Interview

Dans l'ombre de Villeneuve, les milliers de kilomètres de Lemarié

Motorsport.com publie un entretien avec Patrick Lemarié, pilote essayeur de l'écurie BAR il y a vingt ans. L'occasion d'en apprendre davantage sur le rôle de l'ombre qu'avait occupé le pilote français à l'époque.

Patrick Lemarié, BAR Honda 003

Patrick Lemarié, BAR Honda 003

Russell Batchelor / Motorsport Images

Ne le cachons pas, la période inhabituelle que traversent les sports mécaniques nous oblige à adapter le contenu que nous sommes amenés à vous proposer. Par ce biais, il permet également d'exhumer de longs entretiens qui n'avaient pas encore été publiés. C'est le cas de cet échange, qui remonte à avril 2013 dans le paddock du circuit Bugatti, au Mans. À l'époque, Jacques Villeneuve venait s'essayer aux joutes du GT français à bord d'une Ferrari… Pour l'accompagner, un ami de toujours, une relation de confiance : Patrick Lemarié. Celui-là même avec qui le Champion du monde de F1 1997 a mis sur pied le volant Feed Racing l'an dernier.

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Champion de France de karting à la fin des années 80, finaliste du volant Elf, le pilote français a multiplié les expériences en Endurance, y compris aux 24 Heures du Mans ou encore en Champ Car et dans d'autres catégories de monoplace. Au milieu de tout ça ? Il a tutoyé ses rêves de Formule 1, entre 1998 et 2002, au sein d'une écurie Tyrrell devenue British American Racing dès 1999. Son rôle méconnu, tantôt ingrat tantôt oublié, il l'a tenu dans l'ombre de Villeneuve, avec une étiquette parfois difficile à décoller. Voici son témoignage.

"Quand Craig [Pollock], Jacques et BAT ont racheté Tyrrell fin 1997, il y a eu plusieurs pilotes qui ont été essayés, dont moi", se souvient Patrick Lemarié lorsqu'on l'invite à se remémorer cette période. "J’ai réussi le test à Silverstone, avec beaucoup de pilotes : il y a eu Boullion, Kristensen. J’ai été pris. J’ai signé un contrat année par année. Tout le monde a dit que j’étais protégé par Jacques, ce qui était complètement faux. Les gens qui pensent que l'on peut protéger des pilotes dans une équipe de F1, c’est impossible, sinon j’aurais fait dix ans en tant que titulaire quelque part."

"Je faisais entre 8000 et 10 000 km par an, c'est monstrueux"

Patrick Lemarié à Abbey

"C’était une chance intéressante, le boulot à l’époque était très, très intéressant car j’ai fait beaucoup d’essais. J’ai fait 40 000 km d’essais dans une F1 à l’époque. Je faisais entre 8000 et 10 000 km par an, c’est monstrueux. Il y avait un vrai travail, il ne fallait pas faire semblant. Évidemment, la relation au départ était un peu compliquée car tout le monde pensait que j’étais là grâce à Jacques. L’équipe a mis au moins un an à me faire confiance. C’était assez compliqué à gérer car j’avais un contrat renouvelable chaque année, contrairement à ce que les gens pensaient. Je me suis impliqué dans mon travail en espérant avoir l’opportunité d’avoir autre chose, mais ça n’est jamais venu."  

"Je ne regrette pas vraiment, car le boulot était tellement intéressant que ça a été quatre années passionnantes. Ce qui a fait beaucoup de bien aussi, c’est quand Olivier Panis est arrivé dans l’équipe : Jacques ne disait plus rien sur mon travail puisque s’il disait que c’était bien, les gens estimaient que c’était normal. Ensuite, Olivier est venu et lui a tout de suite dit à tout le monde que je faisais un boulot génial, ce qui m’a fait du bien. Ce n'est pas pour ça que j’ai trouvé une place de titulaire, car la F1, c’est extrêmement compliqué."

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Les opportunités de débuter en Grand Prix, Patrick Lemarié les a touchées du doigt. Elles ont parfois été évoquées mais ne se sont finalement jamais concrétisées. "Il y a eu plein de discussions", révèle-t-il. "Déjà, la deuxième course en 1999, quand Zonta s’est cassé le pied. J’ai fait un test contre Mika Salo à Jerez, on a fait le même chrono et ils ont pris Mika. On ne saura jamais pourquoi… Le principal c’est la performance, Mika n’a pas fait un super boulot après chez nous, et à chaque fois que l'on a roulé en essais, j’étais plus rapide que lui. Une fois que la chance passe, il n’y en a pas beaucoup en F1. Celle-là est passée et elle ne s’est pas faite."

