Hommage

Charlie Whiting, 1952-2019

Charlie Whiting, brutalement décédé à Melbourne à la veille du Grand Prix d'Australie, était un pilier du paddock de la Formule 1 depuis plus de 40 ans.

Charlie Whiting, directeur de course de la FIA

Photo de: Glenn Dunbar / Motorsport Images

Charlie Whiting a débuté en sport automobile comme mécanicien dans des courses régionales, avant de grimper les échelons et de devenir l'un des personnages les plus respectés du monde de la Formule 1 et un officiel majeur de la FIA.

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Whiting devait rédiger le livre du Règlement Technique en plus de le faire respecter. Son interprétation des règles fut souvent contestée par des écuries, ce qui a, au fil des ans, engendré plusieurs situations complexes et stressantes. Malgré l’intense pression qu’on lui mettait, Whiting fut toujours extrêmement calme et posé. Il fut sans contredit la personne parfaite pour jouer ce rôle d’arbitre.

"Les gens me disent que je suis calme. Je ne m’énerve pas souvent, car c’est contre-productif", m’avait-il dit en 2009. "Il y a bien eu quelques pilotes en colère qui sont venus se fâcher dans mon bureau, mais cela ne les a pas bien servis. Je ne commencerai donc pas à agir de la même façon."

Il avait ajouté : "C’est un peu comme au foot, n’est-ce pas ? Quand vous êtes arbitre, vous ne pouvez pas plaire à tout le monde. Ça, je l’ai accepté dès le début. Je ne ferai jamais plaisir à tout le monde. Toutefois, je tente de faire mon travail avec politesse et justesse. J’essaie d’être égal avec tout le monde. Je crois que c’est le mieux que je puisse faire."

Sebastian Vettel, Ferrari et Charlie Whiting, directeur de course de la FIA

Sebastian Vettel et Charlie Whiting

Charlie Whiting est demeuré follement passionné de sport automobile durant toute sa carrière. Il adorait assister à une bonne course chaudement disputée. Il a même fait une gigantesque collection de programmes en souvenir des Grands Prix.

Travailleur infatigable, il restait rarement posé très longtemps au même endroit. Quand il n’était pas en fonction lors d’un Grand Prix, il assistait aux réunions de la FIA à Paris ou à Genève, effectuait les inspections de circuits ou visitait les endroits susceptibles d’accueillir une course de F1 à l'avenir. Son emploi du temps extrêmement chargé a certainement eu des effets néfastes sur sa vie familiale.

"Les déplacements ne me causent pas de problèmes. Ce qui en cause, ce sont toutes ces choses que je dois accomplir", avait-il ajouté. "Les écuries m’envoient constamment des questions, des demandes techniques et des approbations. Si je ne réponds pas à mes mails durant quelques heures, je suis nettement en retard. C’est vraiment intense. Par contre, je peux effectuer beaucoup de travail lorsque je suis en avion."

Charlie Whiting a commencé en sport automobile en aidant son frère Nick, qui a effectué ses débuts en autocross avant de devenir un grand nom de la course automobile britannique. "Nous vivions à moins de deux kilomètres du circuit de Brands Hatch", racontait Charlie Whiting. "Je traversais les bois et je me glissais sous une clôture afin de voir l’action en piste. Je crois avoir assisté à mon premier Grand Prix en 1964. J’avais 12 ans à l’époque et il s’agissait du premier Grand Prix à être organisé à Brands."

"Par la suite, quand j’arrivais de l’école, j’allais vite travailler avec Nick dans son garage jusqu’à tard le soir. Quand il allait aux courses, je l’accompagnais pour l’aider à préparer sa voiture. Il a débuté en autocross en 1968, puis il est passé aux circuits routiers en 1971. Il a remporté quelques titres dans une catégorie nommée Special Saloons."

Whiting a alors décidé de faire carrière dans le sport automobile. "Je suis allé au collège technique, puis à la Borough Polytechnic, maintenant appelée South Bank University, où j’ai décroché plusieurs certificats en génie mécanique. Le fait que je travaille dans un garage n’a pas vraiment plu à ma mère. Elle fut très déçue par ma décision."

Le premier contact de Whiting avec la F1 est survenu en 1976 quand son frère a engagé une Surtees TS16 pour Divina Galica en série Shellsport. Galica a ensuite tenté de qualifier cette voiture au Grand Prix de Grande-Bretagne de la même année, mais sans succès.

