Paolo Ciabatti, l'atout que Ducati perd quand il était le plus utile
Avec le départ de Paolo Ciabatti, pilier de Ducati Corse depuis plus de dix ans, le constructeur italien opère une restructuration de taille. Ce changement répond à l'intérêt de la marque de dynamiser sa nouvelle division motocross tout en renforçant la figure de Gigi Dall'Igna en MotoGP.
À Noël, Ducati annonçait un changement majeur au sein de son management. Paolo Ciabatti a quitté son poste de directeur sportif de Ducati Corse, département course du constructeur dont il était l'un des piliers depuis sa création en 1999, pour prendre le rôle de directeur général d'une nouvelle branche off-road, tout en gardant la main sur les championnats nationaux de Superbike et de Supersport. Il est remplacé dans ses fonctions précédentes en MotoGP par Mauro Grassilli, jusqu'à présent en charge du marketing et du sponsoring.
C'est la fin d'un management resté immuable depuis 2014, mais dont les racines sont bien plus anciennes encore. La gestion des pilotes Ducati s'appuyait en effet grandement sur le binôme que Paolo Ciabatti formait avec Davide Tardozzi, tous deux s'étant connus il y a un quart de siècle. "J'ai commencé à travailler en 1997 et nous nous sommes rencontrés en 1998", expliquait ainsi Paolo Ciabatti dans une discussion que les deux compères avaient avec Motorsport.com la saison dernière, ne cachant pas son attachement au bouillonnant team manager. "Nous sommes des amis en dehors d'être des collègues… même si nous nous disputons parfois parce que nous n'avons pas toujours le même point de vue !"
Membre fondateur de Ducati Corse, Ciabatti s'en était éloigné début 2007, estimant avoir coché toutes les cases tant avec les succès obtenus en WorldSBK qu'avec la légendaire victoire de Troy Bayliss au GP de Valence MotoGP de 2006, sorte de revanche qu'avait prise tout ce groupe face à la supériorité de l'équipe de Grand Prix sur celle du Superbike. Passé à la direction sportive du WorldSBK via son promoteur, il a retrouvé Ducati six ans plus tard, débauché pour s'occuper désormais de MotoGP.
Après la tempête qu'a été la saison 2013, il a été parmi les moteurs essentiels à la constitution du groupe qui allait ensuite relancer ce projet et le porter au sommet, avec le recrutement de Gigi Dall'Igna et le rapatriement de Davide Tardozzi en 2014. Depuis, Ciabatti s'occupait de pratiquement tout en dehors de la technique, tout en supervisant également la partie sportive des autres championnats dans lesquels Ducati est impliqué, le WorldSBK et les séries nationales.
L'élément qui explique le mieux la nature profonde de son départ vers le off-road transparaissait dans le communiqué de presse ayant servi à annoncer la nouvelle aux médias, bien qu'un peu camouflé. Dans ses nouvelles fonctions, Ciabatti ne sera en effet plus rattaché à Dall'Igna, directeur général de Ducati Corse, mais directement à Claudio Domenicali, le PDG. En d'autres termes, ce changement ne fait que renforcer la position de Dall'Igna, dont le champ d'influence va bien au-delà de l'aspect purement technique. Passées les trois premières années depuis son arrivée, l'ingénieur a en effet pris de plus en plus de poids dans les décisions sportives. Désormais, tout passe par lui.
Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images
Gigi Dall'Igna et Davide Tardozzi vont devoir faire sans Paolo Ciabatti.
Si le départ de Ciabatti est particulièrement notable c'est aussi en raison du moment auquel il intervient. Car en intégrant cette année l'équipe satellite Gresini, Marc Márquez devient l'une des pièces maîtresses sur l'échiquier de Borgo Panigale. Si la gestion des troupes a, jusqu'à présent, été remarquable, l'un des piliers en a toujours été Ciabatti, qui se démarque par son empathie et sa capacité de persuasion basée sur le dialogue.
Après avoir touché au motocross, au rallye et à l'off-shore, celui qui estimait ne jamais avoir eu un grand talent de pilote s'est épanoui dans ses rôles managériaux. Aujourd'hui âgé de 66 ans, il ne cache pas son intérêt pour la psychologie des personnes avec lesquelles il travaille, lui qui nous expliquait la saison dernière avoir pour ambition de "créer un environnement aussi harmonieux que possible".
Lui qui se rêvait diplomate étant jeune a su investir ses qualités humaines dans son rôle. "Habituellement, quand il y a un problème à résoudre, compte tenu de ma manière d'être, de mon caractère, peut-être aussi de ma formation, j'essaye toujours de trouver une solution qui offre possiblement un bon équilibre entre les parties. Je ne suis pas quelqu'un qui tend à créer des fractures", nous expliquait-il pour se décrire.
"Il y a dans notre organisation des personnes dont l'approche peut peut-être paraître un peu plus agressive. Généralement, les négociations avec les managers des pilotes, c'est moi qui les mène. Parce que j'essaye toujours de jouer les médiateurs entre notre intérêt et ce qui me semble être raisonnable pour l'autre partie, et en voyant la situation avec du recul."
