Opinion

Les quatre roues motrices, idéales pour les bolides électriques

Les courses sur circuit favorisent traditionnellement les tractions ou les propulsions. Cependant, pour les championnats électriques, une répartition équitable de la puissance est parfaite.

Lucas di Grassi, Audi Sport Abt Schaeffler

Ingénierie

Les experts de Motorsport.com vous expliquent comment devenir un meilleur pilote.

J'ai eu l'opportunité de piloter de nombreuses voitures célèbres avec Audi. J'ai récemment testé la S1 Quattro, ce qui signifiait beaucoup à mes yeux. C'est la voiture avec laquelle je jouais sur mon canapé quand j'étais petit.

La S1 est née la même année que moi, en 1984. C'est une période où la Quattro à quatre roues motrices est devenue très célèbre sur la route, ayant fait ses preuves avec grand succès en rallye. C'était une opportunité intéressante de la comparer avec la nouvelle RS e-tron GT électrique pour montrer les différences entre un moteur à combusion et un moteur électrique.

Au volant de la S1, j'ai monté la côte de San Ramolo à plusieurs reprises avec Stig Blomqvist, champion WRC 1984, à mes côtés. Il m'a dit qu'il pilotait des tractions au début de sa carrière, et que lorsqu'il a pris le volant de l'Audi Quattro pour la première fois, elle a représenté un grand gain de motricité.

La première pensée que l'on a quand on est sur le point de piloter la S1 est que l'on va réaliser un rêve d'enfance. Mais la réalité est que la technologie a tellement évolué lors des 40 dernières années que la S1 est extrêmement difficile à piloter par rapport aux voitures modernes.

J'étais loin de pousser la voiture à la limite, mais ce n'était pas nécessaire pour comprendre ce que c'était pour Stig, Hannu Mikkola et Michèle Mouton sur les spéciales de rallye. Par exemple, la S1 a une boîte de vitesses en H, donc il faut du temps pour passer les rapports, et le moteur turbo a une plage de tours moteur très étroite. Si l'on ne fait pas les choses à la perfection dans un virage lent, c'est comme si la voiture s'arrêtait.

Il fallait faire le talon-pointe pour changer les vitesses, et en même temps il fallait continuer d'appuyer sur l'accélérateur pour maintenir la pression du turbo. Stig freinait avec le pied gauche et avec le droit dans quasiment chaque virage, c'était très impressionnant à regarder. Mais il faut des années d'expérience pour maîtriser cette technique. Je me suis clairement rendu compte à quel point les voitures d'aujourd'hui sont bien plus rapides mais aussi bien moins fatigantes pour le pilote.

Di Grassi found the S1 tricky to drive in demo runs and marvelled at Blomqvist's technique

Di Grassi a trouvé la S1 difficile à piloter en démonstration et a été ébloui par la technique de Blomqvist

Faut-il quatre roues motrices ou non ? C'est principalement l'électronique moderne qui détermine à quel point les voitures sont faciles à piloter. J'ai beaucoup entendu la FIA dire que les quatre roues motrices sont plus faciles à piloter qu'une traction ou qu'une propulsion, comme la Formule E Gen2 ou l'Audi R8 LMS GT3 que j'ai en DTM, mais ce n'est pas le cas du tout. C'est juste une technique différente qui a ses propres exigences.

Par exemple, lors de ma dernière année en LMP1 avec Audi en 2016, nous avions environ 500 chevaux sur l'essieu avant avec le moteur électrique et 500 chevaux sur l'essieu arrière avec le moteur à combustion turbodiesel, avec une énorme latence. Dès qu'on touchait l'accélérateur à la sortie d'une épingle, quand il fallait accélérer et tourner, comme dans l'enchaînement des virages 2-3-4 au Circuit international de Shanghai, l'essieu avant voulait donner la puissance instantanément tandis que le moteur chargeait le turbo à l'arrière, ce qui signifie que la voiture sous-virait puis survirait alors que les systèmes de contrôle essayaient de répartir toute cette puissance. En tant que pilote, il faut être sur la bonne trajectoire et jouer avec l'accélérateur afin de maximiser l'angle de sortie [de virage] et éviter de partir en dérapage.

En dehors des spéciales de rallye, l'utilisation limitée des quatre roues motrices dans les courses de haut niveau sur circuit sont aujourd'hui le fruit de la réglementation plutôt que de la technologie. Quand la réglementation ne restreint pas la technologie, les voitures vont naturellement dans cette direction si le budget et le savoir-faire sont au rendez-vous pour faire fonctionner ce concept. On l'a vu cette année au Mans, Toyota s'étant imposé dans la catégorie Hypercar face à la Glickenhaus à deux roues motrices.

Il est de notoriété publique que les quatre roues motrices ont été un échec en Formule 1 dans les années 1960, Colin Chapman ayant été contraint d'abandonner le développement de la Lotus 63. Mais si c'était autorisé aujourd'hui, on s'attendrait à ce que les écuries de F1 s'en emparent, car elles permettent d'optimiser les capacités du pneu dans tous les domaines : l'accélération, les virages et le freinage. C'est la même histoire en Formule E où, pour moi, adopter les quatre roues motrices est une évidence.