"Après, il y a eu des discussions, mais quand ça fait 15 ans que chaque année tu rames pour trouver des sponsors, que tu as enfin la reconnaissance, que tu es enfin rémunéré pour ton travail, il y a aussi une certaine lassitude. Il aurait fallu qu’à ce moment-là je me remette encore à la recherche de budget pour essayer d’aller chez Jordan ou un autre. C’était très près de le faire avec Minardi, parce qu’ils n’avaient pas beaucoup d’argent pour faire des essais et moi j’en faisais beaucoup chez BAR, donc il y avait un compromis intéressant à pouvoir faire tous les essais chez BAR et les courses chez eux, mais ça ne s’est jamais fait : c’était d’accord et puis au moment de signer, ils voulaient que j’amène de l’argent. Six mois après, ça recommençait…"

"Finalement, c'est génial ce que j'ai vécu"

Il ne faut pas s'y tromper, lorsqu'il évoquait cette période il y a sept ans, ce n'étaient pas les regrets qui prenaient l'emprise sur la discussion, au contraire. "À part pouvoir dire que oui, je n’ai pas fait un Grand Prix, les quatre ans de travail ont été fantastiques", insiste le natif de Paris. "C’étaient des années fantastiques car on faisait toute l’évolution des pièces, c’est moi qui validais les pièces : que ce soit Jacques ou Olivier, ils ne vérifiaient même pas. On faisait les nouveaux ailerons, on allait dans la même direction, on avait un réglage assez proche Olivier, Jacques et moi, donc on a super bien bossé."

Olivier Panis, BAR Honda BAR003, Jacques Villeneuve et Patrick Lemarié

"Il y a eu plein de pilotes d’essais qui sont venus, des Manning, des Davidson, etc. Ils n’ont jamais réussi à me déboulonner, mais je me suis vraiment plongé dans mon travail. Je ne faisais pas des essais pour essayer d’avoir autre chose, je me suis vraiment impliqué dans l’équipe pour donner le mieux que je pouvais. C’est un travail dans l’ombre, mais qui était passionnant. C’est sûr que ça m’a sûrement coûté des points pour ma carrière, car quand tu roules pour faire du boulot pour l’équipe, avec de l’essence, tu roules à trois secondes des temps. Sur le papier, quand tu regardes les temps comme ça, la visibilité n’est pas géniale. Le travail à l’intérieur de l’équipe était top, mais de l’extérieur ça ne ressortait pas forcément."

"Si on connaît un peu Jacques, c’est vraiment celui qui ne protégera jamais personne. Mais c’est un peu l’état d’esprit des gens. Olivier non plus. Je roulais la journée avant lui, il avait son programme de pneus, il montait dans la voiture, il faisait cinq tours, il disait : 'On commence le programme de pneus', et il ne touchait même pas un réglage. La voiture était parfaite. Je suis arrivé un peu tard aussi, j’avais 29 ans. La F1 c’est différent, ce n’est plus le talent, c’est de la politique, des opportunités. Un Français de 29 ans ça n’intéresse pas beaucoup d’équipes. La performance pure passe quand même en retrait. Je n’avais rien à envier à personne. Après le personnage Patrick Lemarié en lui-même, il y avait sûrement plus intéressant aussi, il faut l’admettre. Il faut arriver à relativiser et se dire que finalement, c’est génial ce que j’ai vécu."

En fin de compte, la plus grosse frustration est née au terme de l'histoire, après le départ de Craig Pollock puis la prise en main de l'écurie par David Richards puis Honda. "Le problème de David, c’est qu’au lieu de vouloir prendre le positif de ce qui avait été fait, il a essayé de casser ce qui a été fait", regrette Patrick Lemarié. "Donc ça a été la guerre avec Jacques. Moi, il ne voulait même pas que je roule, parce que je faisais partie du début de l’aventure, alors c’est Honda qui m’a prolongé le contrat pour la dernière année car ils voulaient que je travaille avec eux : ils ne faisaient pas de politique et voyaient la performance. La dernière année, 2002, c’est vraiment Honda qui a tout fait pour que je reste. Mais l’ambiance était un peu compliquée… David était pro-Davidson, il voulait le mettre en avant, il le faisait rouler sans essence, tout était un peu faussé."

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