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Carburants : un changement massif mais discret en MotoGP

Les chronos n'ont pas souffert de l'adoption par le MotoGP de carburants durables, une évolution largement passée inaperçue cette année. La transition n'en est pas moins importante, puisque le championnat amorce l'adoption d'un carburant à 100% d'origine non fossile à partir de 2027.

Ravitaillement de la moto de Fabio Di Giannantonio, VR46 Racing Team's Ducati

Au moment où vous lisez cet article, une petite page de l'Histoire des sports mécanique s'est écrite. Le Grand Prix du Qatar a été le premier disputé avec des machines qui utilisaient des carburants avec une origine en partie non-fossile en MotoGP. Alors que le championnat célèbre son 75e anniversaire, il s'agit d'un moment important, qui marque une évolution depuis la première épreuve de la catégorie reine disputée sur l'île de Man en 1949, remportée par Harold Daniell sur une Norton de 500cc.

La planète est en train de basculer dans une situation de crise, le réchauffement climatique rapprochant à grands pas l'humanité d'une bascule catastrophique, ce qui suscite une question éthique pour les sports mécaniques. Comme l'explique Corrado Cecchinelli, responsable de la technologie chez Dorna Sports, le détenteur des droits commerciaux du MotoGP, à Motorsport.com, "il est évident que si l'objectif était simplement de réduire l'empreinte carbone des courses, le principal effet pour qu'elles soient viables [pour l'environnement] serait de ne pas du tout les organiser."

C'est vrai, mais une vision aussi simple du monde serait idéaliste. Nous vivons dans une ère capitaliste avec des factures à payer et renoncer à organiser des événements pour le bien de la planète n'est tout simplement pas envisageable, et ne contribuerait pas à résoudre le problème. Si l'on met fin aux sports mécaniques, il reste en effet plus de 1,5 milliard de véhicules sur la planète. La tenue de quelques courses pendant les week-ends représente donc une goutte d'eau.

Les sports mécaniques peuvent même jouer un rôle clé pour rendre le monde plus vert, en réduisant l'empreinte carbone des épreuves. La Formule 1 utilisera des carburants 100% durables en 2026 et le MotoGP prévoit d'avoir des carburants avec 100% de sources non-fossiles l'année suivante. Ils seront créés en laboratoire, en utilisant des composants issus d'un procédé de capture du carbone ou dérivés de déchets ou de biomasse non alimentaire.

Mais il s'agit de l'objectif final et pour le moment, le MotoGP utilise des carburants avec 40% de sources non-fossiles. Cecchinelli explique que le débat a été ouvert il y a environ trois ans : alors que l'industrie des véhicules de série se dirigeait vers des motorisations hybrides ou électriques, ces options "ont vite été écartées parce qu'aucun acteur actuel de la compétition n'était convaincu que c'était la voie à suivre pour les deux-roues".

Les demandes des constructeurs de voitures et de motos sont naturellement différentes, et le monde des deux-roues a généralement un temps de retard dans les technologies employées. Cecchinelli précise cependant qu'une motorisation hybride ou électrique en MotoGP n'était "pas véritablement en phase avec les retombées de la production réelle", ce qui a mené aux carburants durables.

Pionnier en la matière, le MotoGP doit trouver un compromis, en adoptant une direction satisfaisante pour les constructeurs impliqués – en l'occurrence Ducati, KTM, Aprilia, Yamaha et Honda – sans nuire au spectacle, et donc aux intérêts financiers du championnat.

Comment trouver cet équilibre ? "La réponse globale est que c'est très difficile", reconnaît Cecchinelli. "C'est une question intéressante parce que pour le public, il n'est pas évident que ce genre de compromis influence littéralement chacune de nos décisions."

Repsol est l'un des grands noms qui investissent dans les carburants durables

Repsol est l'un des grands noms qui investissent dans les carburants durables

Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images

"Des gens semblent vivre encore dans un autre monde et disent des choses du genre 'Ils sont idiots, pourquoi est-ce qu'ils ne se contentent pas de dire que tout est libre [dans les règlements] ?' OK, si on fait ça, le business est terminé parce que ça équivaut à un suicide."

Pour certains fondamentaux, la Dorna se refuse à tout compromis, comme pour le fait que le MotoGP reste un championnat de prototypes. Mais tout en respectant cette philosophie, des changements peuvent être mis en place pour le bien du spectacle sans compromettre l'intégrité du championnat. Un exemple est le système électronique standard introduit en 2016, auquel certains constructeurs ont d'abord résisté avant d'accepter que le MotoGP allait bénéficier d'un plateau resserré et du retrait d'une grosse barrière à l'entrée.

Aux yeux du public, le développement durable est parfois considéré comme un gros mot, mais les temps changent et les sports mécaniques doivent évoluer avec eux.

Le passage à des carburants durables n'est pas un changement aussi radical pour le MotoGP, mais il est nécessaire. Le transfert de technologie vers la route n'est peut-être pas "le premier objectif" de la Dorna mais Cecchinelli estime qu'il s'agit d'un "élément important" "Le transfert de technologie signifie que le budget que chaque constructeur alloue au MotoGP entraîne un retour sur investissement."

