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L'ascension éclair de Yuki Tsunoda racontée par ceux qui l'ont épaulé

Yuki Tsunoda impressionne pour sa première saison F1, comme il l'a fait durant ses brefs passages en F3 puis en F2. Motorsport.com a interrogé le principal intéressé et ceux qui l'ont entouré, afin de comprendre ce qui le rend si spécial...

Yuki Tsunoda, Alpha Tauri

Yuki Tsunoda, Alpha Tauri

Scuderia Alpha Tauri

Au Grand Prix de Bahreïn, Yuki Tsunoda est devenu le premier pilote né au XXIe siècle à rouler en Formule 1, chez AlphaTauri. Soutenu par Red Bull et Honda, le Japonais a très vite gravi les échelons, ne passant qu'un an en F3 comme en F2 et faisant preuve d'un niveau de performance et d'une intelligence qui ont impressionné tous ceux qui ont travaillé avec lui, avant de continuer à marquer les esprits cette année.

Au moment de l'échange entre Tsunoda et Motorsport.com, à la fin de l'année 2020, le pilote n'est pas encore confirmé par l'équipe de Faenza et il s'apprête à participer aux essais de Yas Marina. En ces temps troublés, notre interview se fait par le biais d'un lien Zoom fourni par l'équipe, pour faire le lien entre un camion d'Abu Dhabi et un salon du Middlesex, dans le sud de l'Angleterre. En s'approchant de l'écran, Tsunoda s'incline poliment, échange quelques bons mots et l'attachée de presse finit par lui rappeler qu'il peut retirer son masque, le risque d'une contamination à travers des ordinateurs séparés de 6000km étant, après tout, relativement faible.

Quelques semaines plus tôt, des doutes subsistaient sur sa capacité à accrocher le top cinq en Formule 2 et ainsi obtenir la Super Licence, sésame indispensable pour atteindre la F1, dans une première saison pourtant spectaculaire avec l'équipe Carlin. Dans l'avant-dernier meeting, disputé à Bahreïn, un tête-à-queue le vendredi l'a contraint à un départ en fond de grille, avant une remontée jusqu'à la sixième place dans la course principale. Dans celle du dimanche, Tsunoda a vu de possibles points s'envoler avec une crevaison dans le premier tour. Avant la grande finale, à nouveau à Bahreïn mais sur la version "Outer" du circuit, la tension était à son maximum.

"Sincèrement, j'étais très nerveux entre les deux meetings de Bahreïn", se souvient-il. "J'avais évidemment un peu de pression, mais je restais assez confiant parce que le rythme était là dans la course principale, et en qualifications aussi. J'ai fait une erreur avec un tête-à-queue et le moteur s'est coupé mais j'avais le potentiel pour un top 3 facile."

"J'ai beaucoup discuté avec Matt [Ogle, son ingénieur chez Carlin] sur les solutions pour améliorer la situation, et aussi avec mon psychologue pour m'aider à préparer mentalement le deuxième meeting de Bahreïn, et ça s'est bien passé. Pas trop mal."

Robert Shwartzman, Prema Racing and Yuki Tsunoda, Carlin

À l'entame de cette saison 2020 de F2, obtenir la Super Licence était la principale mission fixée par Helmut Marko, grand patron du Red Bull Junior Team. Pour un pilote qui ne comptait qu'une seule saison de F3 à son actif, avec une unique victoire conquise après avoir profité d'une grille inversée, la tâche était immense.

"Helmut m'a dit que je devais être très performant pour prendre des points de Super Licence", révèle-t-il. "C'était mon principal objectif. Mais je ne pensais pas que ce serait une saison facile, parce que je faisais mes débuts, il y avait les nouvelles roues de 18 pouces... donc je pensais que ce serait une saison très dure. Mais je l'ai finie presque à la perfection, donc je pense que j'ai vraiment progressé."

Tsunoda a effectivement progressé. Sa performance lors de la finale de Bahreïn a été la plus impressionnante de la saison 2020, tous pilotes confondus. Il a débuté le week-end à 48 points de celui qui allait décrocher le titre, Mick Schumacher, avec 48 points à prendre. Ses chances de titre était infimes mais il a néanmoins marqué 43 points, il a vu la place de vice-Champion lui échapper pour une seule unité et, évidemment, il a assuré la position nécessaire pour obtenir sa Super Licence, avec des performances aussi réfléchies qu'agressives, remportant au passage la course principale.

Mais remontons un peu dans le temps. Tsunoda a décroché sa place chez AlphaTauri deux ans à peine après avoir quitté son pays, auréolé du titre en Formule 4, alors qu'il avait intégré le programme de Honda depuis deux saisons. Avant même de remporter ce championnat en 2018, il avait fait un premier crochet par l'Europe pour un test dans le Championnat d'Europe de F3 avec Motopark, qui faisait rouler Dan Ticktum, alors soutenu par Red Bull et au cœur d'une lutte avec Mick Schumacher pour le titre.

