Interview
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Dalmas raconte la 905, "l'avion de chasse" en avance sur son temps

Seul pilote de l'Histoire des 24 Heures du Mans à s'être imposé avec quatre constructeurs différents, Yannick Dalmas a raconté à Motorsport.com ses souvenirs de l'aventure victorieuse avec la Peugeot 905 en 1992.

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Le premier succès de Peugeot aux 24 Heures du Mans, c'était il y a 30 ans, le 21 juin 1992. L'avènement d'un prototype 905 depuis passé à la postérité. Plutôt que raconter à nouveau l'histoire, Motorsport.com a décidé de donner la parole à Yannick Dalmas. Dans le long entretien qu'il nous a accordé, le Français est revenu sur sa victoire décrochée cette année-là aux côtés de Derek Warwick et Mark Blundell.

Lorsque l'on a commencé à évoquer l'aventure Peugeot, Yannick Dalmas nous a donné le sentiment qu'il aurait pu nous en parler pendant des heures. Avec passion et franchise, il est revenu sur cette épopée qui a fait chavirer le public français de l'époque et met encore des étoiles dans les yeux des plus nostalgiques aujourd'hui.

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Yannick Dalmas, vous avez eu un parcours monoplace, vous êtes passé par la F1. Au début des années 1990, qui est venu vous chercher et vous a convaincu d'intégrer le programme Peugeot en Endurance ?

L'approche s'est faite en 1990, j'étais encore en Formule 1 chez AGS. J'ai été contacté par Jean Todt, me disant dans un premier temps que je faisais partie de la liste que Peugeot avait, qu'il allait observer un peu ce que j'allais faire toute la saison, et qu'il me recontacterait vers la fin de la saison. On s'est recontacté, je crois entre le Japon et l'Australie. Le projet m'enchantait et j'ai eu certaines informations sur la suite en Formule 1…

J'ai été très heureux en tant que pilote avec la Formule Renault, la Formule 3, la Formule 3000, il y a eu de très beaux résultats ; je suis arrivé en F1 et il y a eu de bons résultats au début, et après c'était un peu difficile. C'est vrai que quand on débute sa carrière, on veut briller au plus haut niveau, et ce n'était pas trop le cas en F1. Ça l'était un peu au départ mais après c'était difficile. Donc le projet Peugeot m'intéressait, c'était en effet autre chose, c'était l'Endurance, ça se courait à deux pilotes dans le championnat et trois pilotes pour les 24 Heures du Mans. Vu le parcours de Jean Todt, vu comme l'équipe était structurée, vu comme les ambitions étaient très fortes, je n'ai pas hésité longtemps à donner ma réponse favorablement. C'était une opportunité superbe et il fallait être au top pour rejoindre Peugeot.

J'ai pu faire davantage mon métier de pilote en Endurance qu'en Formule 1.

Yannick Dalmas

Quel regard, à cette époque-là, le pilote de F1 que vous étiez portait sur l'Endurance ?

Pour être franc, à ce moment-là, j'avais un regard sur l'Endurance qui était mitigé, il faut dire les choses. On avait l'impression, il y a vingt ans, que c'était une voie de garage, mais c'était une bêtise de penser cela. En effet le fait que ce soit moins médiatique, c'était moins alléchant, contrairement à aujourd'hui. Aujourd'hui, on a de plus en plus de jeunes qui se dirigent vers l'Endurance parce que lorsqu'ils peuvent intégrer un top team, avec un constructeur, les jeunes s'aperçoivent bien que ce n'est pas une voie de garage et qu'il y a vraiment matière à faire une carrière en Endurance. Ce n'est plus du tout le même regard qu'il y a vingt ans, ça c'est clair.

À l'époque, j'y suis allé car vu le projet et les ambitions de Peugeot, je n'ai pas hésité. En effet, Dalmas n'était plus en F1 mais j'avais pu montrer un petit peu ce que je pouvais faire. Encore une fois, je ne rejette pas la faute sur les équipes pour qui j'ai travaillé en F1, Larrousse et AGS, qui ont fait le maximum de ce qu'elles pouvaient faire. Il y a aussi des choses à réfléchir, se demander si on a fait les bons choix. Je ne remets rien en question, on peut se le demander, mais vu la deuxième partie de ma carrière en Endurance, j'ai pu faire davantage mon métier de pilote en Endurance qu'en Formule 1.

La Peugeot 905 avait des formes révolutionnaires pour l'époque.

La Peugeot 905 avait des formes révolutionnaires pour l'époque.

Est-ce que vous vous souvenez de la première fois où vous êtes monté dans la 905 ? Quelles étaient les sensations ?