Pour le dire simplement : plus les efforts sont récompensés par une découverte technologique, plus les profits sont importants. C'est vrai pour les constructeurs jusqu'à leurs plus petits sponsors. La viabilité écologique est une chose, mais elle doit aller de pair avec une viabilité économique.

C'est pour cette raison qu'il n'a jamais été envisagé de se reposer sur un seul fournisseur pour les carburants durables. Plusieurs pétroliers importants travaillent avec des constructeurs, de Repsol à BP, tandis que différentes marques ont des partenariats avec des équipes satellites. Ce nouveau règlement doit se traduire en concrétisations pratiques pour ces entreprises, et pourrait inciter d'autres spécialistes des carburants à investir en MotoGP.

Dans ce cas, pourquoi attendre 2027 pour utiliser des carburants avec 100% de sources non-fossiles ? "Quand nous avons songé aux carburants non-fossiles, nous avons réalisé qu'un carburant à 100% d'origine non-fossile pourrait susciter des difficultés nécessitant un peu de temps pour être résolues", précise Cecchinelli. "Il fallait faire quelque chose sur les moteurs, pas seulement les matériaux, mais aussi les joints, les caoutchoucs et tout le reste."

MotoGP attendra 2027 pour utiliser des carburants 100% durables

MotoGP attendra 2027 pour utiliser des carburants 100% durables

Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images

"L'échéance allait peut-être devenir 2027, même sans étape intermédiaire, donc nous avons pensé que ce processus plus doux aiderait tout le monde à se familiariser avec des nouveaux carburants sans les mêmes difficultés qu'en faisant tout d'un coup. Cela semblait être un choix plus raisonnable."

Les équipes ont en effet vécu une "transition douce" puisqu'il suffit d'utiliser ce carburant et de faire quelques ajustements dans les cartographies. Pour les fournisseurs, concevoir un carburant qui fonctionne sans problème avec les moteurs actuels représentait un défi, mais ils l'ont accepté volontiers, certains ayant pu se reposer sur l'expérience acquise en développant des carburants similaires pour le secteur automobile.

Aux yeux du public, le développement durable est parfois considéré comme un gros mot. Quand la F1 a entamé son ère turbo-hybride en 2014, elle a été critiquée pour le manque de bruit des moteurs. La Formule E déplait parfois simplement parce qu'elle est électrique. Mais les temps changent et les sports mécaniques doivent évoluer avec eux. Le MotoGP le comprend, toutefois les carburants durables n'auront aucun effet visible pour les passionnés, chez eux ou sur les circuits.

Dès les tests de pré-saison, les records de Sepang et Losail ont été battus, ce qui a été confirmé lors du GP du Qatar. Le MotoGP va plus vite que jamais et respecte plus l'environnement. Que demander de plus ?

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Évidemment, le passage à des carburants 100% durables en 2027 s'accompagnera aussi de changements majeurs dans la règlementation technique, parmi lesquels une possible réduction de la cylindrée. Les détails du futur règlement doivent encore être révélés mais tous les constructeurs en ont fait la demande et ont exprimé leur soutien à ce changement. Et si les prochaines années seront consacrées à la mise au point des futurs carburants, ils ne nuiront pas aux performances lorsqu'ils arriveront en 2027.

Le Moto2 et le Moto3 suivent la même direction, avec un programme identique à celui de la catégorie reine et des carburants fournis par le géant malaisien Petronas. Même si cela peut paraitre limité, les carburants durables contribuent à assurer l'avenir du MotoGP et à faire une différence pour la planète.

Les autres initiatives du MotoGP pour l'écologie

Il y plus de dix ans, le MotoGP a créé l'initiative KISS, pour Keep It Shiny and Sustainable ("que ça reste brillant et durable") dans le paddock, en n'utilisant plus de papiers, en réduisant la quantité de plastiques à usage unique et en faisant don de la nourriture inutilisée dans les hospitalités des équipes.

Les petits changements du MotoGP auront de gros effets

Les petits changements du MotoGP auront de gros effets

Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images

L'effet sur le bilan carbone de chaque Grand Prix est faible et il n'est pas ressenti en dehors de la bulle que représente chaque week-end de compétition. En piste, en plus du travail sur les carburants durables, le MotoGP a travaillé avec Michelin pour augmenter la quantité de matériaux récyclés sur chaque pneu.

Cecchinelli reconnaît que cela représente "0,000 et ce que vous voulez % du problème" mais que le MotoGP "innove sur des technologies pour pouvoir mener des expériences et prouver que l'on peut non seulement faire des pneus avec des matériaux recyclés, mais en plus le faire sur des pneus de compétition".

Cette approche démontre que chaque aspect des sports mécaniques peut trouver une application pratique dans le monde extérieur, ce qui permet d'avoir un effet plus significatif sur l'environnement.

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