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L'obscur comeback ayant lancé l'odyssée de Jordan en F1

Avant que Bertrand Gachot, Andrea de Cesaris ou encore Michael Schumacher ne pilotent la Jordan 191, Eddie Jordan s'est d'abord tourné vers un Nord-Irlandais. John Watson, victorieux avec Penske et McLaren en F1, évoque son rôle dans la création d'une légende.

John Watson, Jordan 191

J'ai rencontré Eddie Jordan pour la première fois lorsqu'il courait en Formule 3. En 1980, il a forcé Philip Morris [société-mère de Marlboro, ndlr] à le mettre au volant d'une Formule 1 McLaren, lors d'un meeting à Brands Hatch. On m'a dit d'y aller, de prendre le volant et ensuite de le laisser à Eddie pendant cinq ou dix tours. Je n'ai montré aucun intérêt, ça me faisait chier.

J'étais très souvent à Silverstone à la toute fin des années 1980 parce que nous y avions le John Watson Performance Driving Centre. À l'heure du déjeuner, on trouvait EJ [Eddie Jordan], Bosco Quinn [directeur général], Trevor Foster [directeur d'équipe] et d'autres dans la cafétéria. J'ai fini par nouer une relation.

À l'époque, j'étais isolé à Bognor Regis [station balnéaire au sud de l'Angleterre, ndlr] et EJ m'a dit : "Viens à Oxford, c'est génial". Donc je me suis trouvé une maison fin 1990. Par la suite, j'ai régulièrement vu EJ lorsqu'il se préparait à passer de la Formule 3000 à la Formule 1. À l'automne, il m'a demandé de conduire sa voiture.

En fait, [Jordan] ne cherchait pas à recruter un pilote titulaire mais avait besoin de quelqu'un de suffisamment expérimenté pour ne pas casser la voiture. J'ai accepté en partant du principe que cela me donnait un aperçu des F1 modernes et me permettait de voir à quel point tout avait changé avec les moteurs atmosphériques. EJ a eu droit au tarif d'ami, c'est-à-dire qu'il n'a rien eu à payer, et ça lui a plu bien sûr. Peut-être qu'il y avait une certaine fierté irlandaise également.

Je connaissais leur designer, Gary Anderson, depuis l'époque Brabham au début des années 1970, et il était chez McLaren lorsque je les ai rejoints en 1979. [L'équipe Jordan] avait un bon état d'esprit et plein de bonnes valeurs. Jordan a créé quelque chose d'unique dès le début, une écurie de Formule 1 irlandaise avec un important effectif irlandais.

Watson a été le premier à tester la voiture pour rendre service à Jordan

Watson a été le premier à tester la voiture pour rendre service à Jordan

J'ai d'abord pris le volant de la voiture à Silverstone. Je n'avais aucune idée de ce que ça allait donner. La dernière fois que j'avais piloté une F1, c'était avec McLaren au Grand Prix d'Europe 1985. Mais j'avais roulé en Groupe C jusqu'à la fin de la saison 1990, donc j'étais encore actif.

Je crois qu'une voiture vous dira si elle est bonne ou mauvaise si vous laissez parler votre instinct ou les sensations que vous pouvez avoir dans vos mains ou vos pieds. Et [avec la Jordan 191], j'avais la sensation d'être dans une bonne petite voiture.

Plus tard, ils m'ont demandé de piloter de nouveau, à Pembrey, un coin paumé du Pays de Galles. Je m'y suis rendu parce que je leur rendais encore service. On a passé deux jours là-bas, il y faisait si froid mais la voiture était géniale. Elle n'avait aucun défaut.

Je me souviens avoir dit à Senna : 'Ayrton, si tu mets ton moteur dans ce châssis, tu gagneras le Championnat du monde'. Le châssis était incroyable.

John Watson

Il n'a jamais été question de me voir courir. J'étais à l'étroit dans le cockpit, principalement à cause de ma taille, et c'était également un problème pour [Bertrand] Gachot. Je crois qu'il a pété un moteur à Phoenix à cause de ça. La voiture convenait plus à un gabarit comme celui d'Andrea de Cesaris.

Terminer cinquième au classement des constructeurs en 1991, c'était tout bonnement incroyable. Cette année-là, McLaren avait un V12 Honda et je me souviens avoir dit à Senna : "Ayrton, si tu mets ton moteur dans ce châssis, tu gagneras le Championnat du monde". Le châssis était incroyable.

Lorsque Michael [Schumacher] a piloté à Spa, il ne partait pas de zéro. Il s'est préparé pendant quelques jours à Silverstone. Mais le fait qu'un pilote puisse débarquer en F1 et prendre la septième place sur la grille à son volant illustre à quel point [la 191] était bonne, et à quel point Michael était bon.

C'est facile de se moquer d'EJ. Mais il a bâti une équipe en F3 et en F3000 puis il a mis sa tête sur le billot en récoltant des fonds pour rejoindre la grille en F1. Dans sa livrée verte et avec ses sponsors Fuji et 7UP, la 191 est l'une des voitures les plus emblématiques de l'Histoire. Elle a attiré l'attention et, en plus, les gens aiment les outsiders. C'est le rôle qu'a joué EJ en obtenant un soutien massif du public.

La première F1 Jordan était connue sous le nom de 911, ce qui a déplu à Porsche. Eddie Jordan a accepté de changer le nom en échange d'une voiture du constructeur allemand

La première F1 Jordan était connue sous le nom de 911, ce qui a déplu à Porsche. Eddie Jordan a accepté de changer le nom en échange d'une voiture du constructeur allemand

J'ai un grand respect pour ce qu'Eddie a accompli. Mais pouvez-vous l'imaginer en F1 aujourd'hui ? À mon grand regret, quelque chose a changé chez lui lorsque l'équipe a fini troisième du championnat, en 1999. Il pensait qu'il était devenu une superstar et s'est fait distraire par d'autres éléments de sa vie.

C'était une transition, le leader a commencé à courir après la célébrité, la gloire, l'argent. Ron Dennis [à la tête de McLaren entre 1980 et 2016] n'a jamais fait ça, il n'a jamais recherché ces choses-là, elles n'étaient que les fruits de son succès. C'est ce qui les différencie.

Propos recueillis par Damien Smith

Le shakedown de Watson est souvent oublié lorsque l'on évoque la première saison inoubliable de Jordan en F1

Le shakedown de Watson est souvent oublié lorsque l'on évoque la première saison inoubliable de Jordan en F1

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