Comment la saga moteur Ferrari et le COVID ont mis Haas à genoux
Alors qu'il vient de quitter la tête de l'écurie Haas, qu'il dirigeait depuis une dizaine d'année, Günther Steiner s'est souvenu de deux épisodes qui ont marqué un coup d'arrêt presque mortel pour sa structure, avec la période charnière des années 2019 et 2020.
Dans un entretien exclusif pour Motorsport.com, Günther Steiner est revenu sur quelques épisodes de son passage de dix années chez Haas F1, quelques jours après l'annonce de la fin de sa mission à la tête de l'écurie.
Outre une divergence de points de vue sur le modèle et une saison 2023 terminée à la dernière place du classement constructeurs, Gene Haas a évoqué un aspect plus général pour expliquer le non renouvellement du contrat de Steiner : "C'est une question de performance", a expliqué le propriétaire de la structure pour le site de la Formule 1. "C'est notre huitième année en Formule 1, on a fait plus de 160 Grands Prix et nous ne sommes jamais montés sur le podium. Ces deux dernières années, nous avons terminés 10e ou 9e."
Quand nous l'avons interrogé sur l'absence de résultat marquant pour l'écurie, dont la meilleure position à l'arrivée d'un GP fut la quatrième place de Romain Grosjean en Autriche en 2018, Steiner a répondu : "Je pense qu'il faut revenir en arrière. Quand nous avons débuté, finir huitième la première et la deuxième saison, pour une nouvelle équipe, [ce n'était] jamais arrivé auparavant. Finir cinquième la troisième saison, ça n'est pas beaucoup arrivé par le passé."
Haas et le moteur Ferrari 2019
Selon Steiner, Haas ne disposait pas du controversé mais performant moteur de la Scuderia Ferrari en 2019.
Pour l'Italo-Américain, il est clair qu'ensuite la saison 2019 a marqué un premier tournant. D'ailleurs, si l'on se penche sur cette saison, il y a des similitudes troublantes avec 2023 : une voiture disposant d'un potentiel certain (certes bien meilleur en 2019) mais souffrant d'une gestion pneumatique catastrophique. Et puis, ensuite, un égarement dans le développement de la monoplace qui s'était traduit, pour la VF-19, par un retour à la version du début de saison en plein mois de juillet.
Toutefois, ce n'est pas sur ces aspects, qui en disent pourtant beaucoup sur l'écurie Haas et ses errements depuis ses débuts, que Steiner insiste. Non, pour lui, le tournant de 2019, c'est bien la saga du moteur Ferrari : "[Les résultats] ont chuté en 2019. Il y avait une raison à ça également, qui doit être expliquée : c'était l'année de la saga du moteur Ferrari. Et les gens devraient se pencher là-dessus. Ce n'était pas seulement pour Haas. Était-ce la meilleure voiture qu'Haas ait eu ? Non. Mais [valait-elle] la neuvième place ? Non. Alfa Romeo [motorisé par Ferrari aussi] a terminé huitième cette saison-là."
La "saga" à laquelle l'ancien directeur de Haas fait référence avait démarré par les doutes de la concurrence sur les performances moteur affichées en vitesse de pointe par la Ferrari SF90. Des doutes qui ont pris de plus en plus d'ampleur au fil de la campagne, marquée par 10 poles et trois victoires, au point de faire intervenir la FIA. La Scuderia était notamment soupçonnée d'avoir trouvé un moyen de "contourner" le débitmètre FIA censé mesurer le débit d'essence ou encore de brûler de l'huile pour permettre une sorte de "boost" sur une courte durée.
"Comment ça aurait pu se passer avec un moteur normal ? Ça aurait été autre chose que la neuvième place."
Une directive technique avait fini par être publiée par la FIA, rappelant toutes les écuries au règlement, ce qui a coïncidé avec une baisse de forme de Ferrari en fin de saison 2019. Mais ce n'était pas l'épisode final de ce feuilleton puisqu'à l'hiver 2019-2020, la fédération a mené une enquête plus poussée et conclu à la suite de celle-ci un accord aux termes secrets avec le constructeur italien. Si rien n'a été publiquement révélé sur les clauses de cet arrangement malgré le tollé provoqué, beaucoup d'observateurs et de fans ont émis l'hypothèse que, d'une manière ou d'une autre, le manque de compétitivité criant du moteur Ferrari en 2020 et, dans une moindre mesure, en 2021 était une conséquence de cet accord.