D'autres voitures de sport électriques suivent cette philosophie (la RS e-Tron GT a un moteur sur les deux essieux, sans lien mécanique entre les deux) car l'essieu avant permet une énorme régénération au freinage. Le fonctionnement de la répartition du poids signifie que quand on freine, on a plus de capacité à l'avant.

Di Grassi believes four-wheel-drive in Formula E would provide power, re-gen and weight benefits

Di Grassi estime que les quatre roues motrices seraient bénéfiques en matière de puissance, de régénération d'énergie et de poids en Formule E

Le poids supplémentaire d'un moteur électrique à l'avant de la Formule E Gen3 pourrait être compensé en enlevant celui de la batterie, ce que l'on pourrait faire grâce à la récupération d'énergie supplémentaire du train avant. On gagnerait de la puissance avec la même autonomie, et on utiliserait beaucoup moins les freins car l'énergie récupérée au freinage serait également accrue. Si cela peut être fait en maîtrisant les coûts avec une répartition du couple fixe, il n'y aura en somme aucun inconvénient.

La question suivante concerne les meilleurs réglages pour une configuration à quatre roues motrices. Est-ce qu'on le fait avec un moteur unique et un différentiel mécanique, deux moteurs à l'avant et à l'arrière, ou un moteur indépendant pour chaque roue ? Selon le couple de chaque moteur, et si l'on peut surpasser la limite de motricité à l'accélération, la solution optimale est d'avoir un seul moteur électrique connecté à chaque roue, permettant un vecteur de couple total sur la voiture.

Si l'on a de surcroît quatre roues directrices, afin que chaque roue tourne et accélère indépendamment, alors on a la solution optimisée pour n'importe quelle voiture. C'est le Graal de l'ingénierie des voitures de courses : on ne peut rien faire de plus pour maximiser la surface de contact du pneu avec la piste. Aucun compromis n'est nécessaire.

C'est quelque chose d'impossible avec les moteurs à combustion car on a toujours une pièce mécanique qui répartit le couple. Avec le moteur électrique, ce n'est pas le cas, car on peut avoir chaque moteur indépendant qui travaille au millième de seconde près pour modifier le couple de chaque roue.

Cela soulève toutefois d'autres questions. À quel stade le pilote devient-il trop assisté ? L'une des discussions que nous avons eues chez Roborace concerne le niveau d'aides qu'un pilote devrait avoir lorsqu'il compare ses performances à une voiture totalement autonome, dirigée par des algorithmes. Une voiture à intelligence artificielle peut être réglée de manière à ce que chaque roue soit contrôlée indépendamment à tout moment ; même le plus talentueux des pilotes n'est pas capable de faire ça.

Alors, quand on évalue le talent de l'être humain, permet-on à l'ordinateur de répartir le couple, ou s'agit-il de toutes les commandes adressées à la voiture par le pilote, comme c'était le cas avec la S1 ?

Si l'on part du principe que l'être humain et le pilote autonome doivent être considérés de manière complètement séparée, que l'être humain ne peut contrôler que ce dont il est capable et que l'ordinateur peut contrôler quasiment tout, alors l'ordinateur est déjà largement plus rapide que l'être humain. Mais si l'on permet à l'être humain de collaborer avec un ordinateur, il reste plus rapide que l'ordinateur seul, pour l'instant.

Possibilities for four-wheel drive are almost limitless and its full potential is still being explored

Les possibilités pour les quatre roues motrices sont presque sans limites, et leur véritable potentiel reste en cours d'exploration

Les possibilités des quatre roues motriecs commencent juste à être totalement explorées et pourraient suivre des chemins très divers à l'avenir. Comme je l'ai dit, je pense que repousser les limites de la technologie des véhicules électriques est important, mais il n'est pas nécessaire que cela se fasse aux dépens du sport auto traditionnel avec des gladiateurs que les fans suivent et admirent au volant. Ils peuvent coexister en étant deux sphères semi-distinctes.

Si davantage d'organisateurs de championnats décident d'autoriser les quatre roues motrices, mais avec une répartition du couple fixe pour conserver cette influence humaine du pilotage autant que possible, alors cela ne détournera pas l'attention du spectacle pour les fans, même si on verrait sûrement des virages passés plus en V que pour des propulsions, car les pneus avant seraient optimisés pour l'accélération.

Il y a des entreprises qui se spécialisent dans l'installation des dernières technologies sur les voitures historiques pour les rendre plus efficaces. Mais devrions-nous faire ça avec la S1 ? Pour moi, la bonne approche est de garder les voitures dont nous rêvions petits telles qu'elles sont, avec le son qu'elles ont – la S1 est juste incroyable quand on change de vitesse – et d'apporter la nouvelle technologie avec les nouvelles voitures.

Updating classic machines is currently in vogue, but Di Grassi advocates keeping them in their original spec

Moderniser les voitures historiques est à la mode, mais Di Grassi préfère conserver leur spécification d'origine

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