Analyse

Exit Audi et BMW : la Formule E se doit d'être plus pertinente

Les départs d'Audi et BMW de la Formule E représentent le premier gros revers de la discipline qui se targuait jusqu'à présent d'être la destination de choix pour les constructeurs automobiles concentrés sur l'électrique – même si la discipline a le plus grand mal à intégrer les constructeurs japonais à son concept ,malgré des appels du pied constants et insistants. Désormais, il faut aussi contenir la fuite des autres.

Maximilian Gunther, BMW I Andretti Motorsports, BMW iFE.20

Maximilian Gunther, BMW I Andretti Motorsports, BMW iFE.20

Alastair Staley / Motorsport Images

BMW et Audi ont choqué le petit monde de la Formule E en annonçant leurs départs respectifs de la discipline à la fin de la saison 2020-21. Du jour au lendemain, le championnat a ainsi connu une sorte de réveil, non seulement concernant la politique d'entrée et de sortie des constructeurs d'une discipline, toute badgée du statut de Championnat du Monde qu'elle soit ; mais surtout, de la pertinence même d'un format proposé au départ pour de grands manufacturiers pourtant convaincus de l'investissement à faire dans l'électrique…

La Formule E a ainsi reçu un coup de marteau sur la tête alors qu'elle s'apprête à célébrer son nouveau statut de Championnat du Monde de la FIA. Deux constructeurs automobiles de premier plan reconnus dans le monde entier, qui s'efforcent de promouvoir les voitures électriques sur route, quitteront en effet tous deux la scène après avoir été de solides soutiens du sport-business mis sur pieds par Alejandro Agag. Le championnat tout-électrique n'est plus le championnat qui leur convient.

Individuellement, les décisions d'Audi et de BMW de quitter la Formule E en fin de saison prochaine n'est pas à prendre à la légère. Il s'agit bien d'une onde sismique pour la discipline, qui se plaisait à se définir comme le lieu de compétition le plus pertinent pour les constructeurs automobiles désireux de promouvoir leurs efforts routiers dans le domaine de l'électrique. Ensemble, les annonces officielles sont arrivées à deux jours d'intervalle et ont porté un coup franc. Pas un coup fatal, mais le championnat a été durement touché.

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Un contexte financier qui a bon dos ?

En début d'aventure, pour la première saison d'existence du championnat, en 2014-15, il vous fallait faire un chèque d'environ neuf à dix millions d'euros pour couvrir les coûts de fonctionnement de votre équipe de Formule E et vous montrer compétitif. Six ans plus tard, il vous faut faire un investissement quatre fois plus important. Une augmentation somme toute assez forte ! Il est néanmoins certain que lorsqu'il s'agit de faire les comptes, pour des acteurs majeurs comme BMW ou Audi, une dépense de 40 millions d'euros ne représente théoriquement qu'une goutte d'eau dans l'océan. Tout du moins sur le papier. Car ces budgets se trouvent ventilés dans les lignes de recherche et développement ou encore marketing mais apparaissent bel et bien assez haut dans les présentations des directoires des grands groupes, soucieux de la manière dont ils sont représentés et de la pertinence de leurs engagements sportifs.

Alors que le monde de l'automobile se remet de l'arrêt de la production financièrement catastrophique résultant de la crise sanitaire mondiale, des micro et macro réductions doivent être effectuées par les boards pragmatiques. Et comme l'héritage économique de la pandémie risque de durer bien plus longtemps que la limitation temporaire des déplacements, la prudence préventive des grands groupes, quels qu'ils soient, est simple à comprendre. Cela pourrait bien avoir joué un rôle dans la décision d'Audi et de BMW de se diriger vers la porte de sortie.

Pas une surprise totale pour le championnat

Avant la nouvelle du départ d'Audi, le promoteur était bien entendu conscient que des choses se tramaient. Ainsi, le directeur du championnat Alberto Longo, rappelait l'attrait de la discipline. "Nous avons liste d'attente de personnes - équipes et constructeurs - qui nous appellent quotidiennement pour participer au championnat. Si, malheureusement, un constructeur décidait de partir, nous le remplacerions rapidement". Cela aurait pu être vrai il y a 12 mois, mais la pandémie a également pu ralentir la fréquence à laquelle le téléphone sonne. Ou peut-être le rapport de force entre les deux côtés de la ligne a-t-il désormais fortement évolué.

