Imola, un test "brutal" pour les pilotes ayant changé d'écurie

Cet hiver a vu de nombreux pilotes changer d'écurie. Avec un deuxième Grand Prix organisé sur le circuit piégeur d'Imola, ces pilotes sont revenus sur leur courbe d'apprentissage et le temps nécessaire pour s'adapter à leurs nouvelles montures.

Fernando Alonso, Alpine A521

Fernando Alonso, Alpine A521

Zak Mauger / Motorsport Images

Le marché des transferts a vu de nombreux pilotes changer d’écurie entre 2020 et 2021, et l’un des intérêts majeurs de cette saison est de juger leurs performances dans leurs nouveaux cocons. Sebastian Vettel, Fernando Alonso, Carlos Sainz, Daniel Ricciardo et Sergio Pérez font tous face à un processus d’adaptation plus compliqué qu’ils ne l’imaginaient, et sont pour le moment en retrait par rapport à leurs coéquipiers.

Cette adaptation a été rendue encore plus difficile par la présence d’Imola dès le deuxième rendez-vous du calendrier. Après les essais hivernaux et la première manche à Bahreïn, où les erreurs sont permises par de grandes zones de dégagement, les pilotes se sont retrouvés sur un circuit old school, où les bacs à gravier et les vibreurs hauts ne laissent pas la place à l'erreur.

Dans un week-end où la FIA s’est focalisée sur les limites de piste et où les pilotes ont pu découvrir leurs nouvelles montures avec des pneus pluie, le Grand Prix d’Émilie-Romagne ne fut pas de tout repos. Selon Sergio Pérez, Imola était même un défi "assez brutal". Tous les pilotes mentionnés précédemment ont eu des commentaires similaires sur la confiance nécessaire pour maîtriser leurs machines à la perfection. C’est cette confiance qui leur permettrait de gagner quelques centièmes, voire quelques millièmes sur certains virages : de quoi expliquer leur manque de rythme par rapport à leurs coéquipiers.

De plus, la décision de la FIA de raccourcir les essais hivernaux pour réduire les dépenses n’a pas aidé les pilotes à s’acclimater à leurs monoplaces. Trois journées de tests, soit une et demie pour chaque pilote, finalisées par une session de quelques tours pour offrir des images aux sponsors : voilà le temps que les pilotes ont eu pour découvrir leurs voitures. Une durée qui ne tient pas compte des éventuels pépins techniques, comme en a été victime Vettel. Ajoutez à cela des essais libres réduits (trois heures au total en 2021, contre quatre les années précédentes), et les nouvelles réglementations aéro deviennent plus compliquées à maîtriser.

Pourtant, ces séances d’essais libres durant les week-ends de course visent à rendre la voiture plus compétitive sur un circuit en particulier, et non pas à donner confiance à un pilote. De quoi rendre la tâche difficile à ceux ayant changé d’écurie, qui souhaitent désormais réduire l’écart avec leurs coéquipiers.

À Imola, après les qualifications, Sergio Pérez semblait avoir fait un meilleur travail que ses rivaux, après s’être classé deuxième sur la grille devant son coéquipier Max Verstappen. Cependant, le lendemain, le Mexicain prenait un mauvais départ, sortait de piste derrière la voiture de sécurité et partait en tête-à-queue après la mi-course. Un rappel sévère de l’apprentissage nécessaire pour maîtriser sa Red Bull. Pérez le sait : il ne prend rien pour acquis.

"Pour être honnête, je ne regarde pas ce que font les autres", déclarait le Mexicain. "Mais c’est sûr que c’est un gros défi de devoir piloter votre voiture pour la deuxième fois dans ces conditions. C’est assez brutal. Je ne suis pas encore là où je veux être, car même si j’ai réalisé un bon tour hier [samedi], vous avez vu à quel point j’étais loin aujourd’hui [dimanche], comment les conditions étaient difficiles et piégeuses. J’apprends, et c’est un processus sur lequel nous faisons un bon pas en avant, et j’espère que nous apprendrons encore de nos erreurs d’aujourd’hui."

