Dans les coulisses de la diffusion TV des Grands Prix de F1
Il s'écoule environ six secondes entre le moment où les caméras de la Formule 1 immortalisent Max Verstappen couper la ligne pour réaliser une pole position et le moment où ces images atteignent un écran à plusieurs continents de distance. Récit d'un exploit audiovisuel qui se déroule sur dix jours, à chaque Grand Prix.
Bien avant que les publications flanquées de l'incontournable formule "race week" n'inondent les réseaux sociaux, une équipe de construction arrive sur site pour monter la tente du Centre Technique en vue du Grand Prix de F1 à venir. Cinq jours sont nécessaires pour installer ce siège temporaire de 375 m² mais une fois prêt, il transmet 500 téraoctets de données par course... soit 50 fois ce qu'envoie le télescope spatial Hubble en un an !
À neuf jours du week-end, quelque 58 km de câbles sont posés sur le circuit et 38 antennes sont installées pour préparer la transmission de 120 vidéos simultanées de la piste vers les écrans. Quatre jours plus tard, 28 caméras ultra haute définition sont déballées pour être installées sur les barrières et les vibreurs, 147 microphones sont placés et 30 boucles de chronométrage installées autour du circuit.
Le résultat est le flux mondial de la F1 : cela couvre chaque angle de vue de chaque incident majeur, chaque pression sur la palette de changement de vitesse correspondant au son du moteur, avec l'embarras du choix en ce qui concerne les données de chronométrage et les graphiques.
1,5 milliard de téléviseurs alimentées depuis Londres
Compte tenu de l'ampleur de l'opération nécessaire pour répondre aux besoins de 74 diffuseurs mondiaux, une équipe de production TV de 130 personnes est envoyée sur place à chaque Grand Prix. Elle est assistée à distance par 170 autres personnes, qui travaillent dans le Centre des Médias et de la Technologie rénové, situé au sein du célèbre QG de Biggin Hill (Grand Londres), où se fait la compilation des images pour réaliser le flux retransmis chez vous depuis la saison 2020, afin de réduire le personnel devant se déplacer. La F1 ayant regroupé ses activités britanniques majeures dans la capitale, le Centre répond désormais aux besoins d'une audience mondiale de 1,5 milliard de téléspectateurs.
La pièce maîtresse de Biggin Hill est la salle principale de la galerie TV, flambant neuve pour la saison 2023, équipée de 415 moniteurs multi-vues pour fournir pléthore d'informations. Les ouvriers se sont mis au travail à 6 heures du matin le lundi suivant le GP d'Abu Dhabi 2022 et les travaux se sont achevés à la veille de la manche d'ouverture de la saison 2023, à Bahreïn.
La production de Biggin Hill
Au cours d'un week-end de Grand Prix, les personnes travaillant dans la galerie TV doivent gérer jusqu'à 60 voix s'exprimant en simultané pour s'assurer que les émissions d'avant et d'après-course, ainsi que les retransmissions en direct des différents diffuseurs, se déroulent dans les meilleures conditions possibles. La douce voix de Dean Locke, qui a rejoint l'équipe en 1997 et occupe le poste de directeur de la diffusion et des médias depuis cinq ans, leur est familière.
Les principaux réalisateurs ont la même expérience. Cela leur permet d'identifier le bon moment pour passer à un plan large, plus discret, lors d'un accident et pour diffuser des ralentis lorsque toutes les personnes impliquées sont hors de danger, comme ce fut le cas pour le crash de Romain Grosjean, à Bahreïn en 2020, et le tonneau de Zhou Guanyu, à Silverstone en 2022.
Le personnel de Biggin Hill compose avec un décalage de 180 à 250 millisecondes par rapport à ce que chaque caméraman enregistre à chaque virage. La latence passe à 1,5 seconde pour les fans présents sur le circuit et qui observent les écrans géants. Pour ceux dans leur salon, les images ont six ou sept secondes de retard sur le réel.
Graphiques TV
Locke compare la retransmission des événements pendant la course au suivi de "20 ballons sur un très grand terrain, chacun faisant son truc, contrairement au football, où il n'y a qu'un seul ballon sur un petit terrain".
Le flux mondial peut également s'appuyer sur certaines des 15 à 20 incrustations graphiques, comme l'indicateur de vitesse, le compte-tours et les relevés projetés sur le Halo. Ces éléments sont pris en charge par les 60 points de données transmis du circuit à Biggin Hill toutes les secondes.
C'est cette mine d'informations qui soutient également la télémétrie cryptée fournie à chaque équipe car il serait inefficace pour chacune d'entre elles d'installer ses propres enregistreurs de données. Les données relatives aux performances des voitures qui soutiennent le flux TV sont également rendues accessibles à la FIA.
Le centre de production de la F1 à Biggin Hill
Si les concurrents et l'instance dirigeante s'appuient sur cette masse de données, les responsables du centre technologique à distance doivent la moduler quelque peu pour répondre aux besoins d'un public mêlant différentes tranches d'âge et différents niveaux d'expertise en F1, sous peine de se mettre à dos certains téléspectateurs.