Divina Galica, ShellSport/Whiting Surtess TS16

Divina Galica

Il a obtenu son premier contrat à temps plein en F1 en rejoignant l'équipe Hesketh, qui était sur le déclin après les années dorées de l'ère Hunt. Il a travaillé avec des pilotes comme Eddie Cheever ou Derek Daly, jusqu'au jour où l'équipe a cessé ses activités, après le GP de Belgique 1978.

Sans job, Whiting a rapidement trouvé un nouveau départ avec l'équipe Brabham de Bernie Ecclestone, et son ingénieur Gordon Murray, toujours à la recherche de moyens de pousser au maximum le développement, et qui venait de créer la BT46B, munie d'un ventilateur à l'arrière.

"Je ne me rappelle pas qui m'a suggéré d'approcher Brabham. Je suis allé passer un entretien avec Herbie [Blash], et j'ai eu un poste dans l'équipe d'essais. J'ai fait une séance en Autriche, puis quelqu'un est parti et j'ai donc intégré l'équipe de course à partir du Paul Ricard."

"Cette année-là je travaillais sur le mulet, en 1979 je me suis occupé de la voiture de Niki [Lauda], et en 1980 celle de Nelson [Piquet]. Je suis devenu chef-mécanicien en 1981."

C'est dans ce rôle que Whiting allait contribuer aux titres de Champion du monde de Nelson Piquet en 1981 et 1983. C'était une ère fabuleuse de ce sport, et Brabham était vraiment une équipe anticonformiste, utilisant parfois une carrosserie plus lourde pour les vérifications de poids d'après-séance, et ayant introduit le ravitaillement et les changements de pneus prévus à l'avance en 1982.

"Les choses sont devenues beaucoup plus complexes, ce qui se passait à l'époque était très primitif en comparaison. Tout le monde était naïf. Les mesures nous empêchant de mettre un aileron arrière plus lourd n'étaient pas vraiment sophistiquées ! Cela m'a clairement mis dans de bonnes dispositions pour les premières années de mon travail actuel."

Murray, Blash et Whiting étaient des hommes-clés dans une équipe très soudée et qui ne se prenait pas très au sérieux. "Gordon était tellement relax que ça a commencé à se ressentir chez tout le monde", expliquait Whiting. "C'est comme ça que c'est arrivé, j'imagine, les petites choses que l'on faisait, les blagues que l'on se faisait et tout cela, car on pouvait le faire, et Gordon l'encourageait."

"Bien sûr, Bernie avait à cette époque la réputation d'être assez colérique de temps en temps, et il arrivait dans l'usine et se plaignait longuement de quelque chose qu'il n'appréciait pas. Au final, c'est un perfectionniste, et il voulait que tout soit absolument parfait. Quand vous regardiez l'usine Brabham et le genre de choses que Bernie a fait démarrer, vous pouviez voir qu'il avait raison. C'était clairement [une usine] de pointe, et il faisait en sorte que ça le reste."

Nelson Piquet, Brabham BMW

Nelson Piquet

En 1986 l'écurie a subi le tragique accident d'Elio de Angelis au Paul Ricard. Cela a beaucoup affecté Whiting, et a influencé son intérêt pour les améliorations de sécurité plus tard. "Ce qui était tragique, c'est qu'il n'était pas blessé. Il n'y avait que 15 litres d'essence dans la voiture, mais malheureusement il s'est retourné, l'essence est sortie, elle a pris feu et il n'y avait personne pour éteindre l'incendie."

Distrait par ses fonctions du côté commercial de la F1, Ecclestone a vendu Brabham en 1987, et l'année suivante l'équipe n'a pas pris part au Championnat du monde. Plutôt que de changer d'écurie, Whiting, qui est depuis devenu ingénieur en chef, a fait le choix étonnant de rejoindre la FIA.

"C'était l'idée de Bernie. Il s'est toujours dit que personne ne savait ce qu'il faisait [à la FIA]. Il m'a dit : 'Pourquoi tu n'irais pas travailler là-bas ?' À sa demande, je suis allé à Paris et j'ai parlé avec Yvon Léon, qui était le secrétaire général de Jean-Marie Balestre. Nous nous sommes mis d'accord sur le fait que j'allais faire partie de l'équipe technique en 1988. J'ai d'abord travaillé avec Gabriele Cadringher, qui était le délégué technique, puis en 1990 j'ai pris sa place. Quand Max [Mosley] est devenu président en 1991, il m'a demandé de prendre un rôle plus formel, car avant cela j'étais un peu à la FIA et un peu chez Bernie, et il voulait que je sois à 100% à la FIA."

