Opinion

Comment la "blague" de l'E-Prix de Valence a terni l'image de la Formule E

L’E-Prix de Valence était très attendu ce week-end, puisqu’il s’agissait de la première course du championnat organisée sur un circuit permanent. Mais après une première épreuve marquée par une réduction d’énergie et avec seulement neuf pilotes classés, la Formule E se retrouve une nouvelle fois sous le feu des critiques.

Antonio Felix Da Costa, DS Techeetah, DS E-Tense FE21, Nyck de Vries, Mercedes-Benz EQ, EQ Silver Arrow 02

Photo de: Simon Galloway / Motorsport Images

Susie Dent, lexicographe britannique, publie quotidiennement un "mot du jour" sur son compte Twitter. Après l’annonce du projet de Super League européenne, pensé par les clubs de football les plus prestigieux, son choix s’était porté sur "ingéniosité", défini par une "avidité extrême ; un désir insatiable de richesse à tout prix". Dent n’a pas fait référence au dernier tour de l’E-Prix de Valence, samedi, mais le mot qui revenait régulièrement pour mentionner cette première épreuve électrique en Espagne était "farce". Une course qui venait ternir l’image de la compétition, sous l’égide de la FIA depuis le début de la saison.

Car depuis le début du championnat, en février, chaque meeting a été entaché par des règles parfois jugées absurdes. En Arabie saoudite, des pilotes irréprochables ont vu leurs temps effacés pour non-respect d’un drapeau jaune en amont, les faisant partir depuis le fond de la grille, derrière le pilote responsable dudit drapeau. À Rome, c’est la ligne de départ et d’arrivée qui faisait débat, placée derrière un virage en aveugle : Oliver Turvey a gâché son week-end en percutant des voitures qui entamaient une procédure de départ. À Valence, le spectacle fut tout autre : après cinq sorties de la voiture de sécurité, seules neuf monoplaces sont parvenues à boucler l’épreuve, après que la jauge d’énergie a été abaissée, en accord avec la réglementation, durant l’épreuve.

Parmi ces neuf voitures, trois ont atteint l’arrivée en utilisant le limiteur de vitesse (habituellement réservé pour la voie des stands), ce qui leur a permis de rouler légèrement plus vite que celles à court de batterie. Jean Éric-Vergne faisait partie de ce groupe, lui qui a piloté six minutes sur ce mode. Trois pilotes se sont arrêtés sur la piste, tandis que cinq autres ont été disqualifiés pour avoir dépassé la jauge d’énergie autorisée. Pour ajouter à la confusion, ces voitures n’étaient pas à court d’énergie : elles avaient juste atteint la limite établie par la FIA.

Ce malheureux événement intervient durant un week-end où la Formule E attirait plus l’attention qu’à son habitude, puisqu’elle utilisait pour la première fois un circuit permanent, après 73 courses disputées sur des pistes urbaines ou semi-urbaines. Mais selon le Champion en titre António Félix da Costa, il s’agissait avant tout de "la blague de la semaine".

Dans un tel moment, une communication claire et habile était nécessaire pour le championnat. Au lieu de cela, la Formule E a publié un communiqué pour le moins déconcertant. "La gestion de l'énergie est essentielle en Formule E. La course d'aujourd'hui montre les compétences et la stratégie nécessaires pour combiner vitesse et gestion de l'énergie."

Dans son contenu, le communiqué blâmait les pilotes n’ayant pas atteint l’arrivée, mais ouvrait la porte aux critiques fondées sur le manque d’autonomie des batteries. Ce texte n’était pourtant que la première partie de la réponse de la FIA aux événements du dernier tour. Frédéric Bertrand, directeur de la Formule E, avait la tâche ingrate de défendre son championnat face aux médias. Le Français a préféré accuser le leader de la course, Félix da Costa, de ne pas avoir suffisamment ralenti le peloton : ainsi, les 45 minutes de course auraient pu être bouclées un tour plus tôt, ce qui aurait donné lieu à un sprint final d’un tour au lieu de deux.

