Pourquoi l'arrivée de Pérez chez Red Bull est une juste récompense
L’arrivée de Sergio Pérez au sein d’une écurie de pointe, pour la seconde fois de sa carrière, sonne, à l’instar de sa victoire au Grand Prix de Sakhir, comme une juste récompense pour un des rares pilotes des années 2010 à avoir constamment existé en dehors des équipes capables de jouer régulièrement victoires et podiums.
Sans doute, de l’extérieur et même pour une frange des fans de Formule 1, le recrutement par Red Bull Racing de Sergio Pérez pour remplacer Alexander Albon n’est pas très clinquant. Le Mexicain demeure un pilote mineur à l’échelle de la F1, peu médiatisé en dehors, et finalement un peu hors des figures de proue de la discipline réduites aujourd’hui aux pensionnaires ou anciens pensionnaires victorieux des structures ayant constitué le top 3.
Mais sa trajectoire, sa constance, son récent succès à Sakhir, dont on a quelque peu l’impression que, en dépit de ce qu’il pouvait représenter, la portée a été atténuée par l’incroyable échec de Mercedes à offrir la victoire à George Russell, font de cette seconde arrivée au sein d’un top team dans sa carrière une sorte de récompense méritée, de finalité logique d’un parcours où constance et performance ont été les maîtres-mots, tant Pérez n'a cessé de montrer ce qu’il était capable de faire, remettant sans cesse le travail sur l’établi.
Du haut de ses 30 ans, Pérez en est à sa dixième saison en Formule 1 et a déjà connu beaucoup de choses. Pilote discret, il n’a pas forcément brillé de mille feux comme d’autres avant et après lui dans les formules de promotion, même si sa saison 2010 en GP2, l’antichambre de la F1, l’a vu terminer second derrière le Champion d’alors Pastor Maldonado et devant le regretté Jules Bianchi. Bien aidé par ses soutiens mexicains, dont le milliardaire Carlos Slim, et son enrôlement au sein de la Ferrari Driver Academy, il a pu accéder à la discipline reine en 2011 par le truchement de Sauber.
Ses deux premières années ont été marquées par deux événements principaux : son grave accident du Grand Prix de Monaco 2011 où, pendant les qualifications, une perte de contrôle à la sortie du tunnel l’enverra dans les barrières de sécurité et entraînera son forfait pour les deux courses suivantes. Puis sa victoire manquée de peu au GP de Malaisie 2012, face à Fernando Alonso sur Ferrari, au terme d’une épreuve brillamment menée dans des conditions difficiles pour un pilote alors âgé de 22 ans ; il ajoutera à sa seconde place deux autres podiums cette même année, en forgeant déjà une des caractéristiques les plus notables de son pilotage, en pur produit de la génération des pneus Pirelli, à savoir la faculté à prendre soin de ses gommes.
Deux années suffisantes pour convaincre McLaren de le subtiliser à l’académie Ferrari pour lui confier un baquet de titulaire en 2013, succédant ainsi à Lewis Hamilton. Pas une mince affaire en soi, l’aventure tournera rapidement mal. Non pas que les performances furent catastrophiques, mais McLaren, qui avait lutté pour le titre la saison précédente, entamait de façon plutôt abrupte son déclin (clairement distancé par Red Bull, Mercedes, Lotus et Ferrari), sur fond de rivalité en coulisses entre son directeur Martin Whitmarsh et un Ron Dennis sur le retour. Pérez, qui avait déjà terminé 2012 de manière pour le moins erratique, peina à trouver ses marques et réalisa un début de saison loin du compte, qui allait sceller son destin en dépit d'une fin d'année nettement meilleure.
Dennis remporta la lutte interne et imposa Kevin Magnussen pour la saison suivante chez McLaren. Whitmarsh, qui soutenait Pérez, l'aida à rebondir du côté de Force India. L'équipe détenue par Vijay Mallya allait être l'écrin idéal pour le Mexicain : structure ambitieuse aux moyens modestes (d'aucuns diraient avec raison qu'aussi modestes étaient-ils, ils étaient bien au-dessus de ce dont l'équipe disposait réellement...), sa progression était constante et Pérez allait bientôt lui offrir, entre 2014 et 2018, cinq des six podiums de sa courte histoire.
