signé 45 podiums et été vice-Champion du monde en 1981, accusant un point de retard sur Nelson Piquet.
Totalement démotivé à la suite de cette défaite sur le fil, Reutemann a raccroché son casque en 1982, au bout de deux courses. S'il est encore aujourd'hui le dernier homme à avoir fait retentir l'hymne national argentin, il n'a pas été le dernier représentant de ce pays d'Amérique du Sud. Il a fallu attendre 1998 pour voir un autre Argentin disputer une saison complète en F1 : Esteban Tuero. Le huitième pilote le plus jeune de l'Histoire à avoir pris le départ d'une course devait rempiler chez Minardi en 1999, mais il est finalement retourné en Argentine.
Heureusement, les fans n'ont pas attendu beaucoup plus longtemps pour voir de nouveau l'un des leurs dans une monoplace de F1. Toujours en 1999, Gastón Mazzacane a décroché le poste de pilote d'essais chez cette même écurie Minardi, qui a décidé de le titulariser la saison suivante.
Pour sa première année dans la catégorie reine, il a répondu aux attentes de l'écurie de Faenza en décrochant une huitième place au Grand Prix d'Europe, qui n'était pas synonyme de points à l'époque, et se hissant temporairement à la troisième place au Grand Prix des États-Unis. Sur un circuit d'Indianapolis s'asséchant au fil des tours, l'Argentin, encore en pneus intermédiaires, a résisté pendant plusieurs boucles à Mika Häkkinen, double Champion du monde en titre !
Gaston Mazzacane avec Minardi au GP de Belgique 2000.
Photo de: Minardi
"De toute évidence, [Häkkinen] a eu des occasions de me dépasser et il ne l'a pas fait parce que je n'ai commis aucune erreur", confiait l'intéressé à Motorsport.com il y a deux ans. "Je me sentais extrêmement à l'aise, même si cela oscillait. Ce n'était ni la première ni la dernière course. C'est comme les joueurs de football qui, lors d'un match, sont en état de grâce et réalisent une performance époustouflante. Cela peut arriver pour leur premier match ou cinq ans plus tard."
De Minardi à Prost
Mazzacane devait poursuivre avec Minardi en 2001. Néanmoins, une opportunité avec Prost Grand Prix s'est présentée, une équipe qui, en apparence, semblait avoir de plus grands objectifs.
"C'était très prometteur sur le plan sportif et dans tous les sens du terme", se souvient l'Argentin. "Nous n'allions pas gagner des courses, mais je pense que nous pouvions partir du bas du tableau et nous battre pour le top 10 ou aux alentours à chaque course. Mais cela n'a pas eu lieu car le projet a muté, pour le pire malheureusement. Parfois, cela se produit dans l'autre sens, mais ce n'était pas le cas [ici]. Au lieu d'un horizon dégagé, une tempête s'est installée au fil des mois et j'étais en plein dedans."
Prost avait pourtant débuté sa cinquième saison en F1 sur les chapeaux de roue en s'adjugeant les meilleurs temps des essais de pré-saison. Mais ce n'était qu'une parade pour attirer des sponsors, les finances de l'équipe ayant viré au rouge écarlate.
"Tout allait moyennement bien jusqu'à la première course, à Melbourne, où le flux économique des investisseurs de l'équipe, l'un d'entre eux étant [Pedro] Diniz, n'était pas celui dont Alain Prost avait besoin à ce moment-là. À peine après avoir signé un accord pour la fourniture de moteurs et de boîtes de vitesses par Ferrari, il comptait sur l'argent de ses investisseurs pour affronter le début de la saison."
Selon Mazzacane, lorsque les problèmes sont apparus, le comportement de son patron a changé, et ses relations avec le pilote ou les autres membres de l'équipe se sont dégradées. "J'étais proche de Prost dès que je suis entré dans l'équipe. Mais quand il a commencé à avoir ces difficultés, il a eu plus de problèmes avec moi et avec tout le monde. Il a pris ses distances, il s'est isolé. Il avait des problèmes financiers et il était dépassé par [la situation]. Ça se voit quand quelqu'un veut s'impliquer mais que son esprit est ailleurs."
Gaston Mazzacane sous les couleurs de Prost GP à Imola en 2001.
