La saison sans osmose d'un team Tech3 loin de ses attentes
Associer deux rookies annonçait forcément quelques difficultés, mais Hervé Poncharal, la direction de KTM et les pilotes concernés ne s'attendaient sans doute pas à une saison aussi complexe. La mayonnaise n'a finalement jamais pris et de part et d'autre c'est avec un certain soulagement qu'on a vu le chapitre se refermer.
Jamais encore le team Tech3 n'avait connu saison plus rude depuis qu'il figure sur la grille MotoGP. Dernière du classement des équipes, comme l'an dernier, l'équipe française n'a cette fois glané que 27 points au cours des vingt Grands Prix disputés, un bilan comptable douloureux pour celle que l'on a souvent vue parmi les meilleures formations de la catégorie reine, et même sur le podium du championnat des équipes par le passé.
La structure d'Hervé Poncharal avait la particularité d'aligner deux pilotes débutants cette saison, et force est de constater qu'aucun d'eux n'a trouvé la clé pour performer au guidon de la KTM RC16. Jamais entrés dans le top 10 en course, Raúl Fernández et Remy Gardner n'ont atteint les points que six fois chacun pour cumuler finalement 14 et 13 unités respectivement, du même acabit que la collecte d'un Darryn Binder arrivé avec des ambitions bien plus modestes que les leurs.
Hervé Poncharal le reconnaît aisément, cela n'a pas seulement été compliqué comme cela pourrait se comprendre pour n'importe quel rookie ; les difficultés ont été bien au-delà de ce que quiconque avait imaginé. "Quand tu es Remy Gardner, Champion du monde Moto2, ou Raúl Fernández, vice-Champion du monde Moto2, au vu de ce qu'il s'est passé les saisons précédentes tu t'attends à ne pas être trop mal. Et surtout, tu t'attends à te battre pour le titre de rookie, c'était l'objectif numéro un, et malheureusement ça ne s'est pas fait", déplore-t-il en dressant le bilan pour Motorsport.com.
"La saison a été compliquée", concède le patron de l'équipes de Bormes-les-Mimosas, "mais je pense que quand on est pilote, personne ne se rend compte avant d'arriver en MotoGP du niveau et de l'homogénéité de la classe, tant au niveau des pilotes que des motos. C'est normal, quand on est jeune on a toujours tendance à minimiser un petit peu la montagne que l'on a à gravir."
Si ces quelques mots traduisent une déception lourde pour les pilotes, elle l'est tout autant pour l'équipe et le constructeur. "Ça ne s'est pas passé comme eux le souhaitaient, ni comme nous le souhaitions", résume le patron français. Le fait est que les attentes étaient élevées, car ces jeunes pilotes que Tech3 accueillait pour cette saison 2022 étaient deux pépites, ceux qui avaient brillamment animé la catégorie intermédiaire l'année précédente en se battant bec et ongles pour le titre. Très attendu, leur binôme associait la force de leurs performances récentes et la confiance du groupe KTM, dont ils étaient les porte-étendards prometteurs du moment.
Si la préparation hivernale s'était révélée difficile pour Gardner, qui s'était cassé le poignet à l'entraînement à deux semaines de la reprise de février, Fernández s'était montré plutôt rapide pendant les essais au guidon de la RC16. Très tôt, cependant, lorsque les courses ont débuté, il a fallu se rendre à l'évidence que la mayonnaise ne prenait pas. "Je pense qu'en 2022, on avait deux pilotes qui étaient talentueux mais pas vraiment heureux d'être là. Ils avaient d'autres ambitions, d'autres volontés", résumera finalement Hervé Poncharal au micro de Canal+. Pas question pour le patron d'exprimer le moindre ressentiment, lui qui préfère insister sur le fait que ses troupes se sont données à fond jusqu'au bout, pourtant force est de constater que l'union n'a pas fonctionné.