Les bruits concernant le départ d'Audi avaient tourné dès lundi lors du de test de présaison au Circuit Ricardo Tormo de Valence. Ils étaient atténués par ce que beaucoup percevront ou perçoivent comme une excellente nouvelle : ce départ de la Formule E ouvrait la voie à un retour d'Audi en endurance, où la marque aux anneaux a officialisé le fait qu'elle est désormais en quête d'une 14e victoire aux 24 heures du Mans.

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Bien que la sortie d'Audi ait été assez logique, le constructeur n'était pas le premier participant à penser faire ses adieux à la FE. Audi part, mais qu'en est-il des trois autres marques dont l'avenir dans la série a récemment semblé poser question ? BMW était l'un de ces candidats "à risque" avec son équipe de course gérée par Andretti. Si Audi est sous les projecteurs, le départ du groupe bavarois est pourtant lui aussi très marquant, peut-être même plus, car il s'annonce tout simplement comme un départ de la Formule E n'étant même pas justifié par une implication dans un autre programme compétition ailleurs. La Formule E ne peut ainsi servir la soupe de communication autour des priorités du moment des constructeurs : le championnat et ce qu'il propose ne conviennent tout simplement pas à l'une des marques les plus investies dans la technologie automobile électrique. Point.

La communication officielle de BMW, qui fournit aussi les véhicules d'assistance et le Safety Car, ne comportait pas de citation d'un haut responsable, mais elle intégrait un langage lourd de sens pour justifier le fait que la FE ne répond tout simplement plus aux nécessités de BMW pour justifier son engagement actuel... pas plus que l'horizon futur ne permet au groupe d'envisager une suite dans la discipline (là où Mercedes s'implique assez fortement dans l'écriture des pages futures). "En ce qui concerne le développement des transmissions électroniques," peut-on lire dans le communiqué de presse, "le groupe BMW a essentiellement épuisé les possibilités de cette forme de transfert de technologie dans l'environnement concurrentiel de la Formule E." Lisez-le encore : "Épuisé les opportunités". Ce n'est pas le discours alambiqué habituel des entreprises. C'est un coup direct, une critique. Le regret d'un partenaire déçu, non écouté.

"Pertinence" est un mot à la mode.

C'est là que se trouve le souci. Il est bien beau de dire que les constructeurs vont et viennent dans le sport automobile, ce qui est vrai - ils le font. Et c'est également une chose d'imputer la responsabilité de l'incertitude financière à la pandémie. Mais le point inquiétant pour la FE est que BMW a invoqué la raison même de l'existence du championnat. "Pertinence" est un mot à la mode. Alors que le débat de la pertinence de la Formule 1 fait que la discipline génère quoi qu'il en soit un élan médiatique autour de celle-ci, décomplexée qu'elle est de nature, la FE est intrinsèquement un produit supposé être responsable, pertinent pour la route, et pas seulement un tour du monde dans certains des plus beaux centre-villes au monde. Elle existe pour répondre aux besoins du marché automobile. Il s'agit là du principe fondateur. Le championnat se déroule dans les centres-villes pour mettre en valeur la technologie des véhicules électriques dans les régions fortement encombrées et peuplées… et générer, il est vrai, de nouveaux types de revenus de lieux désireux de s'afficher comme d'attractives destinations touristiques ou eco-friendly, en phase avec leur temps. C'est aussi pour cette raison qu'après les ravages causés par le COVID sur le calendrier 2019-20, la FE s'est battue pour revenir à tout prix à Berlin et n'a pas signé (bien qu'elle en ait été proche) pour organiser des courses sur des circuits de course automobile traditionnels comme Silverstone ou Valence. La FE est un panneau d'affichage compétitif et (parfois) passionnant qui crée des courses spectaculaires… dans des environnements métropolitains.

Audience, cible, pertinence technique et marketing…

Le Royaume-Uni s'étant finalement engagé à interdire la vente de voitures essence et diesel à partir de 2030, la FE semblait destinée à connaître un essor important. Elle avait déjà atteint sa capacité maximale de 12 équipes et de 24 voitures. Si d'autres nations européennes adoptent la même législation prohibitive, un avenir réaliste demeure bien entendu, certains parlant même de fusion ou partage de la visibilité dans le cadre d'événement coorganisés avec la F1. Il y a des contrastes évidents entre ce qu'offre la Formule E et ce vers quoi tend le marché des voitures routières. Une charge rapide allant jusqu'à 600 kW est prévue pour la réglementation Gen3, qui entrera en vigueur pour la saison 2022-23.

