Analyse

Hypercar Toyota : la révolution masquée de l'Endurance

La Toyota GR010 conçue pour la nouvelle ère Hypercar du WEC a peu de choses en commun avec la TS050 LMP1 qui l'a précédée. Mais en dépit des restrictions qui accompagnent la nouvelle réglementation, elle ne sera pas moins redoutable.

Toyota GR010 Hybrid

Elle ressemble à une Toyota et, pour les non-initiés, ce pourrait être une LMP1. Pourtant, la machine qui portera les espoirs du constructeur nippon pour la nouvelle ère du WEC qui débute cette année est d'une lignée très différente des prototypes qui l'ont précédée. La Toyota GR010 Hybrid développée pour répondre à la réglementation Le Mans Hypercar est toute nouvelle. Elle se devait de l'être, car il s'agit d'un règlement avec une philosophie repensée.

Les règles aéro sont différentes, ainsi que celles qui régissent la technologie qui a été l'argument mis en avant par la catégorie reine du WEC depuis sa renaissance en 2012. La GR010 ne pouvait donc pas conserver grand-chose de sa devancière, la TS050 Hybrid LMP1 qui a gagné les 24 Heures du Mans à trois reprises et le Championnat du monde par deux fois. Pascal Vasselon, directeur technique de Toyota, le justifie par "l'ampleur de la modification réglementaire" en question. "Les seules pièces que nous pouvions conserver étaient les capteurs, les interrupteurs et les boutons", dit-il.

La réglementation aérodynamique du LMH n'est pas traditionnelle, dans le sens où elle ne dit pas ce que l'on peut faire et ce que l'on ne peut pas faire. Au lieu de ça, elle fixe une limite maximale d'appui et une limite minimale de traînée. Les chiffres sont relativement modestes, non seulement pour garder la maîtrise des coûts, mais aussi pour s'assurer que la soufflerie et l'informatique ne déterminent pas l'apparence de la voiture. L'intention est que les constructeurs puissent incorporer leur signature esthétique sur la voiture afin qu'elle ressemble à une voiture de sport pour la route. D'où le nom Hypercar pour la nouvelle catégorie.

"Non seulement il y a eu un changement de réglementation, mais aussi un changement de principe", explique Pascal Vasselon. "En LMH, c'est l'objectif de performance qui est spécifié. On nous dit que l'on peut faire ce que l'on veut, mais nous devons rester dans une fenêtre de performance très précise. Cela donne de la liberté, et avec celle-ci on peut intégrer certains éléments stylistiques de voitures de route. C'est pour cela que ces voitures seront belles et différentes."

Vasselon décrit l'apparence de la GR010 comme un "bon mélange entre une vraie voiture de course et une voiture de série extrême". Elle puise son inspiration chez la GR Super Sport, qui a d'abord été présentée sous la forme d'un concept il y a trois ans avant de faire une apparition en marge des 24 Heures du Mans en septembre dernier. La présentation de la Super Sport en janvier 2018 s'inscrivait dans le cadre du lancement d'une nouvelle marque sportive de Toyota, baptisée Gazoo Racing ou plus simplement GR, comme le rappelle le préfixe de la voiture. La réglementation a permis à Toyota d'incorporer "quelques repères stylistiques qui se verront sur les futures voitures de route GR", selon Pascal Vasselon. Ce dernier a notamment mentionné le nez, l'arrière et les arches de roue. Il faut noter que la GR010 est un prototype pure souche, même si ces références stylistiques se retrouveront sur une auto de route.

Toyota GR010 Hybrid

La nouvelle voiture est plus grande que sa devancière. La réglementation permet à une LMH d'être 250 mm plus longue, 100 mm plus large et 100 mm plus haute qu'une LMP1, là aussi pour aider les concepteurs à lui donner une apparence plus proche de la série. L'augmentation de la hauteur du toit est également liée à un nouveau standard de sécurité pour le cockpit, qui définit une position assise plus droite. Un seul package aéro est autorisé, contre deux auparavant en LMP1. L'aileron arrière est le seul élément ajustable.

La GR010 est aussi plus lourde que la TS050. Le poids de base en LMP1 Hybride était de 878 kg (relevé à 932 kg durant la majeure partie de la saison), tandis que la nouvelle auto respecte le poids minimal désormais fixé à 1040 kg. Cette hausse importante du poids est une mesure répondant à la nécessité de réduire les coûts. La suspension FRIC très pointue qui liait l'avant à l'arrière de la TS050 pour améliorer la stabilité aéro a disparu. Elle a été interdite, là encore dans un souci de réduction des coûts.

