Pourquoi Petronas n'a toujours pas de pilote pour 2022
Le verrouillage de Raúl Fernández par KTM et le peu de coopération de Yamaha font que le team Petronas SRT n'a pas encore pu annoncer de pilote pour la saison prochaine. Après avoir vu l'Espagnol lui échapper, l'équipe malaisienne porte son dévolu sur Marco Bezzecchi, mais lui aussi est en lien étroit avec un autre groupe.
Qui aurait pu prédire la destinée du team SRT lorsque son arrivée en MotoGP a été annoncée à l'été 2018 ? La saison suivante, l'équipe marquait les esprits grâce à Fabio Quartararo, puis en 2020 elle signait de premières victoires et se battait pour le titre, véritable référence parmi les structures satellites. Mais en 2021, la voici qui se bat pour tenter de former un duo de pilotes en vue de l'année prochaine. Aussi étrange cela puisse-t-il paraître au vu de la vitesse affichée par le marché depuis quelques années, aujourd'hui la pause estivale est derrière nous et l'équipe malaisienne ne sait toujours pas qui défendra ses couleurs en 2022.
C'est d'autant plus frappant que SRT dispose de la moto qui occupe actuellement la tête du championnat (avec Fabio Quartararo, désormais sous les couleurs de l'équipe officielle) et qui a remporté le plus grand nombre de victoires à ce stade de la saison (cinq). Comment donc en est-ont arrivé là ? Si la question est logique, la réponse est tout aussi claire : SRT ne peut pas prendre de décision unilatérale. La structure est liée à Yamaha, et jusqu'à présent cela semble l'avoir plus freinée qu'aidée.
En plus de faire payer ses prototypes beaucoup plus cher que, par exemple, Ducati pour ses clients, la marque d'Iwata a fait prévaloir sa position de force sans écouter les souhaits de son équipe partenaire. Au terme d'une première saison ayant fait de Quartararo la nouvelle star du MotoGP, Yamaha l'a recruté dans son équipe d'usine et forcé Petronas à faire de la place à Valentino Rossi, de fait poussé hors du team factory. Il a beau être le pilote le plus universel qui soit, le #46 est aussi un profil qui ne correspondait pas du tout à la philosophie de SRT, orientée vers la promotion de jeunes pilotes.
Maintenant, afin de remplacer Maverick Viñales, qui a claqué la porte et renoncé à la deuxième année de son contrat actuel, Yamaha s'apprête à promouvoir Franco Morbidelli. L'Italien retrouvera donc son ancien coéquipier français, mais laissera derrière lui une équipe Petronas désormais privée de pilote, Rossi ayant pour sa part choisi de mettre un terme à sa carrière.
On pourrait penser qu'après avoir deux ans de suite fait son marché dans son équipe satellite, Yamaha pourrait lui donner un coup de pouce afin de trouver un remplaçant à Morbidelli, qui jusqu'à ce retournement de situation, était destiné à devenir le nouveau leader de la structure malaisienne. C'est pourtant le contraire qui se produit. Yamaha et SRT ne semblent assurément pas ramer dans la même direction, et l'équipe de Razlan Razali est plutôt pieds et poing liés lorsqu'il s'agit de recruter des pilotes. Compte tenu de l'investissement réalisé et du traitement reçu, il n'est pas surprenant que SRT ait tenté de s'allier à Suzuki, un plan qui n'a pas abouti puisque la marque basée à Hamamatsu a une fois de plus mis en attente son projet de disposer d'une équipe satellite.
Fernández premier choix de Petronas SRT
Sans avoir attendu la décision de Rossi concernant son avenir, Razlan Razali travaille depuis déjà des mois sur son remplacement. Son premier choix ? Raúl Fernández. Le jeune pilote espagnol, en lutte actuellement pour le titre Moto2, a toujours pensé que la M1 serait la moto la plus à même de lui permettre d'exploiter ses forces. Après plusieurs tentatives, le patron de SRT s'est toutefois heurté au refus de KTM, qui ne souhaite absolument pas perdre un autre de ses diamants bruts, comme cela s'est déjà produit avec Jorge Martín, recruté par Ducati et qui, en six courses en MotoGP, compte déjà deux pole positions et une victoire.
