Pol Espargaró dérouté par l'attentisme des marques japonaises
Bien qu'il voie du bon dans l'approche calme et mesurée du constructeur, Pol Espargaró a été surpris de voir Honda faire peu évoluer sa moto en cours de saison. Une tradition japonaise, selon lui, alors que les structures européennes sont "obsédées" par le fait d'obtenir des progrès plus réguliers.
Ces derniers mois, la mentalité japonaise a souvent été mise en avant pour expliquer les difficultés de Yamaha et Honda. Les traditions du pays le disent attaché au respect des protocoles en place depuis longtemps et fermé aux idées extérieures, ce qui a pu apparaître comme un frein. Le titre des pilotes remporté par Yamaha en 2021 aurait ainsi poussé la marque à ne pas chambouler une formule gagnante, même si Fabio Quartararo réclamait des progrès sur le moteur et paie actuellement cette faiblesse.
Déjà à la peine la saison passée, Honda a en revanche profondément modifié sa moto, dans une quête finalement vaine de gagner en adhérence à l'arrière. Les promesses du début d'année ont vite été démenties par les résultats en piste et aucun progrès notable n'a été réalisé. La firme a en plus payé l'absence de son pilote phare, Marc Márquez, pendant l'été, et l'Espagnol a quant a lui attribué les difficultés actuelles des constructeurs japonais aux restrictions liées au COVID-19, qui ont limité les échanges avec le pays.
Pol Espargaró a de son côté perçu un manque de réaction de la part de Honda. Celui qui quittera l'équipe officielle pour renouer avec KTM et Tech3 l'an prochain peut comprendre qu'il n'y ait "pas de motivation pour progresser", sachant que toute amélioration apportée à sa moto pourrait finalement informer un concurrent mais au cours de ses deux saisons chez Honda, il a été surpris par l'approche de la marque.
"J'ai été dans cette situation chez d'autres constructeurs et je dois admettre que ce n'était pas comme ça", confie Espargaró, qui a représenté Yamaha à travers l'équipe Tech3 au début de sa carrière, avant d'incarner le projet de KTM, l'une des trois marques européennes du championnat. Ces dernières ont pris l'habitude de faire évoluer leurs machines en cours d'année, ce qui a été évident chez Ducati cette année, avec de gros progrès dans le premiers tiers de la saison et des nouveautés encore lancées cet été. Les Japonais n'abordent pas la compétition de la même façon.
"Chez Honda, ils mettent tout dans le même panier", résume Espargaró. "Ils font une moto, ils croient que cette moto est incroyable et du moment où ils la mettent en piste ils ne continuent plus son évolution de toute l'année et n'améliorent plus le package. Quand ils mettent une moto en piste, ils se rendent compte de si elle est fonctionne ou non, et ensuite l'étape d'après est la prochaine moto, la moto de l'année d’après."
"J'ai le sentiment que les Européens travaillent de façon différente. Ils ont un nouveau package mais ce n'est pas la moto qui va terminer l'année. La moto qui va terminer l'année sera très différente et elle sera la moto de l'an prochain. Ce sont deux approches des choses différentes."
Pol Espargaró
Pol Espargaró ignore pourquoi les marques japonaises agissent ainsi et estime qu'il "faudrait leur demander", néanmoins il esquisse une théorie : selon lui, ces constructeurs ont peur de livrer des secrets à leurs adversaires en apportant des évolutions précipitamment pendant qu'en Europe, la course au développement prime, ce qui a mené aux différentes évolutions aérodynamiques et à l'apparition du holeshot device chez Ducati.
"Je pense que c'est quelque chose de culturel depuis de nombreuses années", analyse Espargaró. "Quand on travaille avec différents constructeurs, on peut voir que, par exemple, les Européens ne sont pas aussi effrayés que les Japonais à l'idée d'être copiés. Peut-être que c'est lié au fait que par le passé ils étaient les leaders et que tout le monde essayait de les copier. Plus maintenant."
"Il semble que les dernières technologies aérodynamiques et de réglages de la moto viennent d'Europe, et non plus du Japon. Mais mon expérience m'a montré que les Européens ne sont pas aussi obsédés par l'idée d'être copiés. Évidemment, ils sont obsédés par les progrès, le fait d'essayer d'être chaque jour meilleurs, de réfléchir et de se servir de leur imagination pour développer de nouvelles choses, de prendre un peu plus de risques. Et les Japonais travaillent de façon différente. Ce n'est ni bien ni mal, c'est juste différent."
Pol Espargaró voit même du positif chez Honda. Le premier constructeur mondial dispose de grosses infrastructures qui permettent de changer radicalement la moto après une mauvaise saison, chose plus difficile pour les marques européennes, ces dernières étant contraintes par leurs moyens à faire évoluer leurs machines par petites touches. Honda a donc le luxe de se permettre des échecs, sachant que les ressources seront là pour corriger le tir.
"Je pense [...] qu'un constructeur européen ne peut pas faire ce que Honda fait. Honda a la capacité de produire quatre motos différentes de quatre façons différentes. Ducati et KTM sont forts mais ils n'ont pas la possibilité de faire cela. Ils ont bien moins de 'muscles' que Honda. C'est une façon différente d'aborder la saison"
Pol Espargaró
"Évidemment, les Européens savent qu'ils doivent aller plus lentement dans le développement d'une moto car ils savent que s'ils font une mauvaise moto, si c'est un échec, ils le paieront bien plus que Honda. Pour Honda, deux ou trois ans de mauvais résultats ce n'est pas un gros problème. Enfin, ça l'est, mais ils le surmontent. Mais imaginez quatre ans de mauvais résultats de KTM. C'est un désastre."
Pol Espargaró considère également la prudence japonaise salutaire pour aborder les problèmes plus calmement que chez les marques européennes qui ont parfois le défaut de surréagir, au risque de complexifier les situations : "[Honda a] une bonne façon d'aborder les problèmes. Par exemple, dès que quelque chose ne fonctionne pas bien, c'est totalement la panique chez les Européens. Ça doit être amélioré tout de suite et il n'y a pas de patience, les résultats doivent être immédiats. Quand ça ne fonctionne pas, parfois on doit y travailler le lendemain."
"Parfois c'est bien, parfois pas du tout car on peut facilement et rapidement entrer en crise, et ensuite il est difficile de résoudre le problème parce qu'on a créé un petit problème au milieu d'un grand. Honda a cette patience pour analyser un peu plus en profondeur et 'épuiser' le problème. Et quand ils apportent quelque chose, c'est quelque chose qui fonctionne déjà. Ils ont du mal à amener des nouveautés mais quand ils le font ça fonctionne bien et c'est quelque chose de vraiment bien."
Avec Charlotte Guerdoux
Rejoignez la communauté Motorsport
Commentez cet articlePartager ou sauvegarder cet article
Voir aussi :
Meilleurs commentaires
Abonnez-vous pour accéder aux articles de Motorsport.com avec votre bloqueur de publicité.
De la Formule 1 au MotoGP, nous couvrons les plus grands championnats depuis les circuits parce que nous aimons notre sport, tout comme vous. Afin de continuer à vous faire vivre les sports mécaniques de l'intérieur avec des experts du milieu, notre site Internet affiche de la publicité. Nous souhaitons néanmoins vous donner la possibilité de profiter du site sans publicité et sans tracking, avec votre logiciel adblocker.