S'il se référait bien entendu à ses supérieurs dans son rôle de directeur sportif, il faisait jouer ses qualités lors de moments qu'il qualifiait de médiation. "La médiation, ça ne veut pas dire le compromis, qui pourrait avoir un sens négatif, mais nous ne voulons pas être arrogants, ni être ceux qui, parce qu'ils ont la meilleure moto du moment, dictent les conditions. Nous essayons toujours de comprendre la réalité de l'autre côté. Et j'ai tendance à jouer les pompiers, à être celui qui va éteindre les incendies !", souriait-il, lui qui a inlassablement fait le nécessaire pour montrer aux pilotes que Ducati croyait en eux, même dans les situations difficiles.
L'une de ses principales contributions était de négocier les contrats des pilotes Ducati, une tâche généralement ingrate, mais dont il s'est en effet toujours acquitté sans provoquer de conflits. Son remplaçant se trouvera en position délicate, compte tenu de sa faible expérience des courses − il n'assistait jusqu'à présent qu'à quatre ou cinq Grands Prix par an. Difficile de l'imaginer prochainement négocier avec Pecco Bagnaia ou Jorge Martín, pour ne citer que deux des pilotes les plus importants du groupe Ducati dont les contrats arriveront à échéance à la fin de l'année.
"Il a toujours été très facile de travailler avec Paolo. Il est très fiable et poli, empathique et aussi affectueux. Il n'a jamais perdu son sang-froid", explique Jorge Lorenzo, avec qui Paolo Ciabatti a noué une relation très affectueuse après l'arrivée de l'Espagnol chez Ducati en 2017. "Pour lancer ce projet off-road, je comprends que Ducati ait besoin de quelqu'un qui connaisse la marque et le niveau qu'il faut pour la diriger. Avec le départ de Paolo, le département MotoGP perd beaucoup, mais la division motocross gagne un acteur clé."
Jorge Lorenzo avec Paolo Ciabatti, déjà en poste lorsque l'Espagnol a couru deux ans pour le constructeur italien.
"Paolo a toujours joué le rôle le plus humain, en dehors de la bonne relation qu'il a toujours entretenue avec les sponsors. C'est la raison pour laquelle tous les pilotes l'aiment, parce qu'il agit comme un lien entre eux et Ducati. Il a toujours construit des ponts pour se comprendre", explique Albert Valera, autrefois manager de Jorge Lorenzo et aujourd'hui de Jorge Martín. "Mauro est très bon, mais il va falloir lui laisser du temps pour voir s'il est capable de développer ce côté humain. En ce qui concerne les sponsors, il a beaucoup appris de Paolo."
Si Paolo Ciabatti a pu créer ces liens au fil des années, c'est aussi car les pilotes intégrant l'équipe officielle ont généralement passé quelques saisons dans les teams satellites du groupe, lui permettant d'apprendre à les connaître et d'acquérir leur confiance. Ce travail commence même parfois bien plus tôt, lorsqu'un pilote est repéré pendant son passage dans les petites catégories et que la relation se bâtit sur le long terme, comme cela a été le cas, par exemple, de Pecco Bagnaia, signé avant même son titre en Moto2.
Gérer l'arrivée de Márquez dans un groupe harmonieux
Parallèlement aux questions portant sur l'avenir des pilotes qui forment déjà la force gagnante de Ducati, l'un des principaux dossiers auxquels devra s'attaquer le nouveau directeur sportif sera donc l'intégration de Marc Márquez. Et ce ne sera pas une mince affaire si l'on considère la réticence avec laquelle l'Espagnol a été accueilli par les autres pilotes du constructeur, notamment le contingent italien. Cette tâche semblait taillée sur mesure pour Paolo Ciabatti, compte tenu de la confiance qu'il avait acquise chez tout le monde par son caractère et ses méthodes.
Marc Márquez va-t-il faire vaciller la stabilité du groupe Ducati ?
Mais Ducati semble aimer se compliquer la vie et le sujet passera entre les mains de Dall'Igna. D'après les informations de Motorsport.com, l'ingénieur a été l'un des principaux partisans de la signature de Márquez par Gresini, alors que d'autres, comme Ciabatti ou Domenicali lui-même, y étaient plus réticents, conscients que cela risquait d'altérer l'harmonie qui avait été si difficile à atteindre.
Quelques jours avant l'annonce de son départ, Paolo Ciabatti reconnaissait que Ducati considérait en effet Márquez comme un candidat possible pour intégrer l'équipe officielle en 2025, au même titre que Bagnaia ou Martín.
La compétition qui va désormais se jouer pour définir le binôme de l'équipe d'usine s'annonce particulièrement féroce. Outre les candidats évidents que sont Bagnaia et Martín, il faudra également surveiller la capacité de rebond d'Enea Bastianini, après une année "sans", et la place prise par Marco Bezzecchi s'il confirme son niveau de 2023, sans même parler d'éventuels candidats extérieurs. Le nom de Márquez vient donc s'ajouter à une longue liste des prétendants, lui qui a pourtant eu ces derniers mois quelques démêlés avec plusieurs de ses nouveaux collègues. De là à ce que certains d'entre eux puissent se sentir trahis par l'arrivée de l'Espagnol, il n'y a qu'un pas…
Absolument personne ne croit que Gresini aurait pu conclure cet accord avec Marc Márquez sans l'approbation de Ducati. Ou, du moins, sans l'aval de ceux qui souhaitent aujourd'hui découvrir ce que le sextuple champion du monde est capable de faire avec l'une des motos sorties des ateliers de Borgo Panigale. Face à la tourmente qui s'annonce, beaucoup pensent que Paolo Ciabatti aurait été le médiateur le plus approprié, mais les incendies qui pourraient éclater ne seront désormais plus son problème.
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