Whiting a admis avoir eu du mal à s'adapter à son nouveau rôle d'arbitre : "C'était très étrange. J'avais du mal à m'y faire au début, mais je m'y suis habitué. Beaucoup d'équipes étaient sceptiques, et pensaient que je récoltais des informations pour un come-back de Bernie. Et ça a continué l'année d'après. Brabham n'est pas revenu en 1989, et à chaque fois que j'étais dans le garage, pour mettre un moteur sous scellés par exemple, les gens pensaient que j'étais revenu travailler à temps partiel !"

En 1994, Whiting était fortement impliqué dans les moments qui ont suivi les décès d'Ayrton Senna et Roland Ratzenberger à Imola, ainsi que d'autres accidents ayant impacté la saison. C'était une période difficile pour toutes les personnes à la FIA, qui a vu beaucoup de réactions impulsives, comme des changements apportés aux tracés, même si les circuits n'étaient pas encore de la responsabilité de Whiting.

"Pour être tout à fait honnête, si l'on regarde ça avec un esprit rationnel, il s'est passé certaines choses étranges après Imola 1994. Les chicanes à Barcelone et au Canada par exemple. J'aime à penser que ça n'arriverait pas ces jours-ci."

"S'il venait à y avoir un accident avec un impact similaire, dirons-nous, on essaierait de l'analyser correctement. Imola a été un week-end extrêmement sombre pour notre sport, mais en regardant chaque élément de manière isolée, on ne pouvait pas en pointer un en disant 'ah, voilà ce qui ne va pas avec la F1'."

"Je ne sais pas s'il y a eu de la pression politique pour faire beaucoup de changements, mais pour moi certaines choses faites n'étaient pas nécessaires. À mon avis, cette chicane à Barcelone était potentiellement dangereuse."

Charlie Whiting, FIA Delegate observes the scene of the Brendon Hartley, Scuderia Toro Rosso STR13 crash in FP3

Charlie Whiting sur les lieux de l'accident de Brendon Hartley

Whiting prit du galon les années suivantes. En 1996, le poste de responsable des départs devint son principal rôle, avant une rapide promotion à celui de directeur de course ainsi que de délégué à la sécurité et responsable des circuits.

"Roland Bruynseraede, qui avait occupé les postes de délégué à la sécurité, responsable des départs et directeur de course, était parti ou n'avait pas été reconduit pour 1996. Max décida que Roger Lane-Nott serait un bon profil pour le poste de directeur de course. Il ne nous restait plus personne pour donner le départ des courses, donc je me suis porté volontaire, et c'est moi qui m'en charge depuis lors."

"Tout le monde s'accorde à dire que Roger a fait de son mieux, mais il ne correspondait pas au truc. En 1996, à Monza, Max m'a dit qu'il n'était pas particulièrement satisfait de la façon dont les choses se déroulaient, et m'a demandé si j'aimerais le faire. J'ai sauté sur l'occasion. Je mentirais si je disais que je n'avais pas eu des vues sur ce job depuis pas mal de temps."

Whiting aura eu en charge le contrôle de la course pendant plus de deux décennies, et travailla la plupart du temps avec son ami de longue date et ancien collègue chez Brabham, Herbie Blash, qui tint le rôle de directeur de course adjoint.

Ses prérogatives s’étendirent bien au-delà des week-ends de course. Il rédigea à la fois les réglementations sportive et technique et joua un rôle clé avec Sid Watkins dans l'action de la FIA en faveur de la sécurité qui débuta dans la foulée des tragiques événements d'Imola, et qui perdure depuis.

Il dut affronter des moments difficiles, notamment les morts des commissaires de piste Paolo Gislimberti à Monza en 2000 et Graham Beveridge à Melbourne en 2001. L'accident de Jules Bianchi en 2014 – qui mena au décès du Français l'année suivante – fut un autre coup dur pour l'homme qui était alors en charge de la sécurité.

Chaque week-end de Grand Prix, Whiting présida par la suite le briefing FIA des pilotes, ce qui, ajouté aux entretiens individuels avec ceux ayant commis des infractions en piste, lui procura une parfaite compréhension des personnages à qui il avait affaire.

Charlie Whiting, Jean Todt, FIA President, Charles Leclerc, Sauber F1 Team

Charlie Whiting, Jean Todt et Charles Leclerc

"Je pense que je me suis bien entendu avec la majorité d'entre eux, mais mieux avec certains que d'autres. On ne peut pas plaire à tout le monde, c'est un fait. Je suis sûr que certain d'entre eux ont pensé que j'étais un idiot, mais je ne peux rien y faire, hein. Je fais de mon mieux."