Pérez a également déclaré qu’Imola était un test compliqué : "C’est l’un des pires circuits sur lequel vous pouvez piloter avec une nouvelle voiture, parce qu’une petite erreur durant les qualifications ou la course peut être très coûteuse. Pendant la course, vous avez vu le nombre d’erreurs que j’ai faites ou que les autres ont faites. C’est très piégeur. Mais il n’y a pas d’excuses, il faut travailler plus".

 

Dimanche, Fernando Alonso a intégré le top 10 grâce à la pénalité infligée à Kimi Räikkönen. Mais pour le moment, le double Champion du monde est en difficulté face à Esteban Ocon, qui avait lui-même passé la majorité de la saison 2020 à tenter de rattraper son coéquipier Daniel Ricciardo, alors mieux établi chez Renault. L’Espagnol a reconnu que tous les pilotes ayant un nouveau baquet connaissaient des difficultés cette année, mais a insisté sur le fait que ce Grand Prix était un bon moyen d'apprendre.

"Il semble, et cela paraît évident, que chaque tour que je fais, ou que nous, ces pilotes dans de nouvelles écuries, faisons, nous rend plus confiants", déclarait Alonso après la course. "Et aujourd’hui était une de ces journées qui compte triple en termes d’expérience, car les conditions et notre position en course ont changé tant de fois, du premier au dernier tour. Nous avons eu un drapeau rouge, un départ arrêté et un autre lancé. Il y a eu beaucoup de choses sur lesquelles nous devions nous adapter aujourd’hui, beaucoup de choses qui se manifestent en quatre ou cinq courses en temps normal, et tout cela a été compressé en une seule avec énormément d’action."

"Je suis donc satisfait de l’apprentissage. Je suis content des sensations avec la voiture sur piste humide. Bien sûr, j’ai eu une journée et demie de tests à Bahreïn, mais c’était la toute première fois sur une piste trempée, intermédiaire puis avec une seule trajectoire étroite et sèche. Il y a donc de nombreuses leçons à tirer d’aujourd’hui", analysait l’Espagnol.

Tout comme Pérez, Alonso ne veut pas expliquer une quelconque contre-performance par son manque de temps passé dans la voiture. Il sait qu’il doit faire avec. "En termes de sensations, je me sentais confiant à 300% dans la voiture, du premier au 63e tour de course", déclarait le pilote Alpine. "Donc cela ne peut pas être une excuse pour justifier notre contre-performance, car je n’ai pas performé. La prochaine fois, je devrai être mieux préparé, plus prêt. Ce n’est pas une question de temps passé dans la voiture, j’essaierai d’être meilleur la prochaine fois."

Pour Vettel, le Grand Prix d’Émilie-Romagne a été un cauchemar, lui qui a dû s'élancer de la voie des stands après une surchauffe des freins de dernière minute survenue sur les deux Aston Martin. Une pénalité reçue puisque son équipe continuait de travailler sur la monoplace au-delà du délai autorisé avant le départ.

"C’est un très beau circuit qui vous punit quand les choses tournent mal, ce qui est le but", estimait le quadruple Champion du monde. "J’ai besoin de cette petite confiance supplémentaire, peut-être que les pilotes dans de nouvelles écuries ont plus de mal. Je crois que j’ai juste eu des difficultés à assembler les éléments sur un seul tour hier [samedi], ce qui est finalement l’élément ultime de la confiance. Elle revient, mais c’est sûr que ce n’est pas bon d’avoir une journée comme celle-là. Si vous vous étiez demandé ce qui pouvait mal se passer, je ne pense pas que vous auriez pensé au scénario d’aujourd’hui. Mais le temps passé dans la voiture va m'aider et je suis sûr que ça ne peut pas être pire. C’était plutôt positif quand j’ai vu les conditions, j’étais motivé car je pensais que nous pouvions faire la différence. Mais il s’est avéré que ça allait de travers avant même le départ."

