Contenu spécial

Pourquoi McLaren souhaite changer la façon de voter en F1

La semaine dernière, Zak Brown, PDG de McLaren, a écrit une lettre ouverte dans laquelle il expose en détail ses idées sur la direction que prend la Formule 1.

Zak Brown, PDG, McLaren Racing sur le muret des stands

Zak Brown, PDG, McLaren Racing sur le muret des stands

Steven Tee / Motorsport Images

Dans cette lettre, Brown s’oppose fermement au processus actuel de prise de décision dans le sport, et plus particulièrement à la façon dont certaines équipes sont obligées de suivre leur fournisseur de moteurs ou leurs partenaires commerciaux, et comment cela peut potentiellement fausser le vote. Cette question litigieuse est source de débats depuis des décennies. Bien sûr, aucune équipe ne va voter contre son fournisseur actuel sur des questions spécifiques liées à la réglementation des moteurs, et tout le monde comprend et accepte cela.

Cependant, lorsque ce soutien s'étend à d'autres domaines et que les petites équipes semblent soutenir leurs grandes sœurs à leur propre détriment, la légitimité du vote est remise en question. Et il n'est pas difficile d'identifier les alliances. Ferrari peut potentiellement faire appel à Alfa Romeo et Haas, qui non seulement utilisent la technologie de Maranello, mais emploient également des jeunes pilotes soutenus par leur fournisseur de moteur. Dans le cas d'Alfa, il existe aussi un lien commercial direct via le constructeur, qui prête son nom à l'ancienne écurie Sauber.

Du côté de Mercedes, on recense trois partenaires. Sur les plans commerciaux et technologiques, les liens sont les plus forts avec Aston Martin, encouragés par la relation personnelle étroite entre Toto Wolff et Lawrence Stroll. Williams est un cran en-dessous, mais la présence de George Russell ajoute un argument supplémentaire, tandis qu'à partir de 2022, l'équipe de Grove utilisera également une boîte de vitesses Mercedes. Enfin, le lien de dépendance le plus évident entre Mercedes et McLaren est un simple accord de fourniture d'unités de puissance.

Parmi les équipes restantes, Red Bull et AlphaTauri votent toujours ensemble, reflétant leur propriété commune, tandis qu'Alpine est l'exception, une équipe indépendante qui n'a aucun lien avec qui que ce soit.

Une situation qui frustre Brown, qui ne voit plus les écuries comme la sienne voter pour leurs propres intérêts. Le patron de McLaren veut que les votes secrets, déjà disponibles, soit utilisés plus souvent. "Je ne pense pas qu'il serait approprié pour moi de faire des commentaires sur des équipes spécifiques à des moments spécifiques", a-t-il déclaré à Portimão le week-end dernier.

"Un exemple que je peux vous donner est celui de la réduction du plafond budgétaire. Certaines équipes en dessous mais proches de cette limite étaient en faveur d'un plafond plus élevé, ce qui n'a absolument aucun sens. Je peux vous dire que cela arrive fréquemment, que des équipes votent contre ce qui est dans leur intérêt. Il y a plusieurs équipes, à plusieurs reprises, avec qui je discutais pendant les réunions. [Je demandais] : 'Comment allez-vous voter ?' Et je recevais la réponse suivante : 'Je n'ai pas le choix, je dois voter de cette façon'."

"Donc, cela se produit. Et cela se produit fréquemment", continuait l’Américain. "Je ne pense pas que les votes secrets vont résoudre tous les problèmes. Mais je crois que nous devons vraiment commencer à travailler sur ces affiliations. Et selon moi, c'est une solution qui serait assez facile à mettre en œuvre. Nous pouvons déjà organiser des votes secrets, mais personne ne le réclame. Mais je pense que, comme beaucoup de votes dans le monde, ils ont toujours été destinés à être secrets. Et si nous pouvons faire en sorte qu'une ou deux règles aillent dans le sens de ce qui est dans le meilleur intérêt du sport, et donc des fans, alors il s'agit d'un domaine dans lequel je pense que nous pouvons apporter des améliorations. Mais dès mon premier jour en F1, j'ai été témoin et j'ai vécu cela. Bien sûr, tout le monde va dire qu'ils votent pour ce qui est dans leur intérêt. Mais je peux le dire catégoriquement : pas du tout. Soit ça, soit les gens ne comprennent pas ce qui est bon pour leur écurie."

