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Gasly n'avait plus rien à prouver, sa carrière sera jugée chez Alpine

Pierre Gasly était coincé chez AlphaTauri : trop bon pour être évincé, mais jamais vraiment en lice pour un hypothétique retour chez Red Bull. Il s'est finalement défait de ses chaînes pour rejoindre Alpine en 2023. Ce nouveau départ devrait lui faire le plus grand bien, mais il devra s'adapter rapidement. Et travailler aux côtés d'un coéquipier avec qui les relations ont parfois été houleuses…

Pierre Gasly, AlphaTauri

Photo de: Red Bull Content Pool

Pierre Gasly sera à jamais connu pour être le vainqueur du Grand Prix d'Italie 2020. Cette victoire contre toute attente a fait de lui un sportif particulièrement respecté en France et lui colle à la peau à chaque fois qu'on le présente. On se souviendra de lui pour ça, mais ce n'est pas l'élément qui permettra de juger sa carrière. Sur ce dernier point, il est davantage probable que son passage chez Alpine prenne le pas. Un transfert qui s'est concrétisé alors qu'il avait initialement été reconduit chez AlphaTauri pour 2023.

Sauf que la folle saison des transferts s'est animée : Sebastian Vettel a choisi la retraite, provoquant l'arrivée de Fernando Alonso chez Aston Martin, tandis que Daniel Ricciardo a été mis de côté chez McLaren pour faire place nette à Oscar Piastri. En perdant son protégé, Alpine avait ainsi un baquet vacant aux côtés d'Esteban Ocon. Alors, avec la bénédiction du responsable du programme pilotes chez Red Bull, Helmut Marko, mais aussi des directeurs d'équipe Christian Horner et Franz Tost, et après avoir réuni les conditions voulues (dont le recrutement de Nyck de Vries), Gasly a été libéré, seulement quatre mois après l'annonce de son maintien.

Pourquoi Gasly s'est envolé du nid Red Bull

Gasly a été autorisé à partir parce que Marko a conscience des services qu'il a rendus et de son désir de rejoindre une écurie d'usine française. Dans son for intérieur, l'Autrichien savait que le pilote de 26 ans ne serait probablement jamais rappelé chez Red Bull Racing. Quant à l'intéressé, il voyait ses perspectives d'avenir stagner depuis sa rétrogradation de l'écurie principale à l'été 2019.

Comme Alexander Albon après lui, comme Sergio Pérez aujourd'hui, Gasly a eu du mal à dompter une monoplace au train arrière capricieux comme l'aime tant Max Verstappen. Il n'a tenu que 12 Grands Prix, période durant laquelle il a signé pour meilleur résultat une quatrième place et inscrit seulement 35% du total des points de Verstappen, tout en étant largement et régulièrement dominé en qualifications.

Pierre Gasly au volant de la Red Bull Racing RB15 en 2019.

Pierre Gasly au volant de la Red Bull Racing RB15 en 2019.

Gasly a blâmé d'autres facteurs que l'équilibre de la voiture, confiant notamment ressentir un manque de soutien. Mais on l'a aussi soupçonné d'être trop analytique, trop concentré sur les ajustements de réglages pour affiner la RB15 dans chaque virage au détriment de la performance globale au tour. Il aurait peut-être aussi pu être plus respectueux. Marko estime d'ailleurs qu'il "cherchait des excuses au lieu de s'attaquer à ses propres erreurs".

Quoi qu'il en soit, l'union fut de courte durée et, malgré un retour réussi chez AlphaTauri, où il s'est distingué régulièrement, Gasly s'est retrouvé bloqué dans une position d'attente. Voir Red Bull piocher hors de sa réserve de pilotes pour recruter Pérez fin 2020 a dû être difficile à digérer. Puis le Mexicain, tôt dans l'année, a signé une prolongation de contrat jusqu'en 2024. Il n'y avait donc pas de promotion envisageable pour Gasly s'il était resté.

Le Français a évoqué son désir de se battre pour autre chose que des top 10. Il a donc quitté Red Bull avec un an d'avance sur un plan de marche a priori inéluctable. Car Alpine a voulu sortir par le haut de la situation qu'a provoqué les départs d'Alonso et Piastri, et a tout fait pour débaucher Gasly en lui faisant signer un bail pluriannuel. L'écurie d'Enstone a logiquement courtisé un pilote qui aura mené la destinée d'AlphaTauri pendant plusieurs saisons et fait ce qu'on attendait de lui, prenant notamment la mesure de ses coéquipiers Daniil Kvyat puis Yuki Tsunoda.

L'attirance pour Alpine

Non seulement la promotion chez Red Bull ne semblait plus crédible, mais une arrivée chez Mercedes ou Ferrari ne l'était pas davantage. McLaren est la maison de Lando Norris et a jeté son dévolu sur Piastri. Alors Alpine constituait la destination la plus compétitive et évidente pour Gasly, que ce soit dès 2023 ou, au pire, un an plus tard.

Quand Alonso a annoncé qu'il rejoindrait Aston Martin l'an prochain, il a déclaré : "Personne ne démontre aujourd'hui en Formule 1 une plus grande vision et un investissement absolu pour gagner, et c'est ce qui en fait une opportunité vraiment enthousiasmante pour moi". Une manière d'évoquer la construction d'une nouvelle usine à Silverstone et le recrutement important initié par Lawrence Stroll, mais qui peut aussi être interprétée comme un affront envers Alpine, qu'il semble considérer comme jouissant d'un potentiel inférieur.

Pierre Gasly ne pouvait pas laisser passer la chance de succéder à Fernando Alonso.

Pierre Gasly ne pouvait pas laisser passer la chance de succéder à Fernando Alonso.