Le directeur d’écurie de l’Allemand, Otmar Szafnauer, compatit face à la détresse de son pilote. "Si les philosophies des voitures sont complètement différentes, alors cela prend du temps", déclarait-il. "Et, vous savez, j'ai parlé à Checo [Pérez] aussi, il est allé chez Red Bull, qui a une philosophie différente de la nôtre. Et il dit la même chose, que ça va juste prendre du temps pour être capable d'atteindre ces petites marges, nécessaires pour obtenir le maximum de la voiture. Et c'est aussi simple que cela. Plus vous passez de temps au volant, mieux c'est. Aujourd’hui, avec sa pénalité, Seb n'a jamais vraiment été dans la course. Mais après avoir mis les pneus slicks, il a fait des tours très rapides, si vous regardez tour après tour. Donc je pense qu'il est au top, et ça va être de mieux en mieux."

Szafnauer reconnaît aussi que le manque d’essais a affecté tous les pilotes dans de nouvelles écuries. "Oui, il y a un impact. Et je pense que mon plus grand regret est que nous n’ayons pas été aussi fiables que nous aurions dû l’être cet hiver. Seb a perdu beaucoup de temps sur sa journée et demie. Si nous avions eu plus de temps avec Seb dans la voiture, je suis sûr qu’il serait dans une phase différente de sa courbe d’apprentissage."

 

De son côté, le directeur d’écurie de McLaren, Andreas Seidl, acquiesce que le nouveau programme d’essais hivernaux n’a pas aidé Daniel Ricciardo ni les autres pilotes transférés cet hiver. En revanche, il a insisté sur le fait que chacun doit accepter ces circonstances.

"Je ne dirai pas que c'est une surprise", affirmait Seidl dimanche. "Nous savons qu'il n'est pas évident de passer d'une voiture à une autre lorsque vous n'avez qu'un jour et demi d'essais. Je pense qu'il ne sert à rien de se plaindre de cette journée et demie, car c'était un accord entre toutes les équipes afin de n'avoir qu'une seule session cette année pour limiter les coûts."

Mais avec les nouvelles monoplaces qui seront introduites en 2022, l’Allemand espère qu’un programme d’essais hivernaux plus classique, et donc plus long, sera réintroduit dès l’hiver prochain. "Il est inutile de trop s'étendre sur le sujet. Nous espérons tous que pour l'année prochaine, nous reviendrons à plus de jours d'essais, surtout en sachant que nous aurons des voitures complètement nouvelles. Donc, de mon point de vue, ou du moins du point de vue de McLaren, il est logique de faire deux tests avec un bon écart entre les deux afin de pouvoir digérer ce que nous avons appris du premier test, et aussi pour pouvoir réagir avec ces toutes nouvelles voitures."

Mais pour Seidl, la période d’adaptation d’un nouveau pilote n’est pas nouvelle, loin de là. "En général, je pense – et c'est aussi quelque chose dont j'ai discuté dans le passé, par exemple, avec Carlos [Sainz], quand il nous a rejoint, et nous avons vu avec d'autres pilotes – que tous ces pilotes sont évidemment très talentueux, ils ont beaucoup d'expérience, ils arrivent à un certain rythme très, très rapidement, et ils sont là tout de suite. Mais ces voitures sont complexes. Et puis, pour trouver ces deux, trois, quatre derniers dixièmes, qui font aussi la différence quand vous n'êtes pas vraiment à l'aise pour pousser ces voitures à la limite, ce n'est pas si simple à trouver et à sortir. Cela prend du temps. Mais, encore une fois, ce n'est pas une surprise."

Le directeur de l’écurie a même donné une période chiffrée avant que son nouveau pilote soit parfaitement à l’aise dans la voiture. "Cela fait partie du processus d'intégration d'un nouveau pilote. Et je pense qu'avec l'expérience que Daniel a, avec l'expérience que nous avons dans l'équipe, c'est juste une question de trois week-ends de course supplémentaires, et alors je suis sûr que Daniel sera pleinement à l'aise dans notre voiture."