Photo de: Prost Grand Prix
En plus de ces circonstances particulièrement difficiles à gérer pour un pilote, Mazzacane devait tenir la dragée haute à Jean Alesi, vainqueur de Grand Prix et fort d'une expérience de 12 ans en catégorie reine. L'Argentin a également souffert de nombreux problèmes mécaniques, qui ont causé trois abandons lors des quatre premières courses de 2001.
"Peut-être que je n'ai pas tiré le meilleur de la voiture en qualifications, je n'ai pas été capable de le faire. En course, je crois que j'aurais pu être beaucoup plus compétitif, mais je n'en ai pas eu la chance parce que nous n'avions pas la fiabilité nécessaire. Nous avons eu de nombreuses casses, tout le temps. J'ai abandonné en Australie, au Brésil et à Saint-Marin. Le seul Grand Prix que j'ai pu terminer, c'était en Malaisie, sous la pluie. Une course très atypique."
Les adieux d'Imola
Lors du week-end du Grand Prix de Saint-Marin, quatrième manche du calendrier, Mazzacane était convaincu qu'il n'était plus en odeur de sainteté dans l'écurie française et se préparait donc à vivre ses derniers jours avec Prost. "Mon père est venu à Imola, nous étions ensemble pour cette course en sachant que c'était la dernière. Il est venu [me voir] lors de deux courses. La première avec Minardi en Australie [en 2000] et la dernière. Mes débuts et mes adieux."
"Cependant, plus tard, nous avons pensé que [ma carrière en F1] pourrait se prolonger. Les équipes commençaient à tester le contrôle de traction pour la saison suivante, lorsqu'il allait devenir légal [il fut de nouveau autorisé en F1 dès le GP d'Espagne 2001, ndlr], et Prost ne faisait pas exception. Il y a eu un test à Silverstone la semaine suivant Imola. Ils m'ont demandé de piloter. Après ce test, j'ai été licencié."
Le divorce entre Mazzacane et Prost s'est résumé à une lettre reçue à son appartement de Paris, où il s'était installé en début d'année pour être proche du siège de Guyancourt, "et pour montrer mon envie de faire partie de l'équipe", ajoute-t-il. La lettre de licenciement reste la dernière communication entre le pilote et l'équipe française. "Personne d'autre ne m'a parlé", déplore Mazzacane.
Son rêve ayant définitivement pris fin, le pilote a ressenti le besoin de trouver refuge auprès de sa famille et de ses amis, restés en Argentine. Une erreur selon lui. Quelques mois plus tard, Mazzacane était de retour dans le paddock, en qualité de simple spectateur, au Grand Prix des États-Unis, un an après son quart d'heure de gloire à Indianapolis.
"À cette époque, vous deviez être présent, personne n'allait vous appeler au téléphone pour prendre de vos nouvelles. J'essayais de revenir. Je travaillais avec mon groupe, je testais des voitures, j'analysais mes possibilités de retour en sport automobile. Je n'étais pas bien, psychologiquement, j'étais au plus bas. Mais pour rester en F1, il fallait être là."
"J'avais pris la décision de retourner en Argentine. C'était une erreur, mais j'avais besoin de mes proches. À cette époque, j'étais célibataire et cela vous pousse à chercher du soutien auprès de votre famille et de vos amis."
Gaston Mazzacane a disputé 21 Grands Prix en F1.
Interrogé sur l'implication de Pedro Diniz dans son renvoi, Mazzacane a un avis bien tranché sur celui qui fut pilote de F1 puis investisseur dans Prost Grand Prix. "Je crois [que Diniz a fait pression], personne ne me l'a jamais dit mais je le vois de cette façon. Ils devaient mettre un pilote brésilien et c'est ce qui s'est passé [Luciano Burti ayant remplacé Mazzacane en Espagne, ndlr]. Je n'en veux à personne, ce sont des politiques sportives au sein d'une équipe de course."
La folle tentative de retour en 2002
La situation de l'écurie d'Alain Prost ne s'est pas arrangée après le départ de Mazzacane, l'écurie titularisant cinq pilotes au total en 2001. Burti, en provenance de Jaguar, est arrivé à la fin du mois d'avril. En août, Alesi a quitté l'équipe et a été remplacé par Heinz-Harald Frentzen, remercié par Jordan. Enfin, le pilote tchèque Tomas Enge a pris part aux trois dernières courses à la place de Burti, blessé à la suite d'un accident au GP de Belgique.