L'hybride à prix réduit

La réglementation LMH permet l'utilisation d'un seul système hybride sur l'essieu à l'avant, en récupérant l'énergie cinétique, contre deux systèmes autorisés en LMP1. Cette technologie hybride est facultative. Selon Pascal Vasselon, le passage d'un double système hybride à un dispositif unique "crée plusieurs différences et défis". Le brake-by-wire à l'arrière a été interdit et remplacé par un système hydraulique intégral et conventionnel et, sans MGU à l'arrière, la GR010 se retrouve équipée d'un starter classique. Elle quittera donc les stands via la puissance de son moteur à combustion interne et non plus grâce à l'énergie électrique.

Les changements apportés au groupe propulseur par le règlement sont pourtant plus fondamentaux que le simple fait de bannir l'hybride à l'arrière. De 2014 à 2020, la puissance des LMP1 était contrôlée en autorisant chaque voiture à utiliser une certaine quantité d'énergie, à la fois via son moteur à combustion et ses systèmes hybrides. Désormais, une puissance maximale est fixée pour l'ensemble. Il s'agit d'un chiffre combiné, de manière à ce que la puissance obtenue par le KERS sur l'essieu avant vienne se substituer à la puissance du moteur à combustion, et non s'y ajouter.

C'est ce qui explique la présence d'un tout nouveau moteur, significativement plus imposant que le V6 2,4 litres turbo à injection directe apparu sur la TS050 en 2016. Il s'agit toujours d'un V6, mais de 3,5 litres. "La demande autour du moteur à combustion est maintenant différente", justifie Pascal Vasselon. "En LMP1, compte tenu du niveau d'énergie que l'on nous donnait, l'objectif de puissance était autour de 380 à 390 kW [un peu plus de 500 ch]. Là, l'objectif de puissance est de 500 kW [670 ch]. En partant de notre moteur 2,4 litres LMP1, si l'on ajoute 30% on arrive à 3,2 litres. Sachant que la catégorie offre un peu plus de marge au niveau du poids, il n'y avait vraiment aucun intérêt à opter pour un moteur petit et léger. Nous avons donc utilisé cette marge pour la fiabilité. Et on arrive donc à 3,5 litres."

Toyota GR010 Hybrid

Pour le dire simplement, la puissance du moteur à combustion a drastiquement augmenté car il doit pouvoir atteindre 500 kW lorsque le système hybride n'est pas sollicité. La puissance de cet unique dispositif hybride a justement pris une direction opposée : elle est désormais limitée à 200 kW [268 ch], tandis que sur la TS050, la puissance hybride avoisinait les 500 kW. La puissance totale de la voiture était située non loin des 1000 ch, et légèrement réduite au Mans car il y avait une limite de 300 kW [402 ch] pour la partie hybride sur le Circuit de la Sarthe. "En LMP1, nous pouvions utiliser autant de boost que nous voulions en sortie de virage", précise Pascal Vasselon. "Désormais, nous avons une puissance maximale établie et que nous devons respecter en permanence. Toutes les voitures devront respecter la même courbe de puissance [qu'elles soient hybrides ou non], donc il n'y a clairement plus d'effet 'push to pass'."

Le système hybride ne peut pas être sollicité en-dessous de 120 km/h. Cette règle a été introduite à la demande d'Aston Martin, lorsque le projet Valkyrie était encore envisagé. Il s'agissait même d'une condition à son engagement dans la nouvelle catégorie avec une auto non équipée d'hybride. Le constructeur s'est depuis détourné de l'Endurance pour s'engager en Formule 1. La barre des 120 km/h a toutefois été conservée, et elle sera même rehaussée sur piste humide, dans une zone située entre 140 et 160 km/h qui doit encore être clairement définie d'ici le début de la saison.

