Le défi de 2024, Márquez, les concessions : rencontre avec Gigi Dall'Igna
Dix ans après son arrivée chez Ducati, Gigi Dall'Igna est considéré par beaucoup comme l'équivalent d'Adrian Newey en MotoGP. À la tête d'un constructeur qui bat des records à la pelle, l'ingénieur italien apparaît influent, tant sur l'équipe qu'il dirige que sur le championnat. Il répond à nos questions.
La saison 2023 s'est refermée avec des records battus par Ducati sur un grand nombre de pistes et une domination exercée quasiment à tous les niveaux. Voici à présent la marque italienne qui aborde un nouveau championnat en grande favorite, et avec un atout supplémentaire : l'octuple Champion du monde Marc Márquez, qui a renoncé à un contrat de plusieurs millions d'euros avec Honda pour s'essayer au pilotage de cette Ducati si attrayante.
Le père de cette Desmosedici qui rafle tout, l'ingénieur et directeur de la compétition Gigi Dall'Igna, s'est entretenu avec Motorsport.com quelques jours seulement avant que Ducati donne le coup d'envoi des présentations officielles pour une saison 2024 qui verra le constructeur se battre pour un quatrième titre pilotes en MotoGP, le troisième en trois ans.
Est-ce que ce Noël a été le plus calme de votre vie ?
En fait, quand j'arrête de travailler, je déconnecte. Quand je suis avec mes amis, je ferme les volets et je profite d'eux. Ça a été un Noël tranquille, mais ça avait été le cas aussi l'année dernière.
Beaucoup de gens vous comparent à Adrian Newey, le directeur technique de Red Bull en Formule 1, compte tenu de l'influence que vous avez en MotoGP. Par contre, ce n'est pas un seul pilote qui gagne avec vos motos, mais tout un groupe. Estimez-vous que cela vous place à un niveau supérieur ?
C'est impossible. Newey est une légende. Le simple fait que quelqu'un me compare à lui suffit à me satisfaire. Mais l'auto et la moto, ce sont deux univers complètement différents.
Se comporter de manière déloyale, ce serait limiter les performances d'une moto pour empêcher un pilote de gagner. Jorge Martín a eu toutes les cartes en main pour se battre pour le titre.
Marc Márquez est quant à lui considéré comme le Max Verstappen du MotoGP et il arrive chez Ducati cette année. Ne pensez-vous pas qu'il y ait un risque que l'on parle moins de la moto que du pilote ?
Mon objectif est de gagner, et je dois essayer de faire en sorte que Ducati y arrive le plus longtemps possible. C'est l'objectif de mon travail. Je ne suis pas égocentrique en ce sens. Je ne vois pas seulement Ducati gagner, c'est une victoire en commun avec le pilote et l'équipe. Nous sommes une équipe. Je ne me suis jamais demandé si le pilote ou la moto était plus important. La seule chose qui compte, c'est qu'à la fin de la saison, celui qui gagnera le titre le plus important soit sur une Ducati.
Ce ne serait pas plus facile si les pilotes d'une même marque suivaient un ordre établi ?
Il s'agit d'un sport, ce qui signifie que nous devons agir de manière sportive et que nous ne pouvons pas nous comporter de manière déloyale. C'est la base de ma philosophie. Se comporter de manière déloyale, ce serait limiter les performances d'une moto pour empêcher un pilote de gagner. Jorge Martín a eu toutes les cartes en main pour se battre pour le titre l'année dernière, jusqu'à la fin. Il n'y a pas eu de démarches bizarres. C'est ça, se battre de manière loyale, être correct dans le sport.
Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images
Comment maintenir la courbe de résultats de Ducati face à une concurrence en quête de revanche ?
Vous êtes-vous inspiré de la F1 récemment ?
Il y a quelque temps, j'adorais la F1. Maintenant, ça me plaît un peu moins. Je la suis et je m'y intéresse, parce qu'il y a beaucoup de technologie derrière, et je suis très curieux. Disons que je ne regarde plus toutes les courses. Beaucoup d'ingénieurs aérodynamiques qui travaillent actuellement en MotoGP viennent de la F1. Après l'aéronautique, la F1 est l'expression ultime de l'aérodynamique. Le MotoGP a encore un long chemin à parcourir avant que ce soit pleinement compris. Je pense qu'il y a encore certains aspects de l'aérodynamique qui peuvent être améliorés ; nous ne connaissons pas encore tous les aspects de l'aérodynamique qui peuvent influencer la moto.
