Analyse

Pourquoi Ferrari met fin à 50 ans d'absence au sommet de l'Endurance

Revenant dans la catégorie reine de l'Endurance après 50 années d'absence, Ferrari va s'engager en catégorie "Le Mans Hypercar" en 2023. La marque italienne dément tout lien avec le plafond de dépenses de la F1, mais il ne s'agit assurément pas d'une coïncidence...

Sam Posey, Tony Adamowicz, North American Racing Team, Ferrari 512 M

Sam Posey, Tony Adamowicz, North American Racing Team, Ferrari 512 M

Rainer W. Schlegelmilch

Un nouvel avenir brillant pour le plus haut niveau de la compétition automobile. Des coûts considérablement réduits. Des prototypes qui peuvent ressembler à leurs équivalents routiers. Et un surplus de ressources disponible provenant de son programme de Formule 1. Les étoiles se sont alignées pour le retour tant attendu de Ferrari au sommet de l'Endurance en tant que constructeur.

Tout s'est assemblé pour la décision qui a précédé l'annonce, ce mercredi, par le constructeur italien de sa volonté d'essayer de faire évoluer son total de neuf victoires aux 24 Heures du Mans à partir de 2023. Il semble que la correspondance de cette date avec l'anniversaire des 50 ans de sa dernière tentative en tant qu'équipe d'usine avec un prototype, la 312PB en 1976 (voir ci-dessous), soit simplement une heureuse coïncidence.

Il s'agissait d'une opportunité trop bonne à laisser filer car l'Endurance semble véritablement s'acheminer vers un nouvel âge d'or. Ferrari développe une LMH, comme Toyota et Peugeot, pour le Championnat du monde d'Endurance, alors que Porsche et Audi ont choisi la route alternative vers ce qui est simplement – même si on s'y perd – appelé la catégorie Hypercar en construisant des prototypes LMDh basés sur des LMP2.

Acura sera également représenté en LMDh dans le championnat IMSA à compter de 2023 et il serait fou de ne pas s'attendre à ce que la firme dispute les 24 Heures du Mans. Wayne Taylor Racing, qui fait équipe avec la marque du groupe Honda, a déjà fait part de son intention de disputer la classique.

Il y avait donc cinq constructeurs majeurs, plus la petite marque Glickenhaus (ci-dessus), confirmés avant que Ferrari ne prenne sa décision. Il serait un peu fort de dire qu'il y avait un impératif pour Ferrari à se jeter dans la mêlée, mais il y avait en tout cas un net intérêt à intégrer une catégorie qui va sûrement aller loin.

La catégorie LMH, et le LMDh encore plus, ont été conçus pour drastiquement réduire les coûts de la compétition au plus haut niveau de l'Endurance. Plus besoin, pour un constructeur, d'arriver avec un budget à neuf chiffres, comme c'était le cas en LMP1, pour viser la victoire au Mans et dans le reste des épreuves du WEC.

Antonello Coletta, responsable du département Competizione GT qui supervise le retour en proto, avait suggéré il y a un an que le LMDh permettrait à Ferrari de courir aux avant-postes en WEC pour un petit peu plus que ce qui est dépensé en GTE Pro. Le LMH va nécessiter un budget plus important, mais son commentaire donnait des indications sur la réflexion derrière la décision annoncée cette semaine.

Bien entendu, Ferrari a tout de même été une force présente dans le monde du GT lors du dernier quart de siècle et a garni la grille du WEC en GTE Pro avec l'équipe AF Corse depuis la renaissance du championnat en 2012. Les constructeurs de voitures de sport doivent courir avec les voitures qu'elles vendent, ou au moins avec quelque chose de ressemblant.

Le LMH offre justement cette chance tout en permettant de se battre pour les plus grandes épreuves. Les règles ont été conçues pour s'assurer que les stylistes, et pas seulement les aérodynamiciens, puissent avoir leur mot à dire dans le look des voitures. Qu'importe que la nouvelle Toyota GR010 Hybrid (ci-dessous) ressemble plus à une LMP1 qu'à quelque chose que l'on pourrait voir sur la route (et encore les opinions sont partagées à ce sujet), l'opportunité existe.

Ferrari a mis en avant l'importance de pouvoir "partager les innovations et les solutions techniques avec [leurs] voitures de route". C'est la principale raison du choix du LMH par rapport au LMDh ; ça et le fait qu'une LMDh doit être basée sur un châssis fourni par l'un des quatre constructeurs sous licence pour construire des voitures de type P2.