Le point fascinant à suivre dans l'évolution de la Formule E concerne la manière dont les éléments relatifs à la puissance, la performance ou la durabilité pourront ou ne pourront pas être développés. Car derrière ce jargon employé par BMW, c'est bien une frustration qu'il y a de n'avoir pu disposer en la FE d'autre chose que d'une plateforme très limitée sur laquelle apposer stickers et badge. La discipline avait à cœur de ne pas faire de la FE une course technologique hors de contrôle avec des coûts démentiels imposés par quelques mastodontes disposés à adopter une approche jusqu'au-boutiste de l'investissement dans la discipline. Au-delà d'une fatale montée des coûts pour espérer gagner, une trop grande liberté accordée aux constructeurs générerait aussi une dépendance trop importante de la discipline envers ces mêmes constructeurs vis-à-vis de leurs va-et-vient politiques.

Pour se forger une identité, il est par ailleurs indispensable pour les manufacturiers "d'habiller" la technologie, quelle qu'elle soit, d'une carrosserie distinctive afin qu'un modèle puisse être distingué d'un autre. En ce sens, le WEC a fait l'intérieur à la FE, en se repositionnant de manière intéressante et pertinente pour les constructeurs : à défaut de disposer de la technologie nécessairement la plus pertinente, la nouvelle incarnation de l'Hypercar proposera un atout commercial identitaire absolument vital pour quiconque investit en image dans les sports mécaniques. Ce modèle est l'exact opposé de celui de la FE. La réglementation conserve les spécifications de la carrosserie – les livrées convergent vers une palette de couleurs de plus en plus réduite – et fait des groupes motopropulseurs le principal élément de différenciation. Cela fonctionne pour l'instant, notamment en raison du fait que le plateau est aussi composé de teams indépendants exploitant ces plateformes, mais à mesure que le monde de l'automobile plus large a besoin de différencier ses modèles électriques et de mettre en valeur sa technologie propre, il s'éloigne de plus en plus de la FE…

Pas de transfert de technologie ? Un comble pour les constructeurs

S'adressant à Motorsport.com, Sergio Rinland, ancien concepteur de F1 de Williams, Brabham, Benetton, Sauber et Arrows, déclare : "On ne peut pas avoir la batterie d'une voiture de Formule E – la même cellule – et l'utiliser dans une voiture de route, car il y a une chimie différente. C'est extrêmement cher pour la course, parce que toutes les entreprises de batteries investissent énormément d'argent pour améliorer la densité énergétique, et non la densité de puissance. Ce dont vous avez besoin en course, c'est de l'énergie, donc c'est une chimie différente. C'est un autre type de batterie. Quand vous voulez développer une batterie pour la course, cela vous coûte une fortune". Le transfert de technologie qui semble inhérent à la FE est bien loin.

Ce qui doit être fait est noté par Toto Wolff, le patron de Mercedes Motorsport, qui a d'ailleurs réaffirmé l'engagement de la marque en Formule E. Il l'explique à Motorsport.com :"La Formule E est en position de force dans sa niche et peut certainement se développer à partir de cette niche. Nous resterons engagés aussi longtemps que le cadre des futures réglementations, financières et techniques, reste attractif pour Mercedes."

"[La Formule E et les écuries] doivent accélérer la discussion autour d'un plafond de coûts pour rendre les choses financièrement plus durables. Nous devons discuter de la répartition des revenus et de la stabilité des règlements à l'avenir. Tout cela est sur la table et est important pour nous tous". Le plafonnement des coûts et la répartition des revenus sont en effet sur la table pour les règles Gen3. Ces deux sujets sont familiers dans le paddock F1 et il n'est donc pas étonnant qu'ils aient été repris par l'équipe ayant dominé ces dernières années dans le pinacle du sport et diversifie actuellement ses engagements. Audi et BMW n'avaient plus à cœur de faire le travail des promoteurs à leur place.

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