Le fiasco du V12 qui a causé la rupture entre Porsche et la F1

Plusieurs décennies après sa dernière tentative en Formule 1, et malgré une victoire en son nom et plusieurs titres mondiaux avec McLaren, Porsche reste aussi célèbre pour son fiasco en catégorie reine dans les années 1990.

Footwork Porsche FA12

Photo de: Camille De Bastiani

En dépit d'une histoire glorieuse en Endurance, Porsche n'a jamais réussi à connaître un tel succès en monoplace. Engagé en Grand Prix dès 1957 avec la 550RS, pour une première apparition à domicile, le manufacturier a ensuite aligné des RSK en 1958 et 1959. Le premier programme officiel avec Dan Gurney au volant est arrivé en 1961, menant à une pole position et une victoire l'année suivante, avant le retrait de l'équipe.

Dan Gurney, Porsche 804

Plus de deux décennies plus tard, Porsche est revenu en tant que fournisseur moteur de McLaren. Le V6 TAG-Porsche a connu une histoire brève mais impressionnante, permettant à l'équipe anglaise de remporter trois titres mondiaux et 25 courses entre 1984 et 1986, avant le changement de moteur de McLaren, qui s'est tourné vers Honda en 1988. En contraste avec cette courte période de gloire, Porsche a fait un ultime retour en 1991, avec un V12 très peu performant et très peu fiable, qui a duré moins d'une demi-saison dans le championnat. Un come-back si catastrophique que Porsche a quitté la F1 et n'y est jamais revenu depuis.

Le bloc 3512 était la réponse de Weissach et de son magicien, Hans Mezger, au retour au moteur atmosphérique après l'interdiction des moteurs turbo, devenus trop puissants. Porsche avait espéré retrouver son ancien partenaire, McLaren, et en avait parlé à Steve Nichols, alors designer pour l'équipe de Woking, qui avait pu constater l'avancement du projet, sa nature, et en tirer les conclusions qui s'imposaient : "Un des ingénieurs de Porsche avait cette valise, et il en a sorti un seul dessin, qui était la forme globale du moteur."

"Il a commencé à en parler et en parler. J'ai juste regardé cette chose et je me suis dit 'c'est très bizarre'. C'était comme s'ils avaient pris deux de nos petits moteurs V6 et les avaient montés ensemble. Il était assez large, assez haut, et il était très long. Et il y avait des engrenages jusqu'au milieu, où ils avaient fixé les deux V6 ensemble, et un arbre qui en sortait au travers du V. La boîte de vitesses devait donc être très haute pour pouvoir y loger. Je suis sorti du meeting et j'ai dit à Ron Dennis 'signe le contrat avec Honda'. [Le moteur Porsche] semblait n'avoir aucun avenir."

Alex Caffi, Footwork FA12 Porsche

 

Porsche s'est remis en quête d'un partenaire pendant les deux années suivantes, mais aussi de quelqu'un pouvant financer un projet en F1. L'homme disposant de la responsabilité principale était Ulrich Bez, alors vice-président du R&D de Porsche, qui se souvient de ces démarches : "Hans Mezger était l'un des papes du design moteur en F1. J'ai simplement eu confiance en son savoir-faire et en ses capacités quand il a dit qu'il avait une grande idée pour un moteur qui pourrait courir en F1. J'ai donc cherché un financement, car c'était une époque où Porsche n'était pas aussi rentable qu'aujourd'hui. Nous n'avions pas l'argent pour le faire nous-mêmes."

Les candidats principaux avaient déjà un accord avec un motoriste. Cependant, plusieurs riches hommes d'affaires investissaient dans des équipes. L'un d'entre eux était Jean-Pierre Van Rossem, qui avait mis la structure Onyx en banqueroute en 1989. Il a manqué de peu un accord avec Porsche, mais après une réunion difficile à Weissach, Van Rossem s'est éloigné. Bez s'est alors tourné vers Jackie Oliver, qui était pilote d'usine Porsche à l'époque de la 917 en Endurance. Il avait vendu peu avant son équipe Arrows, devenue Footwork, à l'entrepreneur Watary Ohashi mais en avait gardé les commandes.