Un besoin vital de concurrence

L'autre héritage des conditions posées à l'époque par Aston Martin est l'introduction d'une Balance de Performance (BoP). La réglementation rendant l'hybride facultatif, son apparition était inévitable. Depuis, le WEC s'est également ouvert à une autre possibilité d'engagement que sera le LMDh, s'articulant autour d'un châssis LMP2 pouvant également rouler en IMSA, ce qui renforce la légitimité d'une BoP. Pascal Vasselon ne l'a jamais caché, Toyota aurait préféré éviter un tel artifice, mais devant le besoin de réduire les coûts et de redonner du spectacle, le constructeur japonais s'est fait une raison. "Nous ne sommes pas fans de la BoP, mais nous devons l'accepter car nous avons besoin de concurrence", répète-t-il encore aujourd'hui.

La GR010 est le fruit d'un travail qui aura duré plus de deux ans. Il ne faut pas oublier que Toyota était l'un des principaux artisans ayant participé à la création de la réglementation LMH. Les règles ont évolué depuis leur toute première parution et, dans le même temps, la durée de développement des nouvelles autos a été allongée par les conséquences de la pandémie de COVID-19 et le report des dernières manches de la saison 2019-2020. Initialement, l'Hypercar devait voir le jour en septembre dernier à Silverstone. Ce ne sera finalement qu'en avril prochain, à Portimão. "Il est vrai que l'histoire de cette réglementation a des airs de montagnes russes, mais il n'y avait rien d'insurmontable", souligne Pascal Vasselon. "Concernant le planning, nous pouvons voir ici l'un des très rares points positifs de la pandémie de COVID. Le calendrier initial était un peu irréaliste."

L'idée première du nouveau règlement était d'abaisser considérablement les budgets atteints en LMP1 lorsque les géants Audi, Porsche et Toyota s'y affrontaient. Un point de vue partagé par Pascal Vasselon, qui rappelle que "la performance coûte de l'argent".  L'objectif de performance fixé est un chrono de 3'30 au Mans, et Toyota laisse entendre que la GR010 sera approximativement dix secondes moins rapide que sa devancière dans la Sarthe, ce qui correspond à la cible. "Nous perdons du temps en courbe pour deux raisons : la voiture est plus lourde et l'efficacité aérodynamique est fixée à un niveau plus bas que ce que nous pouvions atteindre en LMP1", précise Pascal Vasselon. "Et puis nous perdons en accélération pour deux raisons : le poids, à nouveau, et le fait que la puissance combinée du système hybride et du moteur à combustion est désormais plus faible."

Toyota GR010 Hybrid

Malgré son rythme abaissé, tous les pilotes Toyota s'accordent à dire que la nouvelle machine demeure un véritable prototype, agréable à piloter. "Je ne dirais pas qu'elle est paresseuse", confie Brendon Hartley. "Nous avons tous trouvé que nous avions beaucoup de train avant à basse vitesse. Mais à haute vitesse, on ressent clairement son poids ; on le sent quand on prend les freins. C'est une voiture plus lourde, mais ça n'enlève pas le plaisir de la piloter."

La nouvelle réglementation changera également la manière dont les équipages Toyota aborderont les épreuves. Le système hybride ne sera plus un outil aussi utile qu'auparavant pour se débarrasser du trafic, et l'incidence du lift-and-coast pour économiser du carburant sera bien moindre. "Ça changera vraiment la dynamique de course car on n'a plus ce bouton de boost à utiliser pour doubler des voitures", admet Mike Conway. "Nous retrouverons un type de pilotage plus conventionnel." Et Sébastien Buemi d'ajouter : "On peut rester à fond et freiner aussi tard que l'on veut. Ça donne un sentiment de course à l'état pur."

Toyota a fait débuter sa GR010 en piste en octobre dernier, sur le circuit Paul Ricard. La voiture a de nouveau roulé en décembre à Portimão, pendant trois jours, avec notamment une première simulation d'endurance. En revanche, les essais programmés mi-janvier en Aragón ont été annulés à cause de la neige. "Le plus gros problème que nous avons, c'est le manque de kilométrage", prévient Rob Leupen, directeur de l'équipe. "Chaque test est important pour accumuler du kilométrage, afin que les mécaniciens et les ingénieurs comprennent mieux la voiture."

Le constructeur parle toutefois d'essais encourageants jusqu'à présent, et en attendant l'arrivée de Peugeot en 2022, puis d'autres concurrents ensuite via le LMDh, dont Audi et Porsche, l'objectif est clairement de conserver les titres acquis aux 24 Heures du Mans et au championnat, face à Glickenhaus et Alpine.

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