Brown affirmait également qu'il fera pression en faveur du vote à bulletin secret lorsqu'il le pourra. "Il est certain que nous applaudirons cette démarche à l'avenir. Je pense qu'une équipe a le droit de demander un vote secret. Nous pouvons donc choisir de demander un vote secret à chaque fois que nous avons un vote. Ou nous pouvons simplement passer au vote secret de manière générale et en finir avec ça."

"Je pense que si vous devez avoir des conflits d'intérêts dans ce sport, ce qui a toujours été le cas, alors vous devez mettre en place une gouvernance pour protéger la capacité à exercer ce conflit d'intérêts", imaginait Brown. "J'aimerais également que le vote [majoritaire] passe de huit à sept, car certaines personnes ont un alignement de trois équipes. J'aimerais donc que le seuil soit un peu abaissé, afin qu'une seule entité ne puisse pas influencer un vote."

En revanche, Brown insistait sur le fait qu'on ne lui a pas demandé de soutenir le point de vue de Mercedes, et que les intérêts de McLaren n'ont pas été menacés. "Je peux vous affirmer, de notre point de vue, que Mercedes ne nous a jamais demandé de voter pour quelque chose que nous ne voulions pas. Voilà notre expérience. Mais quand vous regardez dans la salle, et que vous voyez qui vote pour quoi, cela fait très souvent sourciller."

Le vote n'est qu'un élément du débat continuel sur les liens tissés entre les écuries partenaires. Le cas de Mercedes et Racing Point la saison dernière en est un parfait exemple, mais Brown affirmait que sa lettre n'était pas motivée par cet événement en particulier. "Le vote n'est pas vraiment dirigé par Aston Martin. Je pense qu'Aston Martin a porté les affiliations entre écuries à un tout autre niveau, mais ce n'était pas vraiment une situation de vote. Le vote s'applique à tous les sujets, mais il ne provenait pas d'Aston Martin. En revanche, je crois qu'Aston Martin a démontré que si vous copiez la voiture de quelqu'un d'autre, ce n'est pas ce qui est attendu d'un vrai constructeur, si l'on s'en tient à l'Histoire de la F1."

Brown souhaitait aussi que la question de la coopération entre les équipes soit examinée plus en détail. "Je pense qu'il faut absolument l'aborder. Si nous regardons l'Histoire de la F1, nous avons déjà vendu des boîtes de vitesses. Je n'ai aucun problème avec ces liens qui existaient à l'époque, avec des équipes qui achetaient des boîtes de vitesses. Je pense que c'est bon et sain, cela génère des revenus pour les équipes qui vendent une partie de leur technologie, et aide celles qui n'ont peut-être pas les moyens ou les ressources pour fabriquer leur propre boîte de vitesses."

La ressemblance frappante entre la Racing Point RP20 et la Mercedes W10 avait généré de nombreux débats dans le paddock.

La ressemblance frappante entre la Racing Point RP20 et la Mercedes W10 avait généré de nombreux débats dans le paddock.

Photo de: Mark Sutton / Motorsport Images

Brown mentionnait également le partage de connaissances entre les écuries affiliées. "Personnellement, je n'aime pas que deux équipes affiliées utilisent la même soufflerie. J'aimerais donc qu'il y ait une restriction sur le partage des souffleries si vous avez une relation directe. Je pense que le partage des souffleries est également une bonne chose pour l'équipe qui possède la soufflerie, car cela lui permet d'obtenir des ressources, tout en sachant que d'autres équipes ne peuvent pas se permettre d'avoir leur propre soufflerie. Mais j'aimerais voir Haas utiliser la soufflerie [d'Alpine], par exemple. Sauber a une excellente soufflerie. Donc je crois que la FIA et la F1 doivent s'en occuper. Vous pouvez utiliser différents lieux pour essayer de dénouer l'étroitesse de certaines de ces collaborations."

Bien sûr, McLaren possède ses propres intérêts sur chaque sujet. Cependant, Brown insistait sur le fait que les envies de l'équipe sont liées à celles du sport.