"Ils m'ont approché après que l'équipe avec laquelle ils voulaient s'associer n'a pas voulu le faire", se souvient Oliver. "Nous avions deux choix. Il y avait le nouveau et compact Ford HB V8, ou le Porsche. J'ai informé Ohashi de ces deux options et il a dit 'Porsche'. J'ai dit que ça coûtait de l'argent, il a dit que ce n'était pas grave, avec des étoiles dans les yeux." Bez est allé au Japon, non sans un moment effrayant au moment de l'atterrissage en Alaska où il faisait escale, et le 4 février 1990, Ohashi a signé un contrat avec Footwork pour utiliser le moteur Porsche la saison suivante.

Michele Alboreto, Footwork A11C Porsche

"Le paiement initial pour la première saison en 1991 était de 20 millions de dollars en quatre fois, débutant en juin 1990", poursuit Oliver. "C'était ensuite 23 millions pour 1992 et 25 millions de dollars pour 1993. Je suis revenu du Japon avec l'argent [pour Porsche] et l'enthousiasme d'Ohashi, et nous étions sous contrat avant même que je sois allé à Weissach demander à Hans Mezger à quoi ressemblait le moteur."

Mais une fois arrivé chez Porsche, Oliver a compris que la situation n'était pas positive : "Il n'y avait rien à voir. Tout ce que je voyais, c'était Mezger qui était poussé à la limite pour être à temps selon les dates du contrat, et ce n'était pas faisable. [Le moteur] était tout sauf terminé, et n'avait même pas été testé sur le banc d'essai. Cela m'a fait culpabiliser d'avoir embarqué Ohashi, le nouveau propriétaire de mon équipe, dans une chose pour laquelle il allait payer dès le début de son développement, plutôt que pour quelque chose qui avait prouvé sa valeur."

Inquiet, Oliver a réussi à ajouter in extremis une annexe au contrat original nommée "Engineering Goals", littéralement "Objectifs d'ingénierie", qui comportait cinq clauses de performance, dont une sur la puissance initiale (plus de 750 chevaux), sur la forme de la courbe de puissance, sur la consommation de carburant, sur le poids maximal (limité à 150 kilos) et sur les futurs chiffres de puissance avec les évolutions.

Porsche ne manquait pourtant pas d'ambition, puisque l'objectif était d'utiliser la boîte de vitesses PDK à double embrayage déjà vue sur les 962 de dernière génération. Mais à mesure que l'année 1990 passait et que les informations émergeaient de Weissach, Oliver et son designer en chef, Alan Jenkins, ont réalisé que de gros problèmes fondamentaux étaient présents. Quand ils ont finalement pu obtenir un exemplaire du moteur, ils ont immédiatement constaté que le bloc affichait une masse bien supérieure aux 150 kilos stipulés dans le contrat.

Alex Caffi, Footwork A11C Porsche

Le Grand Prix du Japon 1990 a été le théâtre de la présentation officielle de Footwork et du moteur Porsche, et le 3512 a été révélé au public pour la course à domicile d'Ohashi. Mais dès le mois suivant, sur demande d'Oliver, Jenkins a écrit à Mezger pour lui faire part de ses inquiétudes, et lui dire qu'avec l'aide de Footwork, il était impératif que Porsche travaille sur un tout nouveau concept de moteur différent pour 1992. Mezger a fait peu de cas de la lettre, et cela allait mener Jenkins à emprunter un moteur Cosworth DFR à Brian Hart pour le peser devant les ingénieurs de Porsche sur le circuit Paul Ricard et lui prouver le surpoids du V12.

L'équipe a débuté l'année 1991 avec un châssis A11C modifié, et dessiné initialement par Ross Brawn en 1989. Les essais ont été catastrophiques, le V12 révélant sans surprise des performances catastrophiques qui n'avaient d'égale que sa fiabilité désastreuse. Le tout était accompagné de gros problèmes de pression d'huile, et rien n'était fait pour rassurer les pilotes, Michele Alboreto et Alex Caffi.

