L'ancien pilote de F1 qui s'attaque à la NASCAR
Aux prises avec des Minardi peu compétitives, Tarso Marques n'a pas réussi à marquer des points lors de ses trois saisons partielles en Formule 1. Aujourd'hui, le Brésilien a l'occasion de montrer ce dont il est capable en NASCAR au sein de Team Stange, équipe nouvellement engagée en Cup Series.
En février, Jacques Villeneuve a fait les gros titres lorsque, du haut de ses 50 ans, il s'est qualifié pour la plus grande course NASCAR de l'année : le Daytona 500. Mais Villeneuve n'est pas le seul pilote de F1 des années 1990-2000 à viser une transition réussie vers la Cup Series, bien que la carrière du Champion du monde 1997 ne ressemble guère à celle de Tarso Marques. Le Brésilien fera ses débuts en NASCAR en juillet avec Team Stange, équipe nouvellement inscrite en Cup et dont les propriétaires visaient à l'origine un engagement en IndyCar.
L'histoire débute avec une supercar. Après avoir quitté le championnat brésilien de Stock Car en 2018 pour se concentrer sur son entreprise de voitures et motos personnalisées en plein essor, Marques s'est donné pour mission de bâtir l'arme ultime pour un trackday. D'une puissance de 1200 ch, selon le Brésilien, la TMC M1 a tapé dans l’œil de certains investisseurs aux États-Unis, et des contacts ont été pris par l'intermédiaire de John Stange, propriétaire d'une équipe d'ARCA. À noter que les chemins de Marques et Stange s'étaient déjà croisés, en 2004, lorsque le premier pilotait en Champ Car pour Dale Coyne et que le second avait garanti le soutien de Yoke TV à la petite équipe.
La conversation entre les deux hommes a ensuite dévié sur l'ambition de Stange de créer sa propre équipe IndyCar, après s'être associé à Arrow SPM en 2009 pour engager Oriol Servià aux 500 Miles d'Indianapolis. Et une fois que Marques a donné son accord pour aider l'équipe à se mettre à niveau avec quelques essais, la musique s'est emballée. Les investisseurs de Stange ont fait pression pour que Marques s'engage dans le projet en tant que pilote, bien qu'il ait répété maintes et maintes fois qu'il serait plus judicieux de prendre des recrues plus jeunes et au portefeuille plus fourni.
Marques ne cache pas qu'il a "décliné de nombreuses opportunités" pour continuer à courir, cela n'étant "plus [sa] priorité". Mais à force d'insister, Stange est parvenu à convaincre l'ancien pilote de F1 de reprendre du service. "Nous avons commencé à parler en novembre, je crois", se souvient Marques. "J'ai dit : 'John, tu peux avoir des milliers de pilotes, [des gars] de 20 ans, des nouvelles stars qui peuvent donner beaucoup d'argent à ton équipe. Je ne cours pas.' Et il m'a répondu : 'Non, nous ne voulons pas d'eux, nous te voulons toi', et ils ont insisté pendant deux ou trois semaines. Au début du mois de décembre, nous travaillions sur le contrat."
En 2019, Stange s'était associé à Schmidt Peterson Motorsports pour l'Indy 500
Mais une fois les signatures faites et le stylo reposé sur le bureau, l'équipe s'est heurtée à un problème concernant la fourniture de moteurs. L'idée de courir en NASCAR a alors émergée. En 2022, Team Stange engagera une Ford lors de huit courses Cup, en commençant par Road America, le 3 juillet. Après cela, Marques s'attaquera à la version routière d'Indianapolis, puis à Watkins Glen, à Daytona, au "rovale" de Charlotte, à Las Vegas, à Miami et à Phoenix en conclusion de la saison. Ces huit courses ont été choisies par le principal sponsor de l'équipe, l'entreprise de blockchain Dignity Gold.
En ayant déjà pris part à des championnats de monoplaces, de voitures de tourisme et de GT, Marques est motivé par l'idée de se mesurer à de vieux briscards dans l'une des rares disciplines qu'il n'a pas encore testées. "J'ai roulé sur tout dans ma vie, la NASCAR est la seule chose que je n'ai pas encore pilotée", explique-t-il. "J'ai toujours voulu savoir ce que ça faisait, au moins une fois. Pour le pilote, les courses sont incroyables parce que c'est tellement compétitif, ça devrait être vraiment amusant. Je pense que ça sera cool, j'ai vraiment hâte d'y être."
Les voitures sont si proches, les équipes sont là pour toute une vie et la plupart des pilotes aussi. C'est pourquoi nous n'allons faire que huit courses cette année, tout d'abord parce que nous devons construire les voitures et parce que nous avons besoin de temps.
Tarso Marques
Mais Marques ne se fait pas d'illusions sur l'ampleur du défi qui l'attend puisque cette équipe non-affrétée devra se qualifier pour pouvoir participer à ces huit courses. "Une saison difficile nous attend", admet-il. "La NASCAR est dix fois plus dure [que l'IndyCar], surtout pour se qualifier. Les voitures sont si proches, les équipes sont là pour toute une vie et la plupart des pilotes aussi. C'est pourquoi nous n'allons faire que huit courses cette année, tout d'abord parce que nous devons construire les voitures et parce que nous avons besoin de temps."