Ducati a donné son accord à l'introduction d'un nouveau système de concessions, favorable à Yamaha et Honda. Pourquoi l'avoir fait alors que vous avez clairement exprimé votre opposition ?
Nous n'y étions pas opposés. En fait, nous avons toujours été favorables au fait de les aider. De mon point de vue, quand un constructeur est en difficulté, il est toujours bien de lui donner un coup de main pour l'aider à progresser et à rattraper ceux qui gagnent. [Par contre] je suis tout à fait opposé à ce que l'on donne des concessions à Aprilia et à KTM. Les premiers ont gagné deux Grands Prix et les seconds sont montés sur le podium presque tous les week-ends dans la dernière partie de la saison. Je ne comprends pas pourquoi nous devons leur faciliter la tâche.
Mais l'accord était unanime et Ducati l'a signé.
Nous avons accepté les concessions parce que nous pensions que le fait d'aider Yamaha et Honda était plus important que notre mécontentement concernant les avantages qu'Aprilia et KTM obtiendraient en conséquence. Si Honda décidait de quitter le MotoGP, ce serait un problème pour tout le monde. Pour aider Yamaha et Honda, nous avons dû accepter les concessions données aux autres, c'est ce à quoi nous nous sommes engagés. Plus les marques seront compétitives, mieux le MotoGP se portera.
Les concessions peuvent être d'une grande aide, à condition de savoir ce que l'on doit changer. Pensez-vous que Yamaha et Honda le savent ?
La grande différence, c'est qu'ils ont la possibilité de faire des erreurs et de les corriger. C'est le cas, par exemple, avec le moteur, car ils pourront l'ouvrir et le modifier ; ce n'est pas le cas pour nous. Ceux qui ont des concessions peuvent revenir en arrière avec leur moteur s'ils ont un problème ; nous, nous devrons terminer le championnat avec le moteur que nous aurons homologué au départ. C'est la raison pour laquelle nous devons être beaucoup plus conservateurs. Ce n'est pas seulement une question de tests, il s'agit de pouvoir prendre beaucoup plus de risques. En termes d'aéro, ils ont [aussi] une évolution de plus que nous. Si nous nous trompons, nous aurons un problème.
Photo by: Gold and Goose / Motorsport Images
Pecco Bagnaia et Marc Márquez seront tous deux sur Ducati en 2024.
La GP24 va-t-elle beaucoup évoluer par rapport à ce que nous avons vu lors du test de Valence ?
C'était au début de son développement. Il y aura des modifications que nous verrons bientôt.
Avez-vous été surpris par le système de départ mis en place par KTM en 2023 ?
Probablement, oui, à tel point que nous avons commencé à réfléchir à un système pour améliorer nos départs. À l'époque, les KTM prenaient de meilleurs départs que nous, mais nous avons réagi pour éliminer ce désavantage.
Il aurait été complètement stupide d'abandonner une situation aussi positive sur le plan technique que celle qui m'entoure aujourd'hui chez Ducati.
Quelle est la marque que vous considérez comme la plus grande menace en 2024 ?
Toutes les marques vont essayer de rectifier ce qui s'est passé l'an dernier. Je m'attends à ce qu'elles progressent en 2024. Je ne peux pas donner de nom à ce stade. Mais il est certain qu'entre les concessions et le niveau que certaines d'entre elles ont montré dans la dernière ligne droite de 2023, la situation sera plus compliquée pour nous.
Quels sont les facteurs qui vous ont poussé à rester chez Ducati et à ne pas accepter le défi que vous proposait Honda ?
Il nous en a beaucoup coûté pour en arriver là. Nous n'avons pas gagné le championnat du monde en un an. Il aurait été complètement stupide d'abandonner une situation aussi positive sur le plan technique que celle qui m'entoure aujourd'hui chez Ducati. L'équipe qui m'entoure est merveilleuse, tant d'un point de vue technique qu'humain. Chez Ducati, c'est génial. C'est un endroit où l'on peut parler, discuter. Ce n'est pas facile d'abandonner quelque chose de si appréciable.
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