"C'est vrai que certains sont plus techniques que d'autres, clairement. Et certains pilotes ont de bonnes idées. D'autres pas vraiment ! Honnêtement, certains avançaient des trucs ridicules parfois. Une fois, on m'a demandé d'allonger le vibreur à la sortie du virage 11 à Indianapolis à ses deux extrémités. Il faisait déjà 50 mètres de long. Je n'ai jamais compris cela. C'est soit trop court soit trop long, ça ne peut pas être les deux ! Je n'ai jamais compris la rationalité là-dedans. Ça provenait d'un pilote très connu, ce qui m'a encore plus surpris, car il était réputé pour son intelligence..."

Une autre partie du travail de Whiting consista à faire en sorte que la FIA garde un temps d'avance sur les ingénieurs, dont la tâche est de trouver des failles dans la réglementation qu'il avait lui-même écrite.

"Nous en discutions lors de réunions sportives et techniques, et ils avaient leur mot à dire, donc il n'y avait pas que moi qui rédigeais les règles et les publiais. Généralement, les équipes n'essayaient pas de nous duper, car elles savaient que si une règle s'avérait trop faible, alors nous la changerions."

"Le fait est qu'il n'y a qu'une FIA et dix équipes, et chacune d'elle dispose en moyenne de 100 ingénieurs qui font leur maximum pour tirer profit des règles. Le double diffuseur [en 2009] en est un parfait exemple."

L'approche méticuleuse et organisée a bien aidé Whiting en ce sens, et les failles dans le règlement furent rares : "J'ai toujours été réputé pour cela. C'est assez embarrassant parfois. Je ne suis pas psychorigide, mais j'aime que les choses soient bien faites, de façon propre. Je déteste ne pas trouver les choses. Si je veux un dessin de Suzuka en 1997, je sais exactement où je peux le trouver. Je suis comme ça."

Charlie Whiting, FIA Race Director, Ross Brawn, Managing Director of Motorsports, FOM, on stage

Charlie Whiting et Ross Brawn

Sous la supervision de Jean Todt, beaucoup de changements ont été opérés à la FIA. Blash a quitté son poste fin 2016 et cela en dit long sur le respect qui continuait à être accordé à Whiting, ainsi que l'étendue de ses responsabilités. Il était pratiquement impossible à remplacer et il était clair que personne ne pouvait marcher sur ses traces. Des tentatives de remplacement ont échoué lorsque Marcin Budkowski et Laurent Mekies ont un temps travaillé avec Whiting, se formant à lui succéder avant finalement de prendre des postes à responsabilité, respectivement chez Renault et Ferrari.

Alors que, récemment, Nikolas Tombazis a pris à sa charge une partie du travail technique, Whiting n'a donné aucun signe de ralentissement, toujours aussi occupé. Après avoir rechargé ses batteries en prenant de rares vacances à Hawaii à Noël, il avait travaillé d'arrache-pied non seulement pour préparer cette saison, mais aussi pour apporter sa contribution aux projets de 2021. Mercredi, à Melbourne, il a mené ses habituelles procédures d'avant-Grand Prix, s'assurant que le circuit de l'Albert Park était prêt à accueillir les F1 à partir de vendredi.

En 2009, je lui avais demandé combien de temps il pensait maintenir un mode de vie aussi actif. "Je ne me sens aucunement différent de celui que j'étais il y a 20 ans", m'avait-il dit. "C'est ce qui est inquiétant ! Je suppose que je vais probablement continuer jusqu'à ce qu'on me dise de partir. J'aurais pensé qu'on ne voulait pas faire tout cela au-delà de 65 ans, sincèrement."

"En dehors de tout le reste, tous les pilotes sont si jeunes, et bien que je ne me sente pas vieux, ils pensent probablement en me regardant désormais : 'Pauvre vieux fou, il ne sait pas de quoi il parle, il est hors-jeu'. J'ai vu des personnes de 75 ans occuper des rôles de direction et je dois reconnaître que je pensais qu'ils avaient un peu dépassé la date limite. J'espère qu'on ne pensera jamais ça de moi !"

Les nombreuses marques de respect et d'affection exprimées par les pilotes et bien d'autres depuis que la triste nouvelle a été rendue publique aujourd'hui montrent que Charlie n'avait jamais atteint cette limite. Il manquera énormément à tous ceux qui l'ont connu.

Charlie Whiting, FIA

Charlie Whiting

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