"On a passé deux jours sur le Hungaroring, qui est probablement l'un des circuits les plus difficiles", se souvient Timo Rumpfkeil, grand patron de Motopark. "Il a fait un essai aux côtés de Dan et ça a été une révélation, parce qu'il n'avait jamais roulé avec les pneus Hankook."

"À cette époque, Red Bull et Honda avaient déjà décidé de promouvoir le prochain talent japonais ensemble, et Yuki a montré qu'il avait tout ce qu'il fallait. Il était évident qu'il était le candidat idéal. Il avait fait quelques jours d'essais dans une F3 au Japon pour se préparer, mais connaissant le niveau au Japon, il aurait quand même été impressionnant avec 20 jours d'essais à son actif, parce qu'il était à moins d'un dixième de Dan à la pause du déjeuner, avec des quantités de carburant équivalentes."

À cette époque, la FIA était au cœur du processus de sélection des équipes pour le lancement de son nouveau championnat de F3 en 2019, en lieu et place du GP3. "Le plan était d'abord qu'il soit en FIA F3 avec nous", précise Rumpfkeil. "Mais quelqu'un à la FIA a décidé que Motopark n'était pas une équipe suffisamment bonne pour rejoindre la F3..."

Yuki Tsunoda, Jenzer Motorsport

Tsunoda a donc été placé chez Jenzer Motorsport pour faire son arrivée en FIA F3 et comme Liam Lawson, lui aussi épaulé par Red Bull, il a hérité d'un second programme chez Motopark en Euroformula Open, disputé avec des F3 d'ancienne génération. Quand on connaît le statut qui est le sien aujourd'hui, il est surprenant de voir qu'il n'a décroché qu'un seul succès dans chacune des deux catégories, à Monza en FIA F3 et à Hockenheim en Euroformula Open. "Au début, c'était un peu dur de passer d'une voiture à l'autre, mais cela a finalement fait de lui un meilleur pilote", explique Rumpfkeil. "Un bon pilote peut s'adapter à différentes voitures et être rapide à leur volant."

Tsunoda était également confronté à Lawson pour obtenir le statut de meilleur espoir dans le programme de Red Bull, un duel qui a mené à un accrochage à Spa, en Euroformula Open, alors qu'ils se battaient pour la première place. "Yuki avait le droit d'être là où il était [en piste], mais s'il avait laissé un demi-mètre de plus, il aurait pu le doubler et il aurait gagné la course", estime Rumpfkeil. "C'est également une qualité de lever le pied pour assurer un résultat ou un championnat. On lui a permis de gagner en constance. On a vu ses capacités exceptionnelles en course."

Des capacités illustrées par sa spectaculaire remontée de la 16e jusqu'à la troisième place dans la dernière manche de la saison d'Euroformula Open, à Monza, après un problème dans le premier tour. Mais au lieu de disputer une nouvelle saison au troisième échelon, Tsunoda a été promu en F2 avec Carlin aux côtés d'un autre membre de la filière Red Bull, Jehan Daruvala. Avant cette saison 2020 décisive, il a disputé les Toyota Racing Series en Nouvelle-Zélande, catégorie hivernale disputée avec une F3 régionale. Là aussi, il n'a décroché qu'une victoire, dans une course à grille inversée, et il a été devancé par ses équipiers chez M2 compétition, Lawson – encore lui – et Igor Fraga.

"Il a eu du mal parce que la voiture était très différente de la F3", précise Jonathan Moury, alias Flex, patron de M2. "Il lui a fallu un peu de temps pour prendre ses marques, surtout en qualifications. Mais c'est l'un des meilleurs pilotes que j'ai jamais vus : banzaï, mais sous contrôle, jamais rien d'idiot. Ce qu'il a fait en F2 est incroyable eu égard à son expérience. Il est aussi très terre à terre. J'aime ce garçon, c'est quelqu'un de bien, bien élevé, très intelligent, et s'il est dans le bon environnement en F1, il brillera."

"Il a très peu roulé par rapport aux autres pilotes", ajoute Trevor Carlin, son patron l'an dernier en F2. "Si vous m'aviez posé la question [début 2020], j'aurais probablement dit que quelques années de F2 étaient nécessaires. Mais plus l'année a avancé, plus sa vitesse est devenue évidente. En essais et en qualifications, Yuki était à l'avant dans la plupart des séances."

"Mais ses départs n'étaient pas exceptionnels, il s'est un peu emballé au virage 3 au Red Bull Ring [où la saison débutait avec deux meetings] et un blocage de roue de Yuki a mis Jehan dehors. Donc je me suis dit 'Oh, on a un pilote japonais rapide, ce que nous apprécions, mais malheureusement nous avons un pilote japonais trop agressif, ce que nous apprécions moins'."

"C'était un peu comme s'il n'avait pas vraiment conscience de la longueur de la voiture, donc dans les trois premières manches, il cassait des ailerons avant en percutant d'autres pilotes. Quand il a compris les dimensions de la voiture, nous n'avons plus eu le moindre problème. La vitesse était là, le talent était là, c'était de mieux en mieux."