Le constructeur de Mattighofen a fini par officialiser le jeune Espagnol samedi, au beau milieu des essais libres du Grand Prix de Styrie. Si pour bon nombre d'observateurs la nouvelle n'avait rien de surprenant, cette annonce avait pour but de faire comprendre à Fernández qu'il n'irait nulle part. Dommage que cette précipitation ait secoué le camp KTM lui-même, puisque ni Iker Lecuona et Danilo Petrucci − de fait sans guidon pour 2022 − ni Hervé Poncharal, futur directeur d'équipe de Fernández, n'avaient été avertis de cette communication.
Mais en dehors d'un certain manque de sensibilité de la part de KTM, ce qui frappe le plus c'est le manque de volonté de Yamaha de répondre aux souhaits de Fernández. Et l'on a d'ailleurs vu le comportement du jeune pilote changer ces derniers jours. Loin de considérer son passage en MotoGP comme la chance de sa vie, il estime que les circonstances dans lesquelles il fera son entrée dans la catégorie reine, avec une moto et une équipe qui ne semblent pas lui convenir, pourraient compromettre sa carrière à moyen terme. "Serez-vous là où vous voulez être en 2022 ?" lui a demandé la journaliste de DAZN samedi, quelques heures après l'annonce de sa promotion. Et Fernández de répondre sans ambigüité : "Non". Et voilà que le passage en MotoGP d'un des pilotes les plus prometteurs de la jeune génération tourne à l'eau de boudin.
Preuve de l'ambiance délétère qui a fait suite à cette annonce, de nombreuses rumeurs ont circulé durant la suite du week-end, laissant penser que le mariage Fernández-KTM-Tech3 n'était peut-être pas si garanti qu'il y parait. Hervé Poncharal lui-même n'a pas caché que la situation était mouvementée. "Pour être tout à fait clair et honnête, il y a beaucoup de choses qui se passent dans le paddock", a déclaré le patron du team Tech3 au micro de Canal+ quelques instants avant le départ de la course. "On sait qu’il y a des motos très compétitives qui n’ont pas encore de pilote, il y a des retraites qui ont été officialisées ici. Tout ça, ça fait chauffer un peu la tête de beaucoup de monde, que ce soit des teams managers, des pilotes ou des managements de pilote. Aujourd’hui on a l’assurance que les contrats sont signés. On est évidemment très heureux d’avoir Remy Gardner et Raúl Fernández en 2022 avec nous. Maintenant, j’espère que les choses vont un peu se calmer et définitivement se clarifier parce que, pour ne rien vous cacher, il y a encore des mouvements 'behind the scene' [en coulisses] de certains managements et des réflexions. J’aimerais vous dire qu’on est définitivement clair. Contractuellement parlant, c’est vrai, maintenant, on va attendre un petit peu de voir comment les choses évoluent."
Yamaha possède un certain nombre d'accords avec KTM, dont certains dépassent les frontières du MotoGP, si bien qu'il vaut mieux pour SRT ne pas tenter de manœuvre qui pourrait être interprétée comme un acte de déloyauté de la part d'Iwata envers le constructeur autrichien. KTM s'assure d'avoir la mainmise sur la plupart des contrats signés et place ses pilotes où bon lui semble, sans beaucoup d'égards pour leurs souhaits. Outre une clause libératoire de 500 000€ dans son contrat, KTM a d'autres privilèges sur Fernández, comme par exemple le droit de refuser toute offre qu'il pourrait recevoir, et des services juridiques qui pourraient rendre plus coûteux et plus long tout éventuel arbitrage devant un tribunal. Tout ceci a donc conduit le pilote espagnol et Petronas à réaliser qu'ils ne seraient pas en mesure de concrétiser leurs souhaits à court terme. La seule issue serait peut-être que KTM réalise que cela n'a pas beaucoup de sens de donner une RC16 à un pilote qui n'en veut pas, mais elle paraît peu probable.