Alpine n'en est pas moins une opportunité en or pour Gasly. Sans le manque de fiabilité qui a perturbé sa saison, l'équipe tricolore serait déjà assurée de terminer quatrième du championnat constructeurs et sans doute plus à la lutte avec McLaren. Pendant ce temps, AlphaTauri occupe le neuvième rang et pourrait terminer à sa plus mauvaise position depuis que l'équipe a pris ce nom à la place de Toro Rosso.

Il y a naturellement aussi le fait de voir un pilote français rejoindre une écurie franco-britannique, ce qui a renforcé l'intérêt mutuel. "Nous sommes fiers de présenter un duo de pilotes entièrement français en 2023", assure d'ailleurs Luca de Meo, PDG du groupe Renault. "Nos racines sont en France, et Alpine est né en Normandie, c'est donc un heureux hasard. Tous les deux feront avancer l'équipe et le groupe, et j'espère que nous pourrons devenir un symbole de fierté pour la France."

Et puis il y a également les avantages d'un salaire vraisemblablement plus élevé en passant d'une équipe B à une écurie d'usine. Nul ne sait si c'est réaliste, mais le groupe Renault veut que son engagement en F1 se traduise par une lutte pour le titre mondial dans un délai de 100 Grands Prix. Alors qu'AlphaTauri restera toujours en retrait de Red Bull.

"Piloter pour une écurie qui a des racines françaises est quelque chose de très particulier", assure Gasly. "Je connais les points forts d'Alpine pour avoir couru contre eux ces deux dernières années et, clairement, leurs progrès et leur ambition sont très impressionnants. Pour l'avenir, je veux donner le maximum et user de toute mon expérience afin de me battre pour des podiums et contribuer à ce qu'Alpine se batte pour des titres."

L'ambition de voir Gasly devenir un jour double vainqueur en Grand Prix est ce qu'elle est, mais il a certainement d'ores et déjà l'opportunité d'ajouter des podiums à son palmarès.

Le principal obstacle à franchir

Il y a toutefois une ombre au tableau. On sait que les relations entre Gasly et son nouveau coéquipier sont tumultueuses. Selon Gasly, cela remonte à leurs années karting : il suppose qu'Ocon n'a pas apprécié de voir un compatriote prendre une longueur d'avance sur le chemin les destinant à devenir le prochain grand espoir français en F1. Depuis, ils se sont évités, coupant même les photos où ils apparaissaient ensemble sur les réseaux sociaux et se retrouvant rarement par choix au même endroit et au même moment. Et ce n'est pas le fait de voir Ocon poster, le jour de l'annonce de l'arrivée de Gasly, une jolie photo d'enfance des deux hommes, qui va complètement inverser la tendance.

Pour le bien d'Alpine et dans son ambition de progresser, la voie évidente est de pleinement effacer les différends. Ou, à défaut, que les deux pilotes établissent une relation de travail saine malgré leur rivalité inhérente à tous coéquipiers. Cela garantira la transparence et le plein échange des données pour optimiser la voiture chaque week-end. Pour Gasly, une ambiance cordiale l'aidera à s'attirer les faveurs d'une équipe qui a passé trois ans à construire ses relations avec Ocon. Tous les deux nient l'existence d'un désaccord permanent, évidemment. Mais aucun d'entre eux ne s'étend sur le sujet ni ne se livre à des éloges du caractère de l'autre. Les frictions pourraient être toujours possibles.

Esteban Ocon est à ce jour bien installé au sein de l'écurie Alpine.

Esteban Ocon est à ce jour bien installé au sein de l'écurie Alpine.

Directeur d'Alpine, Otmar Szafnauer reconnaît publiquement cette tension. Dans la foulée du recrutement de Gasly, il l'a évoquée : "Esteban a été d'un grand soutien, Pierre aussi. Ce sont des professionnels. Et ils n'ont aucun problème à ce que nous travaillions ensemble. Et j'espère que l'amitié va se raviver ; ils ont été amis à un moment donné. Mais d'un point de vue professionnel, ils sont tous deux très heureux de travailler ensemble".

Ocon, au moins au départ, sera le leader naturel de l'équipe en l'absence d'Alonso. La manière dont il s'adaptera à cette nouvelle situation sera déterminante. Pendant un certain temps, Gasly sera observé de près et sous le feu des projecteurs. L'animosité présente le risque d'être mentalement épuisante pour toute une équipe, qui se retrouverait prise entre deux feux, et il est donc fondamental que le nouveau tandem collabore sainement.

Le vrai jugement

Un retour chez Red Bull était quasiment exclu pour Gasly. Il avait devant lui une année de plus chez AlphaTauri sans ne plus rien avoir à prouver. S'il était resté en 2023, il aurait au mieux fait du surplace en attendant une opportunité sur le marché l'année suivante. Alpine l'a sauvé de cette situation et lui offre une chance de se battre pour une place aux avant-postes. Si l'on se fie à la forme actuelle, il peut viser le top 5 plutôt que lutter pour tenter d'accrocher les points.

Pendant trop longtemps, le statut de Gasly en F1 a été celui d'un pilote bien meilleur que tous ses coéquipiers chez Toro Rosso et AlphaTauri, mais pas en capacité de se hisser au niveau de Verstappen. Ce n'est déjà pas rien. Alors s'il parvient à battre Ocon et à s'imposer en leader au sein d'une écurie Alpine qui progresserait encore, il aurait à portée de main la possibilité d'écrire une page historique. C'est là qu'il sera jugé, pour ne pas rester dans les mémoires que pour sa victoire brillante mais improbable de Monza.

Pierre Gasly n'avait plus rien à prouver chez AlphaTauri.

Pierre Gasly n'avait plus rien à prouver chez AlphaTauri.

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