Analyse

23 Grands Prix en 2021 : la F1 va-t-elle trop loin ?

La saison 2021 de Formule 1 battra un record avec 23 Grands Prix au programme. Est-ce trop ?

Valtteri Bottas, Mercedes F1 W11 Lewis Hamilton, Mercedes F1 W11 et Daniel Ricciardo, Renault F1 Team R.S.20 au départ de la course

Photo de: Mark Sutton / Motorsport Images

La Formule 1 avait juré qu'on ne l'y reprendrait plus. Un triple-header, soit trois courses en l'espace de trois week-ends consécutifs ? Ce n'est pas acceptable, avait-on décidé ! L'on pensait alors aux mécaniciens, aux ingénieurs, à tous ceux qui travaillent du matin au soir sur les circuits et passent un temps incommensurable dans l'avion.

La première fois que l'on a entendu parler du triple-header, c'était lors de la saison 2018, avec un enchaînement de la France, de l'Autriche et de la Grande-Bretagne. Les 21 Grands Prix au programme cette année-là constituaient déjà un record, et dans le paddock, l'expérience n'avait effectivement pas été très appréciée.

Les écuries n'ont alors pas tardé à se prononcer en défaveur d'un programme similaire à l'avenir. "La F1 est très bonne pour surmonter les défis logistiques et techniques, c'est ce pour quoi nous sommes les meilleurs", commentait Günther Steiner, directeur de Haas F1 Team. "Mais cela a un coût, financier et humain. Nous pouvons tout faire – quatre d'affilée, voire cinq d'affilée – mais souhaitons-nous vraiment le faire pour autant ? Cela en vaut-il la peine ?" Les calendriers 2019 et 2020 ont donc été conçus sans triple-header.

La pandémie de COVID-19 est toutefois passée par là : la grande majorité des Grands Prix au programme de la campagne 2020 ont été reportés ou annulés, et le coup d'envoi de la saison n'a pu être donné que début juillet, le temps que la première vague de contaminations se tasse et qu'un protocole sanitaire puisse être mis en place dans le paddock.

Ce qu'il faut retenir, c'est que les courses sont synonymes de revenus pour la Formule 1 grâce aux onéreux droits payés par les diffuseurs TV ainsi que les promoteurs des Grands Prix. Le championnat avait donc à cœur de caser un maximum d'épreuves entre juillet et décembre, quitte à devoir les organiser à huis clos.

Après le confinement du printemps, les hommes et femmes travaillant dans la catégorie reine du sport automobile ont donc affaire à 17 Grands Prix en l'espace de cinq mois à peine, dont pas un, pas deux, pas trois mais quatre triple-headers : deux courses au Red Bull Ring suivies d'une au Hungaroring, deux épreuves à Silverstone avant une à Barcelone, une triplette composée de Spa-Francorchamps, de Monza et du Mugello, puis en fin d'année, deux manches à Bahreïn que suivra le dernier Grand Prix de la saison à Abu Dhabi.

Certes, la plupart ne sont pas des triple-headers au sens conventionnel du terme, puisque rester deux week-ends de suite sur le même circuit permet de réduire les coûts autant que la fatigue. Mais cela a-t-il permis de banaliser, dans le même temps, un programme plus chargé que jamais ?

Les mécaniciens Haas F1 s'échauffent dans la voie des stands

"Compte tenu des circonstances spéciales que nous connaissons cette année, c'est quelque chose que nous devons simplement traverser. Mais en même temps, cela ne peut pas devenir la norme dans les saisons à venir", avait averti Andreas Seidl, directeur de l'écurie McLaren. Et pourtant ! Le calendrier de la saison 2021 de Formule 1 comprendra un nombre record de 23 Grands Prix, avec deux triple-headers : le premier verra l'enchaînement de la Belgique, des Pays-Bas et de l'Italie, tandis que le second sera composé de la Russie, de Singapour et du Japon. Cela représentera six courses en sept week-ends de la fin août à la mi-octobre, avec des trajets non négligeables pour se rendre de Sotchi à Singapour et de Singapour à Suzuka.

Organiser de si nombreuses épreuves aidera à combler les pertes financières monstrueuses de la Formule 1, qui a vu ses revenus chuter de 96% au deuxième trimestre avant d'enregistrer des pertes de près de 90 M€ au troisième trimestre – ces chiffres sont d'autant plus importants que les primes accordées aux écuries découlent directement des revenus de la Formule 1, selon la structure établie par les Accords Concorde.

Cependant, les écuries n'ont pas manqué d'avertir, depuis plusieurs années, sur l'effet néfaste que pourrait avoir un trop fort développement du calendrier, alors que le chiffre de 25 Grands Prix a été évoqué par Liberty Media, propriétaire de la F1 : il deviendrait nécessaire d'organiser une rotation des effectifs au lieu d'envoyer le même personnel sur chaque course, avec les frais supplémentaires que cela entraîne. Bien des équipes continuaient de tirer sur la corde et vont désormais devoir revoir leur approche.

