Analyse

Qu'est-ce que l'effet de sol en F1 ?

L'effet de sol revient en force en Formule 1 à l'occasion de la saison 2022, imposé par une réglementation technique qui espère en faire une des pierres angulaires du renouveau des Grands Prix.

L'effet de sol

Photo de: Camille De Bastiani

Vous en entendrez beaucoup parler en 2022. L'effet de sol est l'une des armes choisies par la Formule 1 pour tenter de remédier à l'un des problèmes fondamentaux des dernières décennies, à savoir la difficulté à suivre de près une autre voiture sans perdre de performance.

Avant que les vraies nouvelles F1 ne débutent leur roulage officiel, retour sur les problèmes des monoplaces d'ancienne génération et sur les solutions que l'effet de sol peut apporter.

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C'est quoi le problème ?

Avant tout, un rappel de base. Deux forces aérodynamiques principales s'exercent sur une F1 lancée à pleine vitesse : une force verticale (l'appui ou la déportance), avec l'air qui plaque la voiture au sol en frappant les surfaces aérodynamiques et qu'en bout de chaîne les pneus se chargent de convertir en adhérence, et une force horizontale (la traînée), avec l'air qui résiste à l'avancée de la monoplace et influe donc sur sa vitesse de pointe. Plus l'appui généré de cette façon augmente, plus la traînée est forte. Les écuries et pilotes sont donc toujours à la recherche du meilleur compromis entre adhérence pour les virages et vitesse pour les lignes droites, en fonction des caractéristiques du circuit visité.

Les turbulences

Dans leur conception, les F1 sont des voitures faites pour être les plus performantes possibles dans ce que l'on appellera un "air propre", c'est-à-dire une masse d'air stable qui ne vient pas d'être traversée par une autre F1. Les écuries travaillent en partie en soufflerie, donc dans des conditions idéales en la matière, et tentent d'optimiser au mieux la façon dont la monoplace se sert de ce flux d'air propre pour générer le maximum d'appui grâce à toutes ses surfaces exposées.

Cependant, l'évolution des connaissances en la matière et la recherche d'une toujours plus grande performance aérodynamique ont entraîné l'apparition sur les voitures de nombreux appendices et altérations (ailettes, lamelles, ouvertures, fentes, déflecteurs complexes, etc.). Ils servent à tenter de contrôler le flux d'air, notamment via la création de petits tourbillons (ou vortex), de manière à l'orienter vers certaines zones de la monoplace ou à l'en écarter (dans ce dernier cas, on parle alors d'"outwash" en anglais).

Par exemple, dans cette vidéo datant de 2017, nous vous expliquions comment les écuries créaient et se servaient de différents vortex pour empêcher les turbulences créées par les pneus de perturber le flux d'air qui va vers l'arrière de la voiture :

Le revers de la médaille, c'est qu'au-delà des perturbations générées naturellement par un objet à pleine vitesse (et notamment le fait que la masse d'air est "tirée" vers l'avant au passage d'une voiture et donc exerce derrière elle une moins grande pression par rapport à des conditions stables), les turbulences créées par ces appendices rendent particulièrement chaotique la masse d'air qui suit le passage d'une voiture.

C'est un élément-clé pour comprendre le problème constaté en F1. Pour faire simple : suivre une voiture de près, particulièrement à haute vitesse, c'est se trouver dans le sillage d'un véhicule qui écarte, fait avancer et perturbe la masse d'air qui se présente ensuite au pilote de derrière. Pour la voiture suiveuse, cela diminue ainsi la quantité/qualité du flux qui arrive sur les surfaces aérodynamiques (aileron avant principalement, mais également déflecteurs, appendices, fond plat, etc.) censées plaquer sa monoplace au sol et donc générer une grande partie de son adhérence.

Cette masse d'air diminuée et pleine de turbulences consécutive au passage d'une voiture est souvent désignée, de façon imagée, par l'expression "air sale" ("dirty air", en anglais), qui s'oppose donc à l'"air propre" ("clean air").

Aspiration et perturbations

Ce phénomène est avantageux pour le suiveur lorsqu'il s'exerce en ligne droite puisque comme le pilote de devant va être le premier à fendre la masse d'air, il va se voir opposer une résistance maximale. Au contraire, celle-ci va être moindre pour la voiture de derrière, qui peut alors prendre plus de vitesse, ce qui favorise naturellement les dépassements. C'est tout simplement ce qu'on l'on appelle improprement "l'aspiration" (la voiture de derrière n'est pas aspirée, mais est moins ralentie), et c'est ce qui explique que les pilotes restent généralement blottis le plus longtemps possible dans le sillage d'un concurrent avant de s'écarter en phase de dépassement.

