La transformation radicale qui a mené Renault vers le titre

Il est rare pour une écurie de Formule 1 de passer du fond de grille à la bataille pour le podium en l'espace d'une saison, mais c'est ce qu'a fait Benetton en 2001, posant les bases des titres qu'allait remporter Renault.

Jenson Button, Benetton, contraint à l'abandon

Quand Renault a fait son retour en Formule 1 en tant qu'écurie d'usine à part entière en 2016, le Losange a audacieusement annoncé son objectif de remporter le titre en cinq ans. Il n'y a rien de mal à montrer un peu d'ambition, mais avec ces commentaires pas franchement judicieux, l'équipe a tendu le bâton pour se faire battre et a révélé son ignorance du travail nécessaire pour faire progresser la structure d'Enstone sur la grille après des années de sous-investissement par le propriétaire précédent, Genii Capital.

L'écurie s'appelle désormais Alpine et reste confortablement installée dans la bataille du milieu de peloton et, malgré les exploits d'Esteban Ocon en qualifications au Portugal et en Espagne, ne va probablement toujours pas finir plus haut que cinquième, encore une fois. En cette dernière année de la réglementation technique actuelle, il serait prudent de se tourner rapidement vers le design 2022.

Mais avant d'abandonner le développement de l'A521, le PDG de Renault, Luca de Meo, et les dirigeants de l'écurie devraient s'inspirer de la manière dont elle est passée du fond de grille au podium en 2001, lorsqu'elle s'appelait Benetton : c'était une histoire remarquable en cette ère moderne.

Bien sûr, les essais privés étaient alors illimités, et il est plus facile de gagner en performance quand on part de loin. En étudiant le meilleur tour de chaque écurie à chaque Grand Prix, Benetton était la neuvième équipe en 2001, encore moins véloce que Prost, qui a déposé le bilan à la fin de la saison, et à 2,92% du rythme de Ferrari aux avant-postes.

Mais ce n'est pas n'importe quelle écurie qui est capable d'être un jour la risée du paddock – Mike Gascoyne avait qualifié la Benetton-Renault B201 de "pourrie" – et, avant la fin de la saison, de placer les deux voitures dans le top 10 en qualifications.

The Benettons of Button and Fisichella, with Mild Seven on their rear wings, have a mountain to climb at Imola

Trois podiums de Giancarlo Fisichella avaient aidé l'équipe à finir quatrième du championnat des constructeurs en 2000, à égalité de points avec BAR, après une terrible campagne 1999 où Benetton avait rétrogradé à la sixième place du classement général, sa pire performance depuis 1986 (saison où il y avait quand même une victoire à se mettre sous la dent). C'était dû à une mauvaise corrélation avec la soufflerie, qui avait entraîné des déficiences cruciales au niveau de l'aérodynamique, avec des innovations qui n'ont pas porté les fruits escomptés – par exemple le système de transfert de couple vers l'avant et la boîte de vitesses à double embrayage.

Renault avait trouvé un accord avec la famille Benetton en mars 2000 pour racheter l'écurie, et le retour de Flavio Briatore en tant que directeur général a coïncidé avec un afflux d'investissements qui ont entraîné le recrutement de Gascoyne en provenance de Jordan, équipe dont le designer en chef Mark Smith et le directeur technique adjoint Bob Bell ont également rejoint Enstone en 2001.

"Il y a un truc sur Flavio : il soutenait grandement la construction d'une équipe capable de remporter le titre mondial, donc il soutenait grandement le recrutement des personnes que je voulais", indique Gascoyne.

Pour Pat Symonds, qui était devenu directeur technique en 1996 après le départ de Ross Brawn chez Ferrari et a mené l'équipe dans une période de vache maigre, c'est un avenir radieux qui se présentait : "À la fin des années 1990, j'étais directeur technique et j'étais débordé. Nous avions un budget minuscule et un contrat de fourniture moteur incroyablement onéreux avec Mecachrome, ce qui nous tuait. Les gens parlent des coûts moteur de nos jours, mais croyez-moi, c'était bien pire à l'époque quant au pourcentage du budget total. Cela n'a rien à voir. Nous nous saignions déjà à payer ces factures moteur, puis à la fin de l'année nous en recevions une autre parce que nous avions utilisé plus de moteurs en essais que le contrat ne le stipulait. Nous avions donc de grandes difficultés de ce côté-là."