Bezzecchi tiraillé entre SRT et VR46
Morbidelli destiné à l'équipe officielle Yamaha et Fernández parti chez Tech3, Petronas SRT a concentré ses efforts sur une offre faite à Marco Bezzecchi. La proposition est bien plus attractive sur le plan sportif que sur le plan économique : si elle est acceptée, le #72 disposera en effet de la Yamaha à laquelle Morbidelli devait initialement avoir droit, à savoir le modèle de 2022, mais avec un salaire d'environ 200 000€ par an, très inférieur à celui qu'aurait perçu le Romain.
Il y a encore une semaine, Razlan Razali était certain que l'accord serait conclu… Mais à Spielberg, ce projet a été mis sur pause.
"Le problème, c'est que les offres de Petronas sont très en dessous du cachet des pilotes auxquels ils prétendent", explique à Motorsport.com l'agent de l'un des nombreux pilotes figurant sur une liste vaste et variée, allant de Bezzecchi à Iker Lecuona, en passant par Xavi Vierge, Augusto Fernández et même Darryn Binder, en lice pour être promu directement depuis le Moto3 et avec une seule victoire à son palmarès.
La meilleure carte de visite de SRT, ce sont les succès obtenus par Quartararo et Morbidelli (six victoires à eux deux), mais cela ne suffira peut-être pas à convaincre un jeune comme Bezzecchi. Le pilote de Rimini fait partie de la famille VR46 et il est également cité pour rejoindre le MotoGP avec le team de Valentino Rossi, qui insiste sur sa volonté d'aligner des pilotes de son Academy. Une partie de l'équipe technique qui l'accompagnerait dans son accession à la catégorie reine si elle devait se faire avec VR46 travaille avec lui en Moto2. En revanche, il disposerait d'une Ducati de 2021, théoriquement un cran en dessous de celle de son voisin de stand.
"Nous aimerions voir Luca [Marini] et Marco ensemble. Ce serait logique, étant donné que la philosophie de l'Academy est que nos équipes ne soient formées que par nos pilotes", a déclaré Rossi, pierre angulaire de tout le projet. "On a pensé faire ce team pour faire courir les pilotes de l'Academy, alors on aimerait n'aligner dans notre équipe que nos pilotes. C'est ça, notre programme."
En attendant d'éclaircir son avenir, Marco Bezzecchi poursuit son chemin, et dimanche il a remporté sa première victoire de la saison au Grand Prix de Styrie, un succès qui tombe à point nommé dans cette période clé pour son avenir.
"J'ai les deux offres sur la table : celle de VR46 et celle de Petronas. Je n'ai pas encore analysé les détails. La décision sera prise après la deuxième course en Autriche. Je sais que je veux monter en MotoGP l'année prochaine, mais je ne suis pas pressé de décider avec qui", a déclaré le jeune pilote italien, qui ne semble pas s'inquiéter de l'éventuel conflit que son arrivée dans la catégorie reine pourrait engendrer si jamais ses intérêts personnels ne rejoignent pas ceux de VR46, la société qui le représente légalement.
Quant à l'équipe Petronas SRT, dans le cas où elle ne parviendrait pas à s'attacher les services de Bezzecchi, il ne serait pas étonnant qu'elle finisse par s'orienter vers un binôme moins ambitieux, en donnant leur chance à deux jeunes à qui elle offrirait deux M1 de la spécification dite B, moins évoluée mais aussi moins chère que la spec A (celle des pilotes officiels). Une éventualité qui donnerait à Razlan Razali le temps de formuler une proposition attrayante afin de tenter de recruter un pilote de premier plan pour 2023.
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