Raúl Fernández et Remy Gardner sont entrés six fois chacun dans les points, jamais plus haut que la 11e place
La séparation avec les deux pilotes a été actée tôt dans la saison et il s'agissait ensuite de réussir à se quitter en bons termes, avec le moins d'amertume possible. Une mission réussie dans le cas de Raúl Fernández, qui a bouclé l'aventure KTM-Tech3 avec l'assurance de pouvoir compter ensuite sur un transfert dans le team RNF, nouvelle équipe satellite Aprilia, des circonstances qui l'auront assurément aidé à se projeter vers des jours qu'il espère meilleurs.
Dès l'annonce de son arrivée en MotoGP, il ne faisait pas de secret que le jeune Espagnol rêvait déjà d'une autre machine que la RC16, et un an plus tard il semblait donc soulagé d'avoir en poche le contrat qu'il espérait. Entre-temps, sans doute a-t-il fantasmé les performances qu'il aurait pu réaliser avec un autre guidon. "Nous avons fait tout ce que nous pouvions faire. Après, chaque machine a ses spécificités", rappelle Hervé Poncharal, bien conscient qu'il s'agit avant tout d'une osmose à trouver entre un pilote, une moto et une équipe indépendamment des capacités de l'un ou l'autre des éléments. Cette synergie qu'il faut à tout prix créer prévaut sur tout, et ce n'est pas l'exemple de Yamaha, qui ne brille plus qu'avec un seul de ses pilotes, qui fera mentir ce constat.
Le départ d'un Champion du monde dépité
À l'heure des adieux, l'état d'esprit des deux pilotes était en tout cas bien différent, Gardner affichant bien plus d'aigreur que son acolyte. S'ils vont sans doute avoir une manière différente de métaboliser cette expérience, c'est peut-être en partie dû à un parcours différent, celui d'un espoir précoce pour Fernández, qui n'a que quatre ans de Grands Prix derrière lui, là où Gardner a plutôt connu un long chemin de croix avant de réussir à performer en Moto2.
"Raúl est arrivé en Moto3 Junior et il a tout gagné, on a vu que c'était un talent incroyable. En Mondial [Moto3], il n'a pas gagné parce que tout le monde lui a dit qu'il fallait qu'il monte tout de suite en Moto2 vu le talent qu'il avait", rappelle Hervé Poncharal. Après deux ans en Moto3, le jeune Espagnol n'a fait qu'une saison dans la catégorie intermédiaire, mais c'est car celle-ci l'a tout de suite placé parmi les meilleurs. "S'il n'avait pas eu sa chute alors qu'il était en tête [au GP d'Émilie-Romagne], il aurait été Champion du monde pour sa première année, il a remporté plus de victoires que Marc Márquez pour sa première saison en Moto2. Il n'a donc jamais vraiment eu de difficultés."
"Quant à Remy, il a fait six ans en Moto2 mais il disait toujours que plus la moto est grosse et puissante, plus ça lui convient. Or ça ne ça s'est pas passé comme ils le voulaient, ni comme nous le souhaitions et le pensions. Mais le côté positif c'est que je pense qu'ils sont beaucoup mieux armés. Remy n'a pas eu d'opportunité de rester en MotoGP mais je pense qu'il peut être très, très fort en Superbike, franchement."
Remy Gardner n'a pu cacher son amertume, affirmant ne pas avoir eu d'explications de la part de KTM quant à son éviction
Si Hervé Poncharal, philosophe sur les mariages qui parfois ne fonctionnent tout simplement pas, voulait à tout prix éviter de tomber dans l'amertume à l'heure de la séparation, c'était moins évident pour Remy Gardner qui a semblé compter les jours avant ce qui a eu tout l'air d'être une délivrance pour lui. L'Australien a fait sentir son dépit durant une bonne partie de cette saison, et particulièrement une fois qu'il a été acté qu'il n'y aurait pas d'autre place pour lui en MotoGP. Car au contraire de son coéquipier qui restera sur la grille l'an prochain, il va lui falloir prendre la direction du WorldSBK, où l'attend le team GRT Yamaha, et cette issue a elle aussi certainement contribué à son aigreur.