Mais les choses se gâtent en virage, puisque suivre une monoplace de près dans une masse d'air réduite et perturbée (qui ne permet pas de générer autant d'appui que possible) est bien plus difficile pour des F1 qui n'ont pas été conçues pour. Pour espérer suivre, il faut que le pilote compense la perte aéro et donc d'adhérence (qui se traduit par du sous-virage puisque c'est l'aileron avant qui subit la plus grande déperdition). Entre autres choses, cela contribue à chauffer/user excessivement les pneus et donc à faire perdre encore plus de performance, réduisant encore les chances de dépassement si la différence de vitesse avec l'adversaire est insuffisante. Cela va parfois même jusqu'à retirer tout l'intérêt de tenter de dépasser car sur la longueur d'un relais, il peut y avoir plus de désavantage à demeurer trop près d'une voiture que de la laisser s'échapper de quelques secondes.

L'air sale en 2021

L'air sale en 2021

Ce phénomène déjà problématique auparavant a été accentué à partir de 2017, quand les F1 et leurs pneus ont été élargis et leur surface aéro agrandie (avec la libéralisation des appendices et la complexification de la zone des déflecteurs). En plus de simplement devenir un obstacle encore plus imposant sur des tracés qui ne variaient pas en largeur, elles ont également déplacé et perturbé de plus en plus d'air à leur passage. La F1 estimait courant 2021 qu'une voiture perdait jusqu'à 46% de son appui lorsqu'elle se trouvait à 10 mètres de la voiture qu'elle suivait.

Enfin, la philosophie pneumatique adoptée depuis le retour de Pirelli en 2011, consistant à proposer aux pilotes des pneus à usure importante, a également été un facteur dans la détérioration de la capacité récente des pilotes à pouvoir s'engager dans de longues luttes, car la gestion de la température et de l'usure de gommes est devenue encore plus cruciale.

Qu'est ce que l'effet de sol ?

Quand on parle d'"effet de sol" en F1 (et en sport automobile en général), cela veut dire que l'on se sert du sol (donc de la piste) comme d'une partie intégrante du système aérodynamique qui va servir à augmenter l'appui de la voiture et donc l'adhérence dans les virages.

Dans le cadre du sport auto, "effet de sol" est donc en réalité une expression fourre-tout qui regroupe plusieurs phénomènes visant à créer de l'appui, plutôt qu'une application pure et dure de cet effet qui dans sa définition la plus stricte évoque la portance créée par un objet volant près du sol.

Effet Venturi et principe de Bernoulli

Principalement, une F1 à effet de sol cherche à recréer un effet Venturi idéal pour générer de l'appui via une différence de pression entre le dessous et le dessus de la voiture, qui va alors créer une déportance.

Du nom du physicien italien Giovanni Battista Venturi, l'effet Venturi consiste, dans un espace clos, à accélérer le flux d'air en créant un entonnoir sur son passage avant de l'en faire ressortir de façon progressive. Or, selon le principe de Bernoulli – du nom du physicien suisse Daniel Bernoulli –, s'il y a augmentation de la vitesse d'écoulement d'un fluide (liquide ou gaz, comme l'air), il y a aussi une diminution de la pression (ou dépression). On en conclut donc qu'à la suite du passage dans la zone la plus étroite où s'écoule un flux donné, une accélération se produit au moment de la quitter et la pression est alors la plus faible.

Concrètement et en simplifiant, quand une certaine masse d'air qui se déplace à une certaine vitesse dans un espace clos est contrainte de s'engouffrer toute entière dans un goulot d'étranglement, pour que cette masse retrouve à la sortie les mêmes conditions que s'il n'y avait pas eu de réduction de l'espace disponible, la vitesse de son écoulement va augmenter et la pression va baisser juste après avoir passé le goulot d'étranglement.

Effet de succion

Quand au moins l'un des objets formant cet espace clos est mobile, le phénomène s'accompagne alors d'un effet de succion : comme la pression baisse localement en dessous mais qu'elle n'est pas affectée au-dessus, il se crée une force qui appuie vers le bas (ou tire vers le haut si c'est l'objet du bas qui est mobile), et les deux objets se rapprocheront.

Appliqué à la Formule 1, l'idée est donc de se servir de cette succion créée par la différence de pression entre le dessous et le dessus de la voiture (celle-ci étant mobile de haut en bas) pour la plaquer à la piste, créant ainsi une déportance et augmentant l'adhérence disponible donc la vitesse de passage en virage.

Tunnel Venturi

L'effet de sol sur une F1 2022

L'effet de sol sur une F1 2022

Dans la pratique, l'effet de sol s'obtient en créant dans les pontons des "tunnels Venturi" entre le dessous de la F1 et la piste, dans lesquels l'air va pouvoir s'engouffrer, être accéléré et ressortir proprement à l'arrière via le diffuseur (ou extracteur). Pour une efficacité maximale, ces tunnels doivent être étanches (ou "scellés") afin de canaliser au mieux le flux et d'éviter que de l'air ne s'échappe sur les côtés dans la zone de dépression.