Ferrari a traditionnellement eu une approche chauviniste de la conception et de la construction. On a l'impression qu'il serait impossible de supporter une machine qui est en réalité un ORECA, une Ligier, une Dallara ou une Multimatic, même si elle portait le Cheval cabré à l'avant et qu'elle avait un de ses moteurs à l'arrière.

Il peut sembler un peu grotesque de continuer à parler d'argent et de tout cela à un moment où l'Endurance a sans doute reçu son plus gros coup de pouce depuis des années, mais l'arrivée récente d'un plafond budgétaire en F1 y est certainement pour quelque chose.

Ferrari a écarté l'importance de la réduction des coûts de participation aux courses de F1, en soulignant que le LMH est un projet de Competizione GT et non un projet de la Scuderia Ferrari. "Pas lié", c'est ainsi qu'un porte-parole de Ferrari a décrit la mise en place d'un plafond de dépenses en F1 à la lumière du retour en proto.

Pourtant, ce n'est probablement pas une coïncidence si la dernière fois que Ferrari a évalué un passage dans la catégorie reine du WEC, c'était en 2013, époque où des restrictions de coûts étaient sur la table à l'horizon 2015. Le président de Ferrari de l'époque, Luca di Montezemolo, avait déclaré en décembre 2013 que la firme allait construire une LMP1 "tôt ou tard" et que son futur V6 hybride version F1 serait le moteur parfait pour une telle voiture.

Ce budget capé avait à l'époque été rapidement rejeté par les grosses écuries, Ferrari y compris. Il n'y avait plus de discussions sur le LMP1 et la perspective de voir un nouveau prototype sortir de l'usine de Maranello demeurait un rêve.

Six ans après, la F1 a finalement mis en place un plafond de dépenses, à hauteur de 145 millions de dollars cette année, avant une réduction de cinq millions par an lors des deux campagnes suivantes. C'est une réduction significative par rapport aux 175 millions de dollars sur lesquels tout le monde s'était mis d'accord en 2019.

Ferrari était opposé à ce chiffre réduit et, en avril 2020, le team principal Mattia Binotto (ci-dessus) déclarait que la marque pourrait "envisager d'autres options pour déployer [son] ADN de la course" en réponse au risque de voir le budget réduit diminuer le personnel requis.

Certains ont interprété cela comme une menace de quitter la F1, mais il serait plus correct de suggérer qu'il s'agissait d'un indice menant vers un retour en Endurance, chose qui est sur la table depuis que Ferrari a pris part aux discussions sur la réglementation visant à remplacer le LMP1 au printemps 2018.

Il est ironique de constater que la libération des ressources en provenance de l'équipe F1 – ce personnel et cette compétence technique, ainsi que l'argent – a vraiment été au cœur de la décision de Ferrari de faire un retour en force dans l'arène du prototype. Sa participation de longue date à ce que l'on peut génériquement appeler le "Championnat du monde des voitures de sport" a été interrompue en 1974 par cet homme, Luca di Montezemolo.

Dans son nouveau rôle de directeur d'équipe, Montezemolo avait estimé qu'il était temps de concentrer les ressources sur la F1 afin de ramener Ferrari au sommet de la grille des Grands Prix après une longue période de contre-performances "couronnée" par une saison désastreuse en 1973. Sa stratégie a fait ses preuves : Niki Lauda a remporté le premier titre pilotes de la marque en 11 saisons en 1975, suivi par un titre tous les deux ans jusqu'à la fin de la décennie.

Maintenant qu'elle dispose de quelques ressources en réserve, Ferrari construit un successeur tardif à la 312PB (ci-dessus) – je ne compte pas ici la 333SP des années 1990, car elle a été conçue comme une voiture cliente pour l'IMSA, même si elle est arrivée au Mans dans les mains de privés.

Bien sûr, il n'est pas aussi simple de dire que Ferrari vise la dixième victoire au Mans juste parce qu'il y a un plafond budgétaire en F1. Les décisions des grands constructeurs automobiles ne sont jamais aussi simples.

Comme nous l'avons expliqué précédemment, il y avait beaucoup de raisons à cela. Mais toute personne qui aime les courses d'Endurance ou Ferrari – je vais étirer cela et dire toute personne qui aime la course automobile – devrait être reconnaissante que tout se soit mis en place pour que Ferrari mette fin à ce qui sera un exil de 50 ans.

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