Antonio Felix Da Costa, DS Techeetah, DS E-Tense FE21

"C'est sûr, c'est surprenant que [Félix da Costa] ait fait ce choix pour avoir un tour supplémentaire", déclarait le Français après la course. "Clairement, je dirais que cela a rendu la vie difficile à beaucoup de pilotes et au leader en particulier. Quand vous regardez la manière dont cela s'est passé, c'est très délicat. Tout se passe en quelques secondes et ce n'était peut-être pas la bonne décision."

Face à ces déclarations, Félix da Costa ne s’est pas laissé faire, pendant que ses défenseurs estimaient que le Portugais était accusé à tort. Sur Twitter, celui qui menait alors la course derrière la voiture de sécurité a déclaré : "Je suis désolé, mais je ne peux pas accepter cela [de la part de la FIA]. Si j'étais allé encore plus lentement sous [Safety Car], combien d'équipes auraient porté réclamation contre moi à la fin ? Et aussi, si j'étais allé plus lentement, ils auraient retiré encore plus d'énergie. Aujourd'hui, c'était uniquement entre les mains de la FIA d'empêcher cela."

Le rythme à mettre en place pour le restart était entre les mains de Félix da Costa. Mais la cause des événements du dernier tour peut également être la règle de la FIA, qui prévoit qu’un kWh (sur les 52 autorisés pour la course) puisse être retiré pour chaque minute passée sous régime de voiture de sécurité. L’application d’une telle règle est décidée par le directeur de course et son équipe, mais n'est en aucun cas absolue. En d’autres termes, Scot Elkins n’était pas obligé de retirer les 5 derniers kWh (portant le total à 19 sur l'ensemble de la course).

"Je suis désolé, mais je ne peux pas accepter cela [de la part de la FIA]. Si j'étais allé encore plus lentement sous [Safety Car], combien d'équipes auraient porté réclamation contre moi à la fin ? Et aussi, si j'étais allé plus lentement, ils auraient retiré encore plus d'énergie. Aujourd'hui, c'était uniquement entre les mains de la FIA d'empêcher cela." António Félix da Costa

Cette décision est d’autant plus sévère sur un tel circuit, où la gestion de l’énergie est forcément plus compliquée que sur un tracé urbain. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une chicane avait été ajoutée sur le tracé de Valence, afin de créer une zone de freinage supplémentaire sur un circuit inhabituellement demandeur sur les phases d’accélérations. Pourtant, les occasions pour récupérer de l’énergie furent trop rares dans les derniers tours, et selon les propos rapportés à Motorsport.com, boucler l’épreuve relevait d'un "objectif final impossible".

Mais qu’en est-il du vainqueur Nyck de Vries et de ses poursuivants, Nico Müller et Stoffel Vandoorne ? Ce dernier a vu sa pole position retirée pour avoir utilisé des pneus non conformes, l’obligeant à s’élancer du fond de la grille. "Comme nous l'avons vu aujourd'hui, certains ont pu avoir du succès", déclarait Bertrand après l’improbable podium du Belge.

Et le directeur du championnat a raison. Les pilotes ont atteint l’arrivée à une vitesse proche de celle de course, avec un niveau d’énergie légal. Cependant, comme lors de sa victoire durant la manche d’ouverture en Arabie daoudite, le Néerlandais était en sous-consommation durant la majeure partie de la course, avant de libérer sa puissance dans les derniers tours. Nico Müller, parti 22e, s'est vu infliger une pénalité pour excès de puissance dès le début de course. Quant à Vandoorne, le Belge et son écurie Mercedes ne s’attendaient à rien en s’élançant dernier. En course, il a même été pénalisé de cinq secondes pour avoir tassé Müller en dehors de la piste.

Le vainqueur Nyck de Vries et son coéquipier Stoffel Vandoorne célèbrent leur performance dans le parc fermé

Comme cela a été rapporté à Motorsport.com, les courses de ces pilotes se sont alors transformées en stratégie de "foutu pour foutu". Les écuries ont été forcées à se lancer dans des missions de sauvetage, et les décisions inattendues de la direction de course leur ont finalement bénéficié. Ces pilotes ont été une exception, et non pas des indicateurs prouvant qu’il était possible de performer dans des conditions de course aussi particulières.