"Ma première chose à faire chaque jour était de préparer l'équipe à la vente, dans les faits. Je savais que nous nous dirigions vers une ère où il fallait être associé à un constructeur, donc il fallait que je rende l'écurie attractive pour un constructeur en ayant l'air d'être une grande équipe avec un petit budget. C'était vraiment dur, mais nous avons atteint cet objectif et Renault a été convaincu que c'était bien de s'impliquer là-dedans."

Pat Symonds could see light at the tunnel by 2001 as Benetton transitioned into Renault

"Tout d'un coup, il y a eu beaucoup plus d'entrées d'argent, donc l'équipe a pu se développer très rapidement. Notre budget 2000-2001 dépassait l'entendement par rapport à celui de 1998-1999 et, bien sûr, en 2001 nous ne payions plus vraiment les moteurs."

Mais il restait beaucoup de travail à faire, en particulier résoudre les problèmes de la soufflerie et améliorer la qualité du modèle, avant de pouvoir espérer retrouver les jours de gloire de 1994-1995.

"Quand je suis allé chez Jordan, ils échouaient à cause de leur programme aérodynamique, et quand je suis allé chez Benetton, c'était exactement pareil", analyse Gascoyne. "Ils avaient une bien meilleure soufflerie, des infrastructures bien plus grandes, beaucoup plus de personnel, mais avoir une bonne soufflerie ne signifie pas toujours que l'on met des voitures rapides dedans. Il faut quand même concevoir une voiture rapide, et ils ne le faisaient pas."

Si l'association avec un constructeur avait des avantages évidents, le moteur RS21 à angle de 111° qui propulsait la B201 est arrivé en retard et n'était pas au niveau. Pour ne rien arranger, il a été révélé au Grand Prix de Grande-Bretagne que Renault avait été victime d'espionnage industriel, le Losange étant alors convaincu que d'anciens membres de la police secrète d'Allemagne de l'Est avaient été payés par un adversaire pour accéder à des informations sur le design. Plusieurs éléments clés ont ensuite été modifiés afin d'assurer que la concurrence n'ait pas accès aux développements suivants.

Gascoyne a passé les essais de pré-saison et les premiers Grands Prix à tempérer les attentes, à raison. Avec environ 150 ch de déficit sur les autres groupes propulseurs lors des premières courses, le moteur manquait de fiabilité pour couronner le tout, entravant la recherche des réglages parfaits en essais libres.

Symonds ne prend pas de pincettes en évoquant le retour de Renault en tant que motoriste : "C'était un moteur atroce, il n'avait pas de couple. Nous l'avons compris bien plus tard, mais la séparation des deux rangées de cylindres empêchait les trompettes d'admission de communiquer, et par conséquent, une immense partie du couple intermédiaire que l'on a sur le moteur en V n'était pas là, et il a fallu une éternité pour le comprendre. Nous avions des problèmes de fiabilité, des problèmes avec les cames, ils avaient des culasses en magnésium qui s'érodaient rapidement, il y avait toutes sortes de problèmes. Je pense que le retard du moteur n'a pas posé problème autant que le fait qu'il n'était simplement pas bon."

Finishing three laps down in Australia was a sign of things to come for Fisichella

Les deux voitures étaient loin de la concurrence lors de la course d'ouverture à Melbourne, en raison de problèmes d'échappements : Fisichella était dernier sous le drapeau à damier, avec trois tours de retard. Sous la pluie d'Interlagos, l'Italien a atteint une vertigineuse sixième place grâce à un dépassement tardif sur la Prost de Jean Alesi, mais lors des trois courses suivantes, à Imola, à Barcelone et à l'A1-Ring, son coéquipier Jenson Button n'a pu faire mieux que 21e sur la grille, ne devançant que la Minardi de Tarso Marques. Fisichella, quant à lui, s'est qualifié seulement 19e à chaque fois.

En plus de cet handicapant manque de puissance, la monoplace manquait d'appui aéro car elle avait été conçue tard afin d'intégrer le moteur. Au Grand Prix d'Espagne, les deux voitures ont été nettement battues par Fernando Alonso, pilote d'essais Benetton, au volant de la Minardi. Son meilleur tour en course était près d'une seconde plus rapide que celui des bolides bleus.