"Notre équipe n'est pas prête à participer au programme NASCAR normal parce qu'ils roulent presque chaque week-end. Nous devons faire une course et ensuite nous aurons besoin de deux ou trois semaines pour voir ce que nous avons mal fait et ce que nous devons ajuster pour essayer de nous améliorer un peu plus pour la prochaine course, et pour se préparer pour, peut-être, une meilleure saison l'an prochain. Mais nous savons que nous avons du pain du planche."
Marques insiste également sur le fait qu'il ne fait pas son retour en compétition pour prouver quelque chose, expliquant qu'il reprend le volant "pour [lui]-même". Il ajoute : "Je ne me soucie pas vraiment de ce que les gens disent, ceux qui disent du mal de moi, ce sont des gens qui ne me connaissent pas vraiment ou qui ne connaissent pas la situation. Ce n'est pas juste de juger un pilote si l'on ne connaît pas les conditions ; presque personne ne les connaît, seules les personnes dans l'équipe savent ce qui se passe."
Marques a hâte de relever le défi en NASCAR et de faire aussi bien que Jacques Villeneuve, qui s'est qualifié pour le Daytona 500 cette année
Par ailleurs, le dernier podium de Villeneuve en F1, au Grand Prix d'Allemagne 2001, donne un aperçu des grosses difficultés que Marques a dû affronter au cours de ses trois séjours chez Minardi en 1996, 1997 et 2001. À Hockenheim, une vanne de ravitaillement défectueuse sur la voiture de son coéquipier de l'époque, Fernando Alonso, avait poussé l'Espagnol à passer sur le mulet avant le départ. Après avoir connu le même problème, Marques a été contraint de composer avec la monoplace rafistolée d'Alonso, qui avait des réglages de baquet et de pédales différents.
Essayer de prendre place dans une voiture faite pour une personne plus petite de cinq centimètres a été, selon Marques, "un cauchemar", bien que le supplice ait pris fin rapidement avec la casse de la boîte de vitesses au 26e tour. Cela résume parfaitement une saison passée au volant de ce que l'on pourrait qualifier de pièces détachées sur roues, même si Marques a obtenu deux neuvièmes places qui lui auraient rapporté des points selon le barème actuel.
"Ma voiture et la voiture d'Alonso étaient complètement différentes", affirme-t-il au sujet du châssis PS01, qui a été délibérément alourdi pour pouvoir passer le crash-test. "[Ma voiture était] plus lourde, [avait] des freins de marque différente [et] moins de puissance parce qu'ils n'avaient pas assez d'argent. Avec ma voiture, j'étais parfois trois dixièmes plus lent, parfois près d'une seconde."
Des problèmes d'accélérateur l'ont empêché de se qualifier à 107% du meilleur temps à Silverstone, ce qui l'a mis sur la touche pour le reste du week-end. Mais selon Marques, les vieux moteurs Cosworth de l'équipe (rebadgés European en référence à la compagnie aérienne du patron, Paul Stoddart) avaient 150 ch de retard sur les meilleurs blocs même lorsqu'ils fonctionnaient à plein régime. "Je n'avais que 75% [de la puissance] avec la pédale enfoncée, donc nous avions presque 300 ch de moins", ajoute-t-il au sujet de sa non-qualification à Silverstone. "Comment puis-je faire un temps à 107% de la pole position ? Les gens disaient : 'Ce gars n'a même pas pu se qualifier', ce qui est ridicule. Mais je ne pouvais rien dire."
La carrière de Tarso Marques est celle d'une promesse non tenue, bien que les circonstances ne l'aient pas aidé. En 1995, à 19 ans, il avait dominé la course de Formule 3000 d'Estoril et avait aussi signé la pole position à Pau avant de s'accrocher avec Guillaume Gomez, son coéquipier chez DAMS. Ses deux Grands Prix avec Minardi l'année suivante, au Brésil et en Argentine, ont été corrects mais le Brésilien a dû attendre plus de 14 mois avant d'avoir une nouvelle opportunité, lorsque Jarno Trulli a été engagé par Prost pour remplacer Olivier Panis, blessé.
Marques a dominé la course de F3000 à Estoril en partant en pole mais n'a pas été aussi performant avec des armes plus modestes en F1
Marques révèle qu'il devait être titularisé aux côtés d'Ukyo Katayama en 1997 mais en refusant de signer un contrat de management présenté par Flavio Briatore, mentor de Trulli et copropriétaire de l'équipe, il a été rétrogradé au poste de pilote essayeur. Un évènement qui a marqué un tournant dans la carrière du Brésilien, selon l'intéressé. "Si j'avais signé avec Briatore, je suis sûr que j'aurais fini par remporter des courses et peut-être un championnat, parce que tous les pilotes qu'il a signés ont eu la chance de rouler pour une grosse équipe", fait-il remarquer.