La première fois, je crois que c'était à Jerez, on faisait des essais. Le moteur avait une sonorité superbe, la voiture était fermée donc il y avait un petit peu de claustrophobie dans un premier temps, et puis au bout de quelques tours on a commencé à mieux s'installer, même si on avait fait un siège qui, en partageant la voiture, n'était pas complètement adapté. La voiture avait une charge d'appui importante, elle était plus lourde [qu'une F1], il y avait un effet de lourdeur dans les courbes qui était un peu plus important, et puis il y avait le freinage. Après, c'est avec le temps passé dans la voiture que l'on arrive bien à s'accoutumer et à maîtriser la bête.

Ce qui était fantastique pour un pilote, c'est qu'il y avait des évolutions en permanence parce qu'il fallait que la voiture progresse. Elle avait des défauts de pompage au début, en 1991, on y a remédié et la voiture était de plus en plus performante. Le manufacturier Michelin nous faisait des pneus fantastiques, on en passait beaucoup, il y avait des tests pneumatiques. Il fallait faire des choix puis il y avait une endurance derrière pour valider. On faisait le job dans ces conditions. Il y avait forcément de la pression parce que quand vous travaillez pour un constructeur, le maître mot c'est le résultat et on n'a pas le droit à l'erreur, on n'a pas le droit de ne pas être à 100%. C'était l'environnement d'une équipe française, ce qui était important pour un Français. L'année 1991 n'a pas été superbe puisqu'on a souvent eu des ennuis techniques avec la voiture. On a remporté deux courses avec Keke Rosberg, et puis le reste du temps on avait quelques soucis. Mais le projet n'était pas à court terme, donc on savait à quoi s'attendre.

À l'époque, le programme 905 passe par de nombreuses courses courtes en championnat, d'environ 500 km, et la découverte du Mans est donc brutale pour Peugeot en 1991…

Oui. Si vous voulez, on avait fait quelques simulations de 24 heures avant, mais la voiture n'était pas complètement prête. C'était une première, qui n'a pas été extraordinaire, mais on s'y attendait malgré les ambitions. À l'époque, je me souviens, pour les premières 24 Heures du Mans, on savait que ça allait être difficile, mais les ambitions étaient aussi fortes. On savait que ça pouvait tenir assez longtemps comme s'arrêter assez brutalement. Il n'y avait pas trop de surprise la première année. Ça travaillait énormément, il y avait constamment du travail dans toute l'équipe et c'était partagé aussi bien dans la déception que dans la joie.

En 1992 le travail est récompensé et vous remportez les 24 Heures du Mans avec la 905. Comment s'est passée cette édition, c'était presque parfait ?

Presque parfait, non, parce qu'on a toujours des petites choses à améliorer, ça c'est clair. Lors de l'intersaison, puis pendant la saison 1992, on a fait énormément de simulations et de développement, déjà sur la voiture sprint pour les 500 km, et puis en parallèle le développement de la voiture pour les 24 Heures du Mans. Petit à petit on trouvait de la fiabilité, on avait de la performance.

Je m'entendais très bien avec Warwick : avec Derek c'était cool, il n'y avait pas de premier et de deuxième pilote, on était à égalité. On avait une envie, celle de faire vraiment le job tous les deux. J'ai pris le départ et puis il s'est mis à pleuvoir. Notre stratégie n'a pas trop mal marché, je crois qu'on a pris la tête assez tôt. On a cravaché tout en ménageant certains points sur la voiture, comme la boîte de vitesses. Il n'y a pas eu de faute durant ces 24 heures, on a eu quelques petits soucis parfois dans les ravitaillements, mais ça fait partie de l'apprentissage. On a fait le job tout au long de la course, on a eu des conditions parfois difficiles avec la météo, et puis il y a eu la victoire au bout. C'était forcément un soulagement, la joie du boulot rempli : les pilotes ont fait le job, les mécaniciens, les techniciens, toute l'équipe avait travaillé pour ça. Alors forcément, c'était une satisfaction énorme pour Peugeot.

C'était votre première victoire au Mans, la première de Peugeot, la première aussi d'un constructeur français depuis longtemps. On imagine l'engouement incroyable du public français, l'avez-vous ressenti ?

Sur le moment peut-être pas trop, mais ce sont les semaines qui ont suivi qui ont fait qu'en effet, avec une victoire au Mans d'un constructeur français, il y avait un fort engouement. Le public était présent et sur le podium, le drapeau tricolore flottait, les gens étaient heureux. Sur le moment, sincèrement, c'est difficile de percevoir cette chose-là parce qu'on est tellement concentré sur la course. On ne s'en rend pas compte, ce sont les heures après, les moments après, où l'on se rend compte de la ferveur française, et ça fait énormément plaisir.

La Peugeot 905 dans les Hunaudières en 1992.

La Peugeot 905 dans les Hunaudières en 1992.