"Je crois que ce qui est le mieux pour le sport est le mieux pour McLaren", disait-il. "Tout ce que j'essaie de faire, c'est d'amener le sport à un stade où la meilleure équipe gagne. Mais tout le monde a le même matériel et le même nombre de joueurs, quelle que soit l'analogie sportive que vous voulez utiliser, et je pense que c'est dans le meilleur intérêt de la F1. Mais je suis aussi persuadé que c'est dans le meilleur intérêt de McLaren, et très honnêtement, de toutes les écuries."

"La raison est que, depuis quatre ans que je suis ici, certaines de ces réunions deviennent très frustrantes, parce qu'elles deviennent, comme vous pouvez l'imaginer, très politiques. Il y a une stratégie de repousser le problème à plus tard par certaines équipes sur des choses qui devraient être résolues en une seule réunion. Vous seriez surpris de voir que les problèmes peuvent rester là pendant trois mois, six mois, un an. Et je voulais mettre en avant les domaines qui, selon moi, sont des opportunités pour la F1, car je pense que la F1 est en bonne santé. Donc ma lettre ouverte n'a pas pour but de critiquer le sport, mais les opportunités et les possibilités de croissance."

Autre sujet d'inquiétude pour Brown : le domaine de spécialité des personnes présentes aux réunions. Les participants sont principalement des ingénieurs, tandis que Brown est l'un des seuls à être un expert en management. "D'après mon expérience, lors de ces réunions, il arrive souvent que nous abordions des sujets sur lesquels nous n'avons pas d'expertise."

"Nous avons tendance à passer la majorité de notre temps sur l'aspect technique du sport, et nous devons nous rendre compte que l'aspect commercial et l'importance des fans et du spectacle sont tout aussi importants, et qu'ils ne bénéficient pas du même temps de discussion. Quand vous regardez les patrons d'équipe autour de la table, la majorité d'entre eux viennent d'un milieu technique. Et étant donné que je viens d'un milieu plus commercial et marketing, je pense que ce sont les domaines que je veux mettre en avant qui, encore une fois, sont dans le meilleur intérêt du sport. Et plus vite nous pourrons changer, plus vite nous pourrons accélérer la croissance de la F1."

Brown estimait que le manque d'implication personnelle de ses collègues sur les réseaux sociaux est le signe qu'ils ne sont pas autant en contact avec les fans qu'ils pourraient (ou devraient) l'être. "Si je regarde les dix personnes assises autour de la table, je constate qu'elles sont loin d'avoir l'expertise commerciale nécessaire pour prendre les décisions les plus importantes. Et ce que j'ai suggéré, j'en ai un aujourd'hui chez McLaren et j'en ai eu un pendant toute ma vie professionnelle, c'est un groupe consultatif. Aujourd’hui, nous nous asseyons pour une réunion et nous parlons des réseaux sociaux, et je n'utilise que cet exemple, mais vous avez probablement sept des dix gars assis autour de la table qui ne sont même pas sur les réseaux sociaux."

"Et pourtant, ce sont eux qui mènent nos conversations sur les réseaux sociaux. Je pense donc que le sport pourrait se doter d'un conseil marketing, ou d'un groupe consultatif, quel que soit le nom qu'on lui donne. Des gens qui ont une expertise en la matière. Je ne crois pas qu'il devrait s'agir de dix personnes, dont les trois quarts ne sont pas présentes sur ces plateformes", concluait Brown. "Imaginez que vous allez dans une école, où tous les étudiants sont beaucoup plus spécialisés que vous, et vous dites à la classe : 'Très bien, voici un projet scolaire pour aujourd'hui'. Et je pense que pour une stratégie de réseaux sociaux, j'aurais beaucoup plus confiance dans un groupe qui est réellement spécialisé et engagé dans ces plateformes, plutôt que dans sept à dix gars qui ne sont même pas sur les réseaux sociaux."

La suite logique des inquiétudes de Brown à l'égard de ses collègues serait de les écarter (et donc de se retirer) du processus de décision.