"J'en ai pris la responsabilité, car j'étais directeur de l'ingénierie", se souvient Bez. "D'un autre côté, si j'avais remis en question les capacités de Hans Mezger dès le départ et que j'avais dit 'ça ne va nulle part', qui m'aurait cru ? C'était un héros, donc nous l'avons protégé, nous ne l'avons pas accusé."

Le châssis FA12 est arrivé à Imola mais Alboreto a eu un énorme accident lorsque l'aileron avant a cassé. À Monaco, c'est Caffi qui a subi un gros choc à la Piscine, au volant d'une monoplace décidément difficile à piloter. L'Italien a été mis sur la touche par des blessures consécutives à cet accident, et c'est Stefan Johansson qui l'a remplacé. Mais la situation ne s'est guère améliorée au Canada, et encore moins au Mexique où le dernier virage incliné aggravait le problème d'huile.

L'épave de la Footwork FA12C Ford d'Alex Caffi

Jenkins s'est adressé à l'ingénieur Wolfgang Hatz et les deux hommes ont travaillé clandestinement à Weissach, après les heures de travail du reste de l'équipe, en évitant la sécurité afin de pouvoir plancher sur un projet différent. Mais le point de rupture a été atteint soudainement lorsque Footwork a installé un moteur Cosworth DFR dans l'A11B et que celle-ci s'est montrée beaucoup plus rapide que lorsqu'elle était équipée du 12 cylindres allemand, mettant brutalement un terme au projet.

Oliver admet toutefois que cette opération manquait de tact : "C'était une démonstration pour embarrasser Porsche et dire 'regardez, nous avons des difficultés avec ça'. Je pense avec le recul que c'était probablement un peu trop agressif. J'aurais aimé que Porsche ait une seconde chance, mais je ne pense pas qu'ils le voulaient. Je ne pense pas qu'il y avait un moyen de revenir pour eux."

Il se souvient d'un meeting houleux avec Porsche, qui a mis un terme définitif à la relation avec Footwork : "Je suis allé à Weissach avec mes avocats pour parler des violations du contrat, et du fait qu'ils ne se conformaient pas aux clauses, avec l'idée d'avoir un moratoire sur les paiements jusqu'à ce que le problème du moteur soit réglé. La réunion ne s'est pas très bien passée et ils ont dit 'c'est vous qui êtes en violation avec le contrat et nous mettons au fin au contrat avec Footwork à cause de vous, M. Oliver'."

Michele Alboreto, Footwork FA12 Ford

La FA12 a embarqué le V8 Cosworth pour le reste de la saison et le V12 de Porsche n'a plus été vu par la suite. Le constructeur a reconnu que les objectifs du 3512 n'étaient aucunement atteints et Oliver se souvient que les clauses ajoutées au dernier moment avaient alors pris toute leur importance : "Cette petite annexe a permis à Ohashi de récupérer son argent et m'a sauvé de la banqueroute. Aucun de ces cinq critères n'était respecté."

Jenkins a appris par Hatz que Porsche n'avait jamais développé plus de 520 chevaux sur son banc d'essais avec le V12, et que Bez avait prévu un autre projet pour 1992, duquel était écarté Mezger. Mais le problème était plus profond pour la marque, en proie à des difficultés du côté des ventes automobiles, et qui devait se refaire une santé économique.

"La question était de savoir si nous allions repartir une seconde fois, ou s'il était préférable de concentrer nos efforts sur la Porsche 993, qui allait sauver l'entreprise", expliquait Hatz. "J'avais la tâche de remplacer la 911 avec un nouveau concept, et c'était comme de passer de la Coccinelle à la Golf. Porsche devait protéger son avenir, et ce genre de choses mène à des décisions. Il était préférable que l'on se rate en F1 plutôt que l'on rate la 993. Si la 993 n'avait pas fonctionné, l'entreprise serait morte."

The destroyed car of Alex Caffi, Footwork FA12 Porsche

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