Ce que le quadruple Champion du monde français redoutait est finalement arrivé au début de l'année 2002 : Prost Grand Prix a mis la clé sous la porte, et Phoenix Finance, un consortium dirigé par l'homme d'affaires britannique Charles Nickerson a repris une partie des actifs de l'équipe. Nickerson a notamment reçu le soutien de son ami Tom Walkinshaw, propriétaire de l'équipe Arrows, et comptait participer à la saison 2002 avec les "vieux" châssis AP04.
Mazzacane a vu dans ce rachat une opportunité de revenir en Formule 1, et l'Argentin s'est jeté tête baissée dans cette nouvelle aventure. "C'était fou, ce qui s'est passé", commente-t-il. "Prost ferme l'usine et dit : 'J'ai une équipe de F1 à vendre'. Cela s'est produit de nombreuses fois en F1, mais pas dans la F1 moderne."
Tom Walkinshaw devant la presse à Melbourne en 2002.
Photo de: Arrows Grand Prix International
Après avoir pris le premier avion pour Londres, afin de signer son contrat, l'ex-pilote Prost a fait cap sur Sepang, où il s'imaginait s'installer sur la grille de départ le jour de la course.
"Je suis allé en Malaisie pour la présentation de l'équipe mais cela n'a jamais eu lieu. C'était très étrange. J'étais debout pour que la presse puisse prendre des photos de moi. Mais j'étais un peu gêné par toute cette situation. J'en suis ou je n'en suis pas ? Ai-je signé ou non ? Est-ce que c'est bien réel ? Tout était un point d'interrogation. Je n'avais rien à perdre. C'était ma chance. Si ça se passait bien, j'étais en F1", explique-t-il.
Mais l'effort de Phoenix pour rejoindre le Championnat du monde a rapidement été stoppé par la FIA, qui demandait un paiement de 48 millions de dollars, étape obligatoire pour toute nouvelle équipe souhaitant rejoindre la discipline. Lorsqu'il est devenu clair que Nickerson et Walkinshaw ne pouvaient pas faire renaître un phénix des cendres de Prost Grand Prix, Mazzacane a compris que sa carrière en F1 était définitivement terminée. "J'étais éliminé, il n'y avait plus d'opportunités. Mon temps était écoulé, de nouveaux pilotes arrivaient. J'étais hors-jeu. Mon heure était passée", reconnaît-il.
Rétrospectivement, Mazzacane n'aurait jamais dû quitter Minardi à la fin de la saison 2000 pour, au final, ne disputer que quatre courses de plus avec Prost. Mais selon l'Argentin, sa décision était loin d'être irresponsable compte tenu de la situation à Faenza. Gabriele Rumi, très affaibli par son état de santé, était à court de finances et ne parvenait pas à trouver un successeur au moteur Ford-Cosworth Zetec-R, qui propulsait la petite Scuderia depuis 1998 .
"C'est quelque chose qui m'a fait réfléchir : est-ce que je signe un contrat avec une équipe qui n'a pas de moteur ?", explique Mazzacane au sujet des raisons ayant motivé son départ vers Prost. "Nous sommes amis, voire une famille. Mais avec quel moteur allons-nous courir ? Est-ce que je dois m'asseoir et attendre ? Et s'ils n'ont pas de moteur ? Tout cela m'a fait réfléchir. Plus tard, Paul Stoddart est arrivé [l'Australien a racheté Minardi deux mois avant le début de la saison 2001, ndlr]. C'était après que j'ai signé avec Prost."
Plus de 20 ans après le Grand Prix de Saint-Marin 2001, la dernière apparition d'un pilote argentin en Formule 1, Mazzacane n'est pas rancunier, pas même à l'égard d'Alain Prost, avec qui il aimerait néanmoins avoir une conversation un jour. "J'aimerais lui parler après toutes ces années, simplement pour me souvenir. Il n'y a pas de reproche, pas de critique maintenant, à ce moment de ma vie. Ce serait uniquement pour me souvenir de ces moments, mais je n'en ai jamais eu l'occasion jusqu'à présent."
En fin de semaine, Gastón Mazzacane aura enfin un successeur : Franco Colapinto, 21 ans, fera ses grands débuts en Formule 1 au Grand Prix d'Italie. Williams a choisi le jeune Argentin pour succéder à Logan Sargeant jusqu'à la fin de la saison.
Gaston Mazzacane lors du GP du Brésil 2001.
Photo de: Prost Grand Prix
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