Le Mexicain et ses soutiens financiers allaient également offrir une chance de survie à une équipe de Silverstone prise dans la tourmente des déboires financiers et légaux de Mallya à l'été 2018 en provoquant la mise sous administration judiciaire qui aboutirait au rachat de ses actifs par un consortium mené par le milliardaire canadien Lawrence Stroll. Désormais devenu Racing Point mais conservant l'essentiel de ce qui faisait sa force, le schéma était le même : Pérez allait poursuivre son travail inlassablement, continuer de convaincre au point d'être prolongé, en fin d'année dernière, jusqu'en 2022.
Mais la F1 est un monde cruel : alors que l'ambition de Stroll se dessinait sous les traits de la prestigieuse marque Aston Matin, Pérez n'allait bientôt plus entrer dans ses plans, l'écurie saisissant l'opportunité d'attirer dans ses filets un quadruple Champion du monde certes dans une mauvaise passe mais à la réputation et au palmarès considérables. C'est dans ce contexte quasi crépusculaire que "Checo" monta sur le podium du GP de Turquie, accompagnant ironiquement Sebastian Vettel, avant d'offrir en guise de cadeau d'adieux la victoire au GP de Sakhir.
Cet émouvant succès surprise sonnait déjà comme un soulagement (en plus d'être une sorte de revanche de la génération des Grosjean, Hülkenberg, Pérez, etc.) au moment où beaucoup pensaient que la carrière du Mexicain en discipline reine était proche de subir un coup d'arrêt plus ou moins long, qui paraissait très injuste au vu de ce qu'il avait démontré. Comme un symbole, c'est en étant accroché au départ et en repartant de l'arrière, profitant de sa gestion des pneus, des circonstances et en attaquant aux moments décisifs qu'il l'a conquis. Ce n'était pas un simple accident, c'était déjà une récompense.
Et sans doute le moment décisif où, dans l'esprit de l'écurie Red Bull, les choses ont basculé. On pourra toujours discuter de la manière dont le second pilote de l'écurie autrichienne a été traité ces deux dernières années, sans qu'il soit toujours aisé de séparer le vrai du faux, le fantasme des faits. Toujours est-il qu'il a fallu attendre cette saison l'ultime course pour qu'Alex Albon soit au niveau minimum attendu dans une course d'équipe et empêche Mercedes de pouvoir tenter un pari stratégique face à Max Verstappen. Trop peu, trop tard.
Sergio Pérez aura, lui, rarement donné "trop peu" et "trop tard". Sur l'ensemble de sa carrière, dans ses progrès comme dans ses résultats, il aura rarement failli, sans jamais avoir la chance de pouvoir démontrer pleinement ce qu'il pouvait donner au sein d'une écurie où le succès est la seule unité de mesure. La tâche qui l'attend est colossale, aussi bien dans un environnement dur comme celui de Red Bull, que face à un équipier du calibre de Verstappen, que vis-à-vis des attentes qui seront grandes et qu'en vertu d'un contrat qui est a priori d'un an.
Mais en même temps, ces dix années à ne faire que se trouver en bordure de la lumière n'ont eu pour but ultime que d'avoir un jour l'opportunité d'être véritablement sous le feu des projecteurs et au volant d'une monoplace avec l'ambition claire de jouer les titres ; en cela, c'est un aboutissement et une récompense. Et Red Bull sait que sa propre tâche, à savoir battre la meilleure écurie de tous les temps en F1, est elle-même titanesque et que pour la dernière année avec Honda, dans une réglementation stable mais suffisamment différente pour espérer un rapprochement naturel, avoir Sergio Pérez dans ses rangs est une garantie. À eux de fournir à leurs pilotes la monoplace capable de le faire.
Et à Pérez de jouer et de faire ce qu'il sait faire de mieux : saisir sa chance.
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