Ce problème de réduction d’énergie sous régime de voiture de sécurité est récurrent. À Rome, le pilote Jaguar et leader du classement général Sam Bird avait été touché par Nyck de Vries dans le dernier tour, ce qui avait valu au Néerlandais une pénalité de cinq places sur la grille ce samedi. Le pilote Mercedes expliquait sa position hors du top 10 par une mauvaise communication sur sa batterie, après plusieurs incidents survenus durant la course.

Cette question a été soulevée lors de la réunion des directeurs d’écurie le vendredi, comme l’a confirmé Bertrand aux médias. "Oui, j’ai la confirmation de Scot", confiait-il après la course du samedi. "La question a été soulevée quant à savoir si ce sera la même décision que pour Rome, de mettre la voiture de sécurité et ensuite de retirer l'énergie au cas où elle intervient en fin de course. Je pense que c'était cohérent avec ce qu'il a annoncé la veille. Donc, je pense qu'il n'y a pas de faute spécifique à déclarer sur ce dossier. On lui a demandé, il a répondu, et il a appliqué."

Toujours est-il que des leçons devront être tirées de ces événements. Malgré la multitude de points douteux du règlement, la FIA avait introduit un drapeau jaune dans le virage 12 pour avertir les pilotes de la procédure de départ en cours, à la fin de la première séance d’essais libres. Une décision qui ressemblait à une réponse au problème rencontré par Turvey à Rome, même si Bertrand affirmait qu’aucun changement réglementaire n’allait être apporté entre les deux courses du week-end à Valence.

Mais pour les téléspectateurs, les pilotes et écuries impliqués ainsi que les directeurs des constructeurs en lice, les événements du week-end ont renvoyé une mauvaise image du championnat. La communication après la course, notamment le fait de rejeter la faute sur le leader de la course, a versé de l’huile sur le feu. Un nouveau problème d’image pour la Formule E, autant pour les fans du championnat que pour les amateurs de sport automobile en général.

Nico Müller, Dragon Penske Autosport, Penske EV-5, Edoardo Mortara, Venturi Racing, Silver Arrow 02

Pour Bertrand, les pilotes au ralenti et les disqualifications font tout simplement "partie du spectacle". "Les gens comprennent tous les défis de ce championnat", affirmait le directeur de la Formule E. "Il ne s'agit pas seulement de pilotage, il ne s'agit pas seulement de gérer sa course comme d'habitude, mais aussi de tenir compte de tous ces aspects de la gestion de l'énergie. Il faut que cela reste un défi pour le championnat. Gardons ce genre d'aspects de la discipline à un niveau élevé pour que les gens comprennent à quel point il est difficile de gagner ici pour une équipe, pour un pilote. Il est également très difficile d'être constant tout au long de la saison. Nous préférons avoir des batailles jusqu'à la dernière minute et aux derniers mètres. Mais cela fait partie du défi de la Formule E, la gestion de l'énergie. Nous ne pouvons pas éviter cela."

Pour les téléspectateurs, les pilotes et écuries impliqués ainsi que les directeurs des constructeurs en lice, les événements du week-end ont renvoyé une mauvaise image du championnat.

Pourtant, la suite de ses commentaires n’allait pas de pair avec les déclarations précédentes. "Ce n'est clairement pas la façon dont nous aimons [la Formule E]. Nous ne pensons pas que ce soit le type de fin de course que nous aimerions avoir chaque week-end. Une fois était clairement suffisante, et j'espère que tout le monde a appris et que cela ne se reproduira plus."

La fin controversée de cette course sur piste humide, qui avait tout pour devenir un classique de la courte histoire du championnat, fut loin du résultat escompté. Trop d’éléments dépendent de la malchance et de coïncidences, ce qui rend la discipline moins attirante pour de nombreux amateurs de course. Le problème d’image de la Formule E survenu ce week-end était évitable dans un premier temps, et aurait également pu être rattrapé dans les médias par la suite. Un E-Prix très critiqué faisant suite à un début de saison sujet aux débats, qui va jusqu’à remettre en question l’intérêt de la discipline.

Lorsque le président de la FIA Jean Todt se présentait à Rome, le Français avait déclaré que la discipline méritait une meilleure couverture par les médias. Pas sûr que ce qu’il s’est passé ce week-end soit exactement ce à quoi pensait Todt...

La voiture de sécurité et António Félix Da Costa, DS Techeetah, DS E-Tense FE21

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