"J'ai hérité de la voiture 2001, qui était complètement pourrie, et forcément, le moteur n'a pas aidé", commente Gascoyne. "Le problème, c'est que quand on commence à travailler en soufflerie, cela prend plusieurs mois de faire de nouveaux modèles et d'établir de nouveaux procédés, et même là, quand on a tout préparé, il faut encore concevoir une voiture rapide et tester toutes les pièces. Cela a pris jusqu'à la mi-saison."

Bien que Fisichella ait pris la dixième place sur la grille à Monaco avant d'avoir un accident, l'ambiance était morne au sein de l'équipe. Button, pilote très coté après sa première saison avec Williams en 2000, aurait eu l'opportunité de partir tout en étant payé afin de laisser la place à Alonso (protégé de Briatore) mais aurait refusé, tandis que la rumeur affirmait que Gascoyne allait démissionner. Bien sûr, c'était n'importe quoi.

"Le plus difficile était d'essayer de motiver les gens, ce qui était dur quand nous avions de mauvais résultats", déplorait Gascoyne en 2001. "Mais il n'y a pas de remède miracle dans cette industrie, il faut juste faire le travail et être conscient qu'on ne va pas pouvoir résoudre tous les problèmes du jour au lendemain. Il s'agissait d'encaisser les critiques, mais je n'ai jamais perdu de vue notre objectif. C'était un moment difficile, surtout quand certains écrivaient que j'étais sur le départ."

Mais il y avait de la lumière au bout du tunnel : les tests d'un nouveau package aérodynamique prévu pour le Grand Prix de Hongrie permettaient d'envisager un gain de performance entre une seconde et une seconde et demie. Après une course très encourageante à Hockenheim avec Fisichella quatrième et Button cinquième (l'Italien n'était qu'une seconde derrière le troisième, Jacques Villeneuve, les problèmes de fiabilité ayant décimé le peloton ce jour-là), les difficultés des pneus Michelin ont handicapé le nouveau package pour ses débuts au Hungaroring.

Mais Spa était une tout autre histoire. Même si Fisichella pensait ne pas avoir été performant en qualifications, huitième sur la grille du Grand Prix de Belgique, il s'est largement rattrapé en course : il a pris un envol phénoménal lors du second départ et s'est propulsé à la deuxième place au premier virage, derrière la Ferrari de Michael Schumacher. Malgré son manque de puissance, Fisichella a résisté à la McLaren de David Coulthard pendant la majeure partie de la course avant de s'incliner dans Eau Rouge. La troisième place était néanmoins un résultat très honorable.

Points at last came at Hockenheim for both cars

De nouveaux soucis de fiabilité ont masqué le rythme des bolides bleus à Monza, où Button a percuté la Jordan de Jarno Trulli au premier virage, et le cloquage des pneus a constitué un nouveau handicap à Indianapolis malgré des performances en hausse. Mais pour le dernier Grand Prix de la saison, à Suzuka, les deux voitures se sont qualifiées dans le top 10, une première. Sixième sur la grille, soit son meilleur résultat de l'année, Fisichella était devant la McLaren de Mika Häkkinen lorsqu'il est parti en tête-à-queue au troisième tour. Il a perdu la quatrième vitesse alors qu'il occupait la septième place devant Button en fin d'épreuve.

Comment Symonds voit-il cette tumultueuse saison 2001, avec le recul ? "Je pense que c'était une bonne année, je l'ai certainement appréciée. Toute notre campagne de R&D était meilleure, nous avions deux designers vraiment bons en Tim [Densham, qui est arrivé en 1999 en provenance du projet Honda abandonné] et Mark – je dirais que cela nous a transformés – et la soufflerie commençait à bien fonctionner. Les planètes s'alignaient."

"Cela nous a probablement donné la bonne attitude, de sorte que quand l'argent de Renault est arrivé, nous savions comment le dépenser, et je pense que c'est une philosophie qui a duré tout du long. Nous étions une écurie très économe et cela nous a été d'un grand secours au début des années 2000, alors que nous montions en puissance jusqu'à ce titre 2005."

Fisichella joins Coulthard and race winner Schumacher on the podium at Spa

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