Cette saison a semblé s'étirer indéfiniment pour Gardner et c'est sans véritable filtre qu'il confiait son état d'esprit aux médias en marge du dernier Grand Prix, à Valence. Se disant "impatient que ce soit fini" dès son arrivée sur le circuit espagnol, il ajoutait après les qualifications, en roue libre : "Dès que je suis revenu dans le garage, je me suis dit 'grâce à Dieu, je n'aurai plus à faire ça !' Ce n'est pas fun de faire des qualifications sur ce truc-là, je peux vous le dire." Et de trancher après l'arrivée : "Je suis plutôt soulagé, je suis assez content de ne plus avoir à monter sur ce truc."
L'ambiance déplorable qui ressort de ces commentaires s'accompagne d'une certaine incompréhension exprimée par le pilote. "Il y a douze mois c'était le plus beau jour de ma vie et maintenant je ne suis plus en MotoGP. C'est sûr que c'est bizarre, je ne m'attendais pas à ce que ça s'inverse en un an, mais que dire ? La vie est une chienne ! Donc que faire ?" s'interrogeait en effet l'Australien, qui a déploré jusqu'au bout ne pas avoir eu "de véritable explication" de la part de KTM.
En septembre, Gardner avait pourtant fait part d'une critique reçue de la part d'un haut dirigeant du constructeur autrichien quant à son manque de professionnalisme. Du côté du groupe de Mattighofen, on regrette que les relations se soient dégradées à ce point. "Oui, parce que c'est un Champion du monde [qui était] dans notre famille et nous n'avons pas réussi à faire en sorte que ça fonctionne", a concédé Pit Beirer à Motorsport.com. "Pourquoi ? Ce serait une longue discussion, mais je suis vraiment triste que nous n'ayons pas pu faire en sorte que cela réussisse mieux. Nous étions très motivés et ça n'a pas bien marché, des deux côtés."
S'il évite d'entrer dans les détails, le patron de KTM Motorsport lève toutefois le voile sur des propos du manager du pilote, Paco Sanchez, qu'il n'a pas appréciés : "Quand nous devions définir un plan futur, cela n'a pas aidé que son management dise à la presse que les contrats KTM étaient la dernière chose qu'il voulait pour ses pilotes. Vous devez motiver un conseil d'administration à vous donner le budget pour le MotoGP et ils voient dans la presse 'c'est une moto horrible, c'est une situation horrible et je ne veux pas que mes pilotes soient là-bas'. Au mauvais moment, il n'y avait pas d'ambiance, or on ne peut pas construire le succès sur une atmosphère négative."
"Nous avions le sentiment qu'il ne croyait pas en nous, ni dans le projet, que nous ne pouvions pas résoudre cela, et je pense que de mon côté j'ai aussi senti que Remy avait baissé les bras un petit peu trop tôt. Je lui ai dit à de nombreuses reprises : 'Battons-nous pour ce point'. Mais il y avait tellement d'aura négative autour que nous avons dit 'appuyons maintenant sur un bouton reset pour notre projet' parce que nous avons changé énormément de choses à la maison, à l'usine, avec les ingénieurs et la direction de l'équipe. Mais beaucoup de choses sont aussi basées sur l'énergie positive. Ça n'est jamais agréable de se séparer. Je veux admettre que, de notre côté, nous avons échoué à en faire un succès. Nous voulions faire mieux et il voulait faire mieux, mais l'issue est négative."
Après ce mélange d'éléments négatifs qui aura fait capoter cette campagne 2022 pour Tech3, admettons simplement que chacun était impatient de tourner la page pour repartir d'une feuille blanche dès les essais qui, deux jours après la dernière course, lançaient la prochaine saison. Hervé Poncharal, qui en a vu d'autres, veut quoi qu'il arrive retenir un élément positif pour ces jeunes pilotes, lui le passeur qui met un point d'orgue à transmettre le plus de bagage possible. "Quoi qu'il arrive, quelle que soit la manière dont les pilotes ressentent leur saison, ils ont beaucoup appris de la classe MotoGP, mais aussi de la vie, et de la vie de pilote surtout. Malheureusement, on apprend souvent mieux dans des situations difficiles que quand tout roule, et ça reste des expériences plus marquantes et qui font plus avancer", conclut-il.
Avec Lewis Duncan
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