J'aimerais que vous me parliez de deux personnes majeures du projet Peugeot. La première c'est évidemment André de Cortanze, le père de la 905. Comment se passait le travail avec lui ?

C'était un gars très rigoureux, très exigeant, avec une intégrité importante : s'il y avait une nouveauté sur la voiture A, il y avait la même chose sur la voiture B sinon ce n'était pas la peine. Ça, c'était quand même très important, il n'y avait pas de préférence, son objectif était que ce soit une Peugeot qui remporte les 24 Heures et gagne le Championnat du monde. C'était un casse-pied, ça c'est clair, mais dans le bon sens du terme ! Il était proche des pilotes, à l'écoute. Dans le travail il était très dur et exigeant, mais en dehors il était plein de joie, de passion et d'envie de bien faire. J'ai énormément de respect pour lui.

L'autre personne clé, que vous avez même mentionnée plus tôt comme un argument pour vous convaincre, c'est bien sûr Jean Todt. Quel patron était-il ?

C'est la même chose : très rigoureux, méthodique, exigeant. Il voulait savoir beaucoup de choses avec ses ingénieurs, il n'y avait rien qui lui échappait. Et puis c'était simple : il vous faisait confiance et il fallait lui prouver cette confiance. Pour moi aussi ça a été une expérience fantastique de travailler avec une personne comme lui.

Jean Todt porté en triomphe sur le podium des 24 Heures du Mans 1992.

Jean Todt porté en triomphe sur le podium des 24 Heures du Mans 1992.

Vous avez remporté les 24 Heures du Mans à quatre reprises, quelle place occupe le succès avec Peugeot ?

Le fait d'avoir remporté Le Mans avec une équipe française, c'est à fond cocorico, je ne peux pas le nier. Je ne sais pas si c'est la plus importante sur le plan sportif, mais sur le plan personnel, il y a la confiance que l'on vous fait au départ et vous remplissez le contrat. Maintenant, je ne la classerais pas comme ma plus belle victoire.

Si on n'était pas en forme à 100%, je peux vous dire que cette voiture, on ne la maîtrisait pas complètement. 

Yannick Dalmas

Vous parlez de cet effet cocorico et de cet engouement qu'on ne perçoit pas sur l'instant. Finalement, tout cela vient presque davantage des années après, quand les gens vous parlent encore de la 905…

Oui, pour beaucoup de personnes qu'on peut croiser, des spectateurs ou des passionnés, mais aussi des gens un peu plus dans le milieu automobile, cette voiture était un avion de chasse. Elle était très virile à piloter mais tellement efficace. Si on n'était pas en forme à 100%, je peux vous dire que cette voiture, on ne la maîtrisait pas complètement. Pour les gens ça a été une belle victoire. Ça faisait longtemps qu'il n'y avait plus eu de constructeur français vainqueur.

Quand on revoit aujourd'hui des images de ces prototypes, des images de la 905, on a vraiment ce sentiment de puissance et de brutalité que vous évoquez. Ce n'est pas uniquement de la nostalgie, c'est aussi une réalité par rapport aux prototypes d'aujourd'hui ?

Oui, il n'y a pas de brin de nostalgie. La voiture était vraiment virile. La version sprint l'était davantage, mais c'était une voiture rude, c'était… C'était il y a 30 ans. Si vous regardez les formes à l'époque, elles étaient quand même révolutionnaires. La voiture était en avance, ça c'est clair. Aujourd'hui on travaille davantage sur l'ergonomie et le "confort" du pilote, tout ce qui est aération, visibilité panoramique, les matériaux, les sièges, le volant… Il y a une évolution au niveau de la sécurité, de la technologie, et aujourd'hui ce sont aussi de très belles voitures.

La 905 victorieuse, et ses stigmates, peu avant l'arrivée en 1992.

La 905 victorieuse, et ses stigmates, peu avant l'arrivée en 1992.

Vous est-il arrivé de vous faire peur au volant de la 905 ?

Des chaleurs oui, peur sur l'instant oui, quand vous avez un élément mécanique qui lâche et que vous êtes passager de cette chose-là. Peur sur l'instant, mais ça fait partie de notre métier aussi, le sport automobile est dangereux. Les évolutions depuis toutes ces années font qu'il y a de moins en moins de drames.

Pour conclure, vous avez traversé les années 90 avec ces quatre succès au Mans, et vous êtes depuis 2012 conseiller auprès du FIA WEC. Quel regard portez-vous sur l'évolution de l'Endurance ?

Je voudrais avoir 20 ans de moins ! Pour pouvoir rouler aujourd'hui avec cette nouvelle génération de voitures ! Aujourd'hui ça fait vraiment rêver les jeunes de participer aux 24 Heures du Mans.

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