Daniel Ricciardo lui-même a fait remarquer que le resserrement du peloton permet de mettre en lumière les écarts entre coéquipiers. "Chaque dixième compte, mais cette année encore plus", analysait l’Australien. "Vous ne pouvez pas vous retrouver à quelques dixièmes du rythme nécessaire, sinon vous êtes éliminés en Q2, ou alors il s’agit de la différence entre un top 3 et un top 8. Donc sur ce circuit, il y a plus de risques.  Vous avez certainement besoin d'être à l'aise avec la voiture, à la limite, et d'avoir cette confiance, et cela m'a certainement pris plus de temps ce week-end qu'à Bahreïn. Je suppose que Pérez a compris un peu plus de choses que nous autres, mais de manière générale, j'aurais évidemment aimé être plus rapide. Je pense que j'ai fait de bons progrès, mais c'était une progression plus régulière ce week-end. C'est probablement dû à la nature de la piste et au niveau, à la compétitivité de chacun en ce moment."

Comme l'a fait remarquer Seidl, Sainz a de l'expérience quand il s’agit de changer d’écurie. Arrivé en Formule 1 en 2015, l’Espagnol est déjà passé par Toro Rosso, Renault, McLaren et, aujourd’hui, Ferrari. Le Madrilène doit désormais faire face à Charles Leclerc, présent à Maranello depuis trois ans et au top de sa forme avec deux premiers Grands Prix solides. Jusque là, Sainz n’a pas réussi à battre le Monégasque sur un tour.

 

"Je sais que c’est un expert en qualifications", acceptait Sainz après s’être classé sept positions derrière son coéquipier à Imola. "Et particulièrement dans la Ferrari, il semble être vraiment à l'aise et savoir exactement ce qu'il faut attendre de la voiture quand il s'agit de la Q2 et des conditions d'adhérence élevées en Q3, et c'est un expert, c'est un très, très bon pilote."

Cependant, Sainz ne s’avoue pas vaincu. "Mais en même temps, s'il y a quelque chose que j'ai vu pendant ces deux premières courses, c'est que je ne suis pas plus lent que lui dans aucun virage", analysait l’Espagnol. "Donc je sais que si j'enchaîne les tours, je peux être au niveau. Il s'agit maintenant de se concentrer sur la façon d'enchaîner les tours, sur ce qu'il fait et sur ce que je peux faire pour m'améliorer dans ce domaine. Ou peut-être que j'ai juste besoin d'un peu plus de temps et d'expérience. Nous verrons bien, mais ce que je vois sur les données m'encourage, et il ne s'agit que d'une question de temps."

Après le week-end de course à Imola, Sainz a donné une première explication intéressante quant à son rythme moins soutenu que celui de son coéquipier. "Aujourd’hui, il s’agissait peut-être de ma prise de vibreurs, comment la voiture réagit dessus selon l’angle d’attaque. Et j’ai été surpris à plusieurs reprises dans toutes ces chicanes, peut-être en prenant les vibreurs avec un angle différent, ce qui m’a fait perdre des places."

"Ici, il y a de très longues lignes droites après ces vibreurs et il me manquait un ou deux dixièmes dans la ligne droite suivante à cause de ça", expliquait Sainz. "En fait, c'est de ça dont je parle, juste savoir comment la voiture va réagir à tel ou tel angle, et être super précis sur l'angle d'attaque pour être prêt dans la ligne droite suivante. Je ne vais pas perdre ces dix secondes et demie que je viens de gagner. Je veux dire qu'il y a encore un peu d'analyse à faire, mais je suis presque sûr de l'endroit où se trouve ce temps au tour, et de la façon dont il peut être récupéré."

Comme Alonso l’a mentionné, la course folle d’Imola, dans des conditions très changeantes, a probablement accéléré la courbe de progression des pilotes transférés cet hiver. Des progrès seront sans aucun doute visibles à Portimão et à Barcelone, afin que tout soit en place pour le Grand Prix de Monaco, là où la confiance est maître et où la marge d’erreur est pratiquement inexistante. Il sera passionnant de voir où ces pilotes se situeront par rapport à leurs coéquipiers dans les rues étroites de la principauté.

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