Certains pilotes sont les premiers à compatir avec leurs collègues. "En tant que pilote, on veut courir le plus possible, mais je sais l'effort que cela impose aux ingénieurs et aux mécaniciens", reconnaît George Russell. "Nous avons le luxe, parfois, de rentrer entre les courses, et ces gars-là sont souvent loin de leur famille pendant trois semaines d'affilée, ce qui n'est pas viable. Si le calendrier doit s'accroître, les petites équipes auront certainement besoin d'aide : deux équipages pour pouvoir se déployer sur l'ensemble de la saison."

Pour sa part, Simon Roberts a beau n'être à la tête de l'écurie Williams que depuis deux mois, cette problématique est au cœur de sa réflexion en tant que directeur d'équipe. "C'est quelque chose que nous étudions depuis quelques mois désormais", indique-t-il. "Nous prévoyons de pouvoir créer une sorte de rotation pour le personnel. Être en déplacement sur 22 ou 23 Grands Prix par an est très, très fatigant, cela épuise toute l'équipe. Heureusement, à l'usine, nous avons suffisamment de gens qui ont de l'expérience, et avec la situation actuelle du COVID, il faut qu'ils soient en stand-by de toute façon. L'an prochain, en somme, nous allons rationner les courses pour tout le monde."

Chez Ferrari, même Mattia Binotto envisage de faire l'impasse sur certaines épreuves. Mais d'autres ne partagent pas ces préoccupations. "Je ne suis pas inquiet outre mesure", confie Alan Permane, directeur sportif chez Renault. "Je crois que nous aurons fait quatre triple-headers cette année, si je ne m'abuse, et nous avons bien géré ça. La manière dont nous organisons le temps de repos de notre personnel qui voyage fonctionne très bien pour nous. Je serai très heureux de retrouver de la normalité, et si nous faisons 23 courses, ce sera super."

Charles Leclerc, Ferrari SF1000, Daniel Ricciardo, Renault F1 Team R.S.20 et Alex Albon, Red Bull Racing RB16

"Si" est un mot important, ici. Comment ne pas envisager que le calendrier annoncé par la Formule 1 soit amené à évoluer dans un avenir plus ou moins proche en raison de la pandémie de COVID-19 ? Les organisateurs du Grand Prix du Vietnam, dont l'édition inaugurale a déjà été reportée à 2021, ont d'ores et déjà renoncé à l'organiser l'an prochain, en raison de différends politiques à Hanoï. La saison est censée commencer à Melbourne en mars, mais les 12 Heures de Bathurst et la manche WSBK de Phillip Island, qui auraient dû avoir lieu en février en Australie également, ont été annulées et reportée respectivement.

C'est donc l'incertitude qui règne, et de ce point de vue, prévoir 23 courses peut être considéré comme prudent si l'on part du principe que le total final sera moins élevé. Et si certaines courses ne sont pas remplacées, cela ne fera clairement pas que des malheureux, à l'image d'un Cyril Abiteboul qui, au moment du premier triple-header en 2018, nous déclarait préférer "donner la priorité à la qualité par rapport à la quantité".

Le directeur de Renault F1 Team poursuivait : "Une course de Formule 1 doit être quelque chose de spécial. Je pense qu'il est bon de parfois se faire désirer, comme dans une liaison amoureuse. Si l'on est constamment disponible, l'amour peut dévier un peu. Il faut garder ce sentiment de quelque chose de spécial." Sur les réseaux sociaux, les avis divergent entre deux clans aux opinions polarisées : ceux qui sont convaincus qu'il n'y a jamais trop de courses d'un côté, et de l'autre, ceux selon qui l'on peut finir par être écœuré même en étant passionné, comme après avoir mangé un pot entier de pâte à tartiner en une journée.

Les fans justement, ainsi que les pilotes, croiseront les doigts pour revoir certains circuits qui n'ont théoriquement pas les moyens financiers d'accueillir la Formule 1 mais ont assuré l'intérim en 2020 en étant globalement, voire unanimement appréciés : le Mugello, Portimão, Imola… mais encore une fois, tout cela dépendra du coronavirus et de l'évolution de la crise, avec cette deuxième vague qui sévit actuellement dans une partie du monde et une troisième qui pourrait arriver d'ici là.

En attendant, ceux qui travaillent en Formule 1 vont profiter tant bien que mal du peu de temps libre qui leur est accordé. Comme le disait Peter Crolla, team manager Haas, à l'issue du triple-header 2018 en Angleterre (où sont basées sept des dix écuries) : "Certains membres de l'équipe vont rentrer chez eux et voir leur famille, dormir dans leur lit. Ce sont ces petits réconforts qui peuvent souvent donner aux gens ce repos dont ils ont besoin." Un repos effectivement indispensable.

James Hunt fait la sieste dans l'hospitalité McLaren

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