"Je serais favorable à cela", déclarait-il. "Je pourrais nous voir représentés par un commissaire, qui est évidemment Stefano [Domenicali, PDG de la F1, ndlr]. C'est ce qu'ils font en football américain, ils votent pour le commissaire, mais ensuite le commissaire a en quelque sorte le pouvoir. Et le seul pouvoir dont disposent les équipes est celui de révoquer le commissaire, si elles pensent qu'il ou elle ne fait pas du bon travail. Je crois que la F1 et la FIA travailleront toujours dans le meilleur intérêt du sport, et dans le meilleur intérêt des fans. Et je préférerais aller jusqu'à l'extrême en leur donnant un contrôle total que ce que nous avons maintenant."

"Je pense effectivement qu'il y a des sujets clés sur lesquels les équipes doivent avoir une voix", poursuit le PDG de McLaren. "Mais je pense que les équipes ont trop de voix sur trop de sujets aujourd'hui. Et j'aimerais que la F1 et la FIA aient plus d'autorité qu'elles n'en ont aujourd'hui pour prendre des décisions. Et puis cela signifie que parfois, nous allons aimer ces décisions, et parfois non. Pour vous donner un exemple, nous avons perdu nos deux jetons cette année, ce qui nous a nui en matière de développement. Les essais ont été réduits de moitié, et nous sommes la seule équipe à avoir installé une nouvelle unité de puissance, mais pas la seule à avoir un nouveau pilote. Ce sont deux règles qui n'ont pas joué en notre faveur."

"Mais c'est la course, vous n'allez pas avoir toutes les règles qui vont dans votre sens. Certaines oui, d’autres non. Encore une fois, mon objectif est d'obtenir un terrain de jeu équitable, c'est ce qui est dans le meilleur intérêt de McLaren, afin que nous puissions concourir équitablement et mettre le même nombre de joueurs sur le terrain que les autres équipes, parce que pour l'instant, c'est encore déséquilibré."

Toutefois, Brown admettait que des progrès avaient déjà été faits. "Mais [la situation] s'est beaucoup améliorée avec les nouvelles réglementations. Donc, encore une fois, tout ce que je mets en avant, c'est cette opportunité d'être encore meilleur, par opposition à être critique, parce que je suis persuadé que nous avons parcouru un long chemin au cours des trois dernières années."

Lorsque la pandémie s'est installée il y a un an, les équipes, en étroite collaboration avec le président de la FIA, Jean Todt, et le patron de la F1 de l'époque, Chase Carey, ont pris des décisions importantes, notamment le report des nouvelles règles à 2022. Il s'agissait de maintenir le sport en vie pendant la crise, et tout le monde l'a compris. Cependant, il était loin d'être facile de définir des détails cruciaux tels qu'une réduction du plafond budgétaire.

"Jean et Chase voulaient que le plafond budgétaire soit fixé à environ 135 millions de dollars", expliquait Brown. "Je pense même qu'ils auraient aimé descendre, peut-être 125 millions de dollars. En fin de compte, nous y sommes parvenus, mais au prix d'un long bras de fer, et cela a pris plus de temps pour être décidé. Donc s'ils avaient eu le dernier mot, je pense que nous aurions atterri au même endroit, peut-être même légèrement plus bas. Je crois que les équipes doivent être impliquées, c'est certain. Mais je trouve que la prise de décision sera plus rapide si les équipes ont moins l'occasion de ralentir le processus, de botter en touche."

"Prenons l'exemple du Halo. Il s'avère que le Halo a été un ajout brillant, mais cela a pris quelques années pour passer à travers le système. Et heureusement, personne n'a eu à payer le prix de ce [retard] de deux ans, mais c'était quelque chose que Jean voulait faire quelques années avant que cela ne soit introduit. Et il aurait probablement pu le faire passer pour des raisons de sécurité pure. Le sport va accélérer sa croissance si nous permettons une prise de décision plus rapide. Et ne vous y trompez pas, il y aura des erreurs en cours de route. Mais dans ce cas, donnons aussi à la F1 et à la FIA la capacité de corriger certaines de ces erreurs. Je pense que personne n'est parfait. Il n'y a pas de solution parfaite."

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article

Voir aussi :

Article précédent Montoya : Comment battre un Hamilton si chanceux et talentueux ?
Article suivant Hamilton : "Je prévois d'être là l'an prochain"

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France