La Minardi M197 propulsée par un modeste moteur Hart était loin d'être un foudre de guerre, pléthore de problèmes mécaniques n'ayant fait que refléter les moyens limités de la petite Scuderia. Pour le retour de Marques en F1, à Magny-Cours, son moteur a lâché après cinq tours. Le mois suivant, à Hockenheim, c'est la transmission qui a cassé sur la grille de départ. Et des problèmes de freins réguliers ont empêché le Brésilien de gagner toute confiance au volant.
Le nadir a été atteint au GP d'Autriche, lorsque Marques a été exclu après les qualifications en raison d'un poids trois kilos inférieur à la limite. Son équipe avait justifié ce manquement à la règle en expliquant qu'elle n'avait pas compensé par du lest le poids perdu par le pilote depuis sa dernière pesée...
Le package entier était mauvais l'année où j'ai couru pour Penske. L'année d'après, ils ont changé le châssis, le moteur et les pneus et c'était incroyable, ils ont tout gagné. L'équipe était bonne mais ce n'était pas le bon package à ce moment-là.
Tarso Marques
Mis sur la touche en 1998, Minardi lui préférant Shinji Nakano et Esteban Tuero, Marques s'est offert les services de Creighton Brown, ancien directeur de McLaren, pour gérer sa carrière. Il a été engagé par Team Penske l'année suivante pour remplacer Al Unser Jr., blessé, au volant de la seule voiture engagée par la célèbre structure en Champ Car. Mais l'équipe n'était pas aussi dominatrice qu'aujourd'hui et traversait à l'époque la plus longue série noire de son histoire (54 courses sans victoire entre 1997 et 2000). "J'étais au bon endroit au mauvais moment", résume Marques.
La "belle" PC27B de John Travis était munie d'un moteur Mercedes, qui n'était pas aussi puissant qu'un Honda ou un Ford, et de pneus Goodyear eux aussi inférieurs à la concurrence, à savoir Firestone. Faisant partie d'une rotation avec Alex Barron et le regretté Gonzalo Rodríguez, et alternant entre un châssis Penske maison et un Lola client, Marques a disputé quatre courses de plus après avoir remplacé Unser en début d'année mais n'est entré dans le top 10 qu'une seule fois, sur l'ovale de Jacarepaguá. "Le package entier était mauvais l'année où j'ai couru pour Penske", explique le Brésilien. "L'année d'après, ils ont changé le châssis, le moteur et les pneus et c'était incroyable, ils ont tout gagné. L'équipe était bonne mais ce n'était pas le bon package à ce moment-là."
Marques au volant de la Penske PC27B, la dernière voiture produite en interne par l'équipe du Captain, Roger Penske
En tant que seul pilote Swift en 2000, avec Dale Coyne Racing, Marques a dû lutter contre l'adversité. On ne l'a pas vu aux avant-postes, à l'exception des derniers miles du Michigan 500, en juillet. En passe de prendre un cinquième tour de retard, il a involontairement donné son aspiration à Juan Pablo Montoya pour offrir au Colombien la victoire sur la ligne face à Michael Andretti. Les autres passages chez Coyne, en 2004 et 2005, ont été tout aussi infructueux, mais Marques estime que les moments difficiles qu'il a dû traverser aidera Team Stange en 2022, lorsque l'équipe tentera de se faire un nom en Cup.
Le Brésilien reste réaliste quant à ses futures performances mais il ne manque pas de confiance et s'est engagé à long terme dans cette équipe ambitieuse, qui cherche à recruter des talents internationaux pour les divisions inférieures de la NASCAR. Stange a d'ores et déjà engagé Matteo Nannini, vainqueur en FIA F3 l'an passé, pour un programme partiel en ARCA et Ricardo Sperafico, champion de F3000 en 2000, a quant à lui rejoint le championnat GT Sprint Race Brasil (dirigé par Thiago Marques, le frère de Tarso), Dignity Gold cherchant à se développer en Amérique du Sud. Le rôle de Tarso Marques est donc bien plus que celui d'un simple pilote.
"Je pense que mon expérience de ces moments difficiles est probablement l'une des raisons les plus fortes qui ont motivé [Team Stange] à m'avoir", analyse-t-il. "Lorsque je suis arrivé en Formule 1, je n'avais aucune chance de piloter une voiture compétitive, en IndyCar non plus. Toutes les équipes dans lesquelles je suis allé n'étaient pas dans une bonne condition, donc nous n'étions pas compétitifs. Je suis habitué à ça, malheureusement !"
"Je resterai avec Team Stange qu'importe les conditions, même si on me propose d'aller dans la meilleure équipe. Si nous souffrons pour nous qualifier, je resterai avec eux, en travaillant dur, parce que j'étais à la retraite et ils m'ont fait confiance pour que j'aide l'équipe à se développer. Nous avons un accord sur le long terme et j'ai l'intention de rester et de travailler avec eux."
Marques a vécu le pire dans sa carrière, et ce sera un atout pour Team Stange lors de ses débuts en Cup
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