Pole sitter Yuki Tsunoda, Carlin

Tsunoda s'est particulièrement bien entendu avec son ingénieur de course, Matthew Ogle, également nouveau en F2 après avoir épaulé Lando Norris et Antonio Giovinazzi dans le Championnat d'Europe de F3, et avec son chef ingénieur, Stefan de Groot.

"Après un moment, Stefan a dit 'Ce gamin a ce qu'il faut'", souligne Carlin. "On lui expliquait quoi faire, parce que le Pirelli est un pneu très inconstant, on lui expliquait comment piloter en course et il le comprenait très vite, il s'améliorait. Et après, il a plutôt géré les courses par lui-même, et vous avez vu son talent en piste et sa façon de préserver les pneus... Il était rapide et il économisait ses gommes. C'était incroyable."

Dans le dernier meeting de la saison à Bahreïn, la course du samedi a illustré les propos de celui qui est désormais son ex-patron. Parti en pole, Tsunoda a été doublé par Robert Shwartzman et Nikita Mazepin dans les premiers instants, mais il a mieux géré ses pneus et a donc pu retarder son arrêt pour se montrer plus incisif avec son deuxième train. Ses dépassements sur les deux Russes ont été faciles, même si Mazepin l'a contraint à un passage hors de la piste.

"On aurait pu allonger encore plus le premier relais", assure Carlin. "Malheureusement, il fallait couvrir les autres. On avait encore beaucoup de gomme. On aurait pu continuer, mais on ne pouvait pas prendre le risque parce que s'il y avait une voiture de sécurité, on était piégé."

Tsunoda estime de son côté que le calendrier compact, mis en place suite au premier confinement, a joué en sa faveur : "Sincèrement, c'était bien pour moi. On a commencé en juillet et on a fait 12 manches, avec des courses presque tous les week-ends, donc je pouvais rester dans le bain. Et avant la saison, j'ai fait des essais avec Carlin, Carlos [Sainz] et Lando Norris étaient là, on a fait trois jours de test à Silverstone avec [l'ancienne] Formule 3. C'était une très bonne expérience et ça m'a aidé à me préparer pour la Formule 2."

"J'ai eu une bonne relation avec Matt [Ogle] dès la première manche. Ce n'était pas facile pour nous, mais nous étions entourés par des ingénieurs expérimentés. Il y avait l'ingénieur de Jehan, Stu [Stuart King] et aussi Stefan [de Groot] qui était très bon. Donc on était dans le coup. Quand on établissait une stratégie de course, Matt n'était pas un ingénieur expérimenté donc on demandait des choses à Stu. Mais ça fonctionnait très bien en fin de saison, surtout à Bahreïn, où les stratégies ont été très bonnes. En dehors des courses, on [avec Ogle] s'affrontait sur iRacing, et il y avait de belles bagarres !"

Yuki Tsunoda, Honda Formula Dream Project, leaves the pits in the AlphaTauri

Ces stratégies ont été rendues possibles par le tout premier roulage de Tsunoda dans une F1, à Imola quelques semaines auparavant. Quand on l'interroge sur cette expérience, un trait de sa personnalité apparaît puisque ce ne sont pas la puissance ou les freins de l'AlphaTauri qui lui viennent à l'esprit, mais l'avantage que ces essais lui ont donné pour la fin de la saison de F2.

"Ce que j'ai vécu dans mon test à Imola dans une Formule 1 m'a servi pour les qualifications dans la seconde manche de Bahreïn. On avait un pneu tendre [obligatoire] et il faisait nuit, donc c'était très dur de faire chauffer les pneus avant, je pense que tout le monde a eu du mal avec ça. C'est dur de faire chauffer les pneus avant à Imola, AlphaTauri m'a appris comment mieux le faire et j'ai profité de cette expérience dans les qualifications en Formule 2. Et oui, ça a plutôt bien marché et ça m'a aidé à signer la pole. Donc ce n'était pas qu'un test en F1, ça m'a aussi aidé à progresser pour la suite, et c'était très bien pour moi."

Carlin a également aidé Tsunoda, encore très jeune, à découvrir la vie sur un nouveau continent : "Il sortait avec nous le soir et faire partie de l'équipe l'a aidé avec la langue et la compréhension de la culture européenne", explique le patron de la formation britannique. "C'est un plaisir d'être avec lui. Il est ponctuel, dit bonjour à toute l'équipe, les salue chaque matin, il se met derrière son ordinateur avec les ingénieurs, analyse les choses, fait ses petits échauffements."

Un apprentissage qui aide maintenant Tsunoda en F1, championnat dans lequel il pourra rouler dans son pays natal cette année, si les conditions sanitaires le permettent. "Je suis vraiment impatient de rouler à Suzuka devant les supporters japonais", annonce-t-il, avant d'afficher une certaine inquiétude quand l'attachée de presse lui rappelle qu'à ce moment-là, sa titularisation n'est pas encore officielle.

Cet épisode est amusant mais sans conséquence : les supporters japonais aimeront aussi voir ce véritable compétiteur en piste. Et le reste du monde aussi.

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