Mais alors pourquoi diable évoquer 2019 ? Tout simplement car Steiner explique que son écurie ne disposait pas du fameux moteur controversé mais performant : "Parce que si vous démarrez avec 2018, lorsque l'équipe a terminé cinquième, c'était plutôt bien. 2018-2019, comment ça aurait pu se passer avec un moteur normal ? Ça aurait été autre chose que la neuvième place."
Haas et la pandémie de COVID-19
Günther Steiner avec un masque de protection lors du GP de Russie 2020.
La polémique sur l'accord moteur entre Ferrari et la FIA allait toutefois bien vite être balayée par la pandémie de COVID-19 et ses conséquences sur la Formule 1. Pour Haas, avant même le déclenchement de cette crise sanitaire mondiale, l'avenir n'était pas tracé : Gene Haas envisageait un retrait, avant de finir par y renoncer.
Mais l'incertitude dans laquelle l'équipe a fonctionné, et les conséquences des décisions prises durant cette période pour la sauvegarder, se sont selon Steiner faites sentir les années suivantes. À commencer par 2021, avec une Haas sous-développée et confiée au duo de rookies Mick Schumacher-Nikita Mazepin, dans ce qui était à l'époque présenté comme un choix pour mieux préparer l'entrée en lice de la réglementation technique 2022.
"[Quand] 2020 est arrivé et quand la pandémie est arrivée, nous... Je veux dire, on m'a dit de fermer l'équipe. Qu'est-ce qu'on faisait ? On laissait les gens s'en aller, tout était stoppé. En 2021, on est revenus mais, je veux dire, on n'avait pas fait qu'un pas en arrière en 2020, on en avait fait deux."
"En 2021, les gens oublient qu'il fallait repartir de zéro, parce qu'il fallait trouver de nouvelles personnes à nouveau, de nouveaux bureaux, tout ça. Parce que tout ce que nous avions construit avec Dallara [qui fabrique les châssis de Haas] était perdu, car nous avions annulé leur contrat en 2020. Nous n'avons pas eu de résultats [2021 est la seule saison de l'histoire de Haas sans aucun point inscrit, ndlr], parce que nous n'avions pas du tout développé la voiture."
"Ce n'est pas que tout d'un coup, tout le monde est devenu stupide. [...] Ces années-là, il y a juste eu beaucoup de circonstances que les gens ont oublié désormais."
"Donc, en 2021, des gens de Ferrari sont venus, sous la direction de Simone Resta [directeur technique mis à disposition par la Scuderia, et qui a d'ailleurs quitté Haas au même moment que Steiner]. Et je pense que Simone a fait du bon travail en mettant sur pied une équipe sur une très courte période de temps, et nous avons à nouveau terminé huitième en 2022."
"Et, bien sûr, en 2023, on a un peu manqué le train, mais en compétition ça peut arriver. C'était juste de très mauvaises années, [mais] il y a toujours eu une raison derrière le fait qu'elles étaient mauvaises. Et il faut que ce soit, je pense, un petit peu expliqué. Parce que je crois que le moment où Haas a vraiment reçu un coup de pied dans les parties, c'était en 2020 quand l'équipe était prête à mettre la clé sous la porte."
"Quand vous fermez, en fait, il est plus facile de totalement repartir de zéro que de repartir à moitié avec du neuf. Parce qu'alors, il y a tout l'héritage, mais il manque la moitié des gens. Et, bien entendu, certains des bons manquent à l'appel. Il a donc fallu rebâtir, et ça coûte de l'énergie, de l'argent... tout."
"Ensuite, évidemment, toutes les autres écuries ont commencé à bâtir leur infrastructure en 2021 et 2022. Elles ont toutes commencé parce que [fin] 2020, l'ère du plafond budgétaire commençait. Elles ont toutes commencé à bâtir, et pas Haas. C'est pourquoi tout est lié. Ce n'est pas [que] tout d'un coup, tout le monde est devenu stupide. Je dis toujours : 'Vous ne devenez pas stupide en un an'. Ces années-là, il y a juste du beaucoup de circonstances [que] les gens ont oublié désormais."
Avec Alex Kalinauckas
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