Comme les pontons sont conçus pour prendre la forme d'une aile d'avion inversée en vue de profil, les tunnels s'ouvrent plus au niveau de la sortie qu'en leur partie centrale. Après son entrée, l'air est comprimé dans la zone la plus étroite entre la voiture et le sol et subit une accélération au moment de la quitter pour être évacué progressivement via l'ouverture du diffuseur, créant une dépression localisée sous la voiture et une surpression sur le dessus du diffuseur, et donc l'effet de succion recherché.

La référence à une aile d'avion inversée est commune et vous l'entendrez parfois. Cela car le phénomène qui plaque les voitures au sol se calque en miroir sur celui qui permet aux avions de voler. Une aile d'avion en vue de profil est en général asymétrique mais, à l'inverse d'une F1 à effet de sol, c'est le dessus de l'aile qui est plus bombé et où l'air circule plus vite, créant la différence de pression entre le dessus et le dessous qui permet cette fois la portance et donc le vol.

Le "mouvement" du sol

Ajoutons enfin que l'effet Venturi n'est pas le seul phénomène en jeu dans le terme fourre-tout qu'est "l'effet de sol" en F1. En effet, le mouvement relatif du sol par rapport à la référence qu'est une voiture en mouvement se fait vers l'arrière. En conséquence la couche d'air qui se situe entre les deux est "tirée" vers l'arrière et l'air est en réalité accéléré par ce biais-là également, ce qui renforce l'effet Bernoulli et donc augmente encore l'appui.

Pourquoi l'effet de sol favoriserait-il les luttes en piste ?

Comme nous l'avons vu, quand l'appui d'une F1 est généré en grande partie via des ailerons ou des surfaces sur lesquels l'air exerce une force verticale, l'efficacité dépend de la qualité du flux d'air. Or, les tunnels Venturi sont bien moins dépendants de la façon dont l'air qui s'y engouffre circule.

En effet, dans un premier temps, qu'importe que le flux d'air soit souillé, le fait que le sol, par définition offrant des conditions plus stables, soit une partie intégrante de la génération de l'appui offre en pratique bien plus de constance que pour un aileron.

Mais surtout, dans un second temps, le flux d'air extrait à l'arrière d'un tunnel l'est via un diffuseur qui s'ouvre progressivement et proprement, rendant donc bien moins chaotique la sortie du flux d'air ; en conséquence, l'effet de sol perturbe beaucoup moins la masse d'air derrière une voiture qui vient de passer.

L'air sale en 2022

L'air sale en 2022

Ces deux paramètres sont inhérents à l'effet de sol en F1. Mais ils s'inscrivent en 2022 dans des règles qui ont pour objectif d'améliorer la situation de la voiture suiveuse : à la fois via une simplification générale des ailerons et des surfaces aérodynamiques (donc une réduction de la part d'appui généré par ce biais au profit de l'effet de sol) et via la suppression des appendices et arrangements complexes (qui créaient les turbulences). Ce sont donc en réalité la cohérence et la solidité globales du Règlement Technique, ainsi que son efficacité in situ, qui répondront le mieux à la problématique initiale. En 2019, à l'annonce de cette nouvelle réglementation, la F1 ne tablait plus que sur une perte de 5 à 10% de l'appui derrière une autre monoplace, même si la copie a été revue en 2021 pour évoquer le chiffre de 18% de perte aéro à 10 mètres.

Le jeu des écuries est ensuite, dans le cadre d'un règlement certes voulu plus restrictif, de tenter de parvenir à gagner en performance quoi qu'il en coûte. C'est vrai jusqu'à une certaine limite sur le plan financier, mais c'est surtout vrai sur le plan des effets qu'auront leurs orientations techniques et trouvailles vis-à-vis des objectifs de la réglementation. À quel point les structures parviendront à maximiser l'effet de sol ? Quelle sera la réelle répartition de l'appui généré à l'avant et à l'arrière des F1 ? Quelle quantité d'appui restera générée via les ailerons et surfaces exposées malgré la simplification ? Trouveront-elles un moyen de perturber le flux d'air en sortie ?

Enfin, rappelons que si l'on va beaucoup en parler, bien plus que les saisons précédentes, l'effet de sol qui a énormément marqué la Formule 1 de la fin des années 1970 et du début des années 1980 n'a jamais totalement disparu. Les monoplaces version 2021 généraient également de l'effet de sol (bien plus réduit que ce qui est prévu en 2022) via le dessous du fond plat et le diffuseur. La règlementation technique de la campagne à venir cherche simplement à faire augmenter la part d'appui généré par ce biais (en créant les conditions pour la mise en place de vrais tunnels Venturi), tout en diminuant celle générée par le reste de la monoplace.

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Avec l'aide de Marc d.L.L.

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