Cette flexibilité est mise en évidence par la manière dont le flux mondial est adapté à chaque région. Des panneaux publicitaires peuvent être personnalisés grâce à la réalité augmentée. Cela signifie que les sponsors projetés numériquement sur une zone de dégagement seront différents au Royaume-Uni par rapport au Moyen-Orient. Pour la F1, cela permet de satisfaire un plus grand nombre de partenaires commerciaux, en plus d'éviter d'avoir à transporter des panneaux publicitaires supplémentaires.
Radio
Les images ne racontent qu'une partie de l'histoire. À côté de la galerie de Biggin Hill se trouve la salle des radios d'équipe. Ici, les employés doivent également faire face à un immense bavardage en interceptant les 20 conversations simultanées entre les pilotes et leurs ingénieurs.
Le flux n'est absolument pas filtré, il comporte son lot de langage fleuri et tout le reste. Lors de la sélection des séquences à diffuser, l'équipe transcrit manuellement (lorsqu'elle ne veut pas interrompre les commentateurs) et surligne les meilleurs passages.
La production de Biggin Hill
Il existe des exceptions, qu'il s'agisse d'attendre que les échauffourées du premier tour ou qu'un ralenti se terminent, mais la règle est que les messages radio doivent "dire la vérité" et être diffusés dans un délai d'un tour. Cela protège Biggin Hill de toute accusation selon laquelle des communications auraient pu être sorties de leur contexte. Il ne s'agit pas d'alimenter une histoire qui n'existerait pas.
Mais cela n'empêche pas le centre d'intervenir d'une manière ou d'une autre. Si un pilote se plaint et jure trop au point de devenir répétitif et geignard, ou si ses paroles peuvent avoir des retombées politiques, la communication est alors tenue à l'écart des ondes.
Cameras embarquées
À l'arrière du centre de Biggin Hill se trouve l'atelier dans lequel les caméras embarquées sont conçues et entretenues. Sur les 20 voitures, 90 caméras sont installées et jusqu'à 24 peuvent être activées simultanément pour retransmettre parfaitement une bataille en piste.
La vidéo est encodée et horodatée afin d'être parfaitement synchronisée avec le flux audio correspondant capturé par deux micros directionnels. L'un d'entre eux est placé à l'extérieur, à côté de l'échappement, afin d'amplifier le son produit par un moteur V6 hybride 1,6 litre turbo plus silencieux que son prédécesseur.
Chaque voiture peut être équipée d'un maximum de cinq caméras pour un poids total de 1,7 kg. Bien que ce poids soit égal pour toutes les machines, les équipes sont réticentes à accepter beaucoup plus d'angles de vue étant donné que tout kit supplémentaire pourrait avoir un impact sur la répartition du poids et l'écoulement de l'air.
Une caméra embarquée sur le nez de la Ferrari de Carlos Sainz
Les positions privilégiées comprennent une caméra orientée vers l'avant et vers l'arrière sur l'arceau de sécurité et une autre montée sur le Halo, qui filme le casque du pilote dans une discipline où les principales vedettes sont le plus souvent cachées par leur nid de fibre de carbone. Une caméra sur le côté du nez ou du châssis crée une meilleure sensation de vitesse. Le Safety Car principal et le modèle de réserve sont également équipés de caméras.
À l'heure actuelle, et comme c'est le cas depuis les premiers essais de prises de vue embarquées, en 1989, cette technologie est principalement conçue en interne. Les exigences uniques de la F1 signifient que les ingénieurs ne peuvent pas s'appuyer sur des composants standard. Le championnat cherche à adopter davantage de technologies externes et, en attendant, il existe une relation étroite et de nombreux transferts de technologie avec le MotoGP et la NASCAR.
Quel avenir pour la retransmission F1 ?
Au cours des quatre courses qui ont précédé la pause estivale 2023, trois nouvelles caméras ont été testées. L'amélioration de la diffusion TV est constante. Et pour l'avenir à court et moyen terme de la production de la F1, il semble que cette approche évolutive continue, plutôt que révolutionnaire, restera à l'ordre du jour.
Tout d'abord, la F1 commence à songer au passage à une résolution 8K, comme ce fut le cas lors des Jeux olympiques de Tokyo, mais n'a pas encore fixé d'échéance pour cette transition. La discipline est passée à la 4K en 2017 et la contrepartie des données supplémentaires requises pour une image plus nette est une latence supérieure, mais Tata Communications, partenaire de la F1, travaille justement pour la réduire.
Quelle que soit la définition des caméras, il est prévu que les opérateurs restent humains. Malgré les progrès de l'intelligence artificielle, Locke est convaincu que ses collègues peuvent filmer de meilleures images et faire preuve d'un plus grand discernement lorsqu'il s'agit de réagir instinctivement aux incidents et aux crashs survenus dans le premier tour. Sans compter qu'en cas de besoin, il est plus facile de leur demander de sortir un chiffon et de nettoyer un objectif sale... Contrairement à la Ligue des champions ou à Wimbledon, qui font appel à une équipe tournante d'indépendants, la F1 s'appuie sur des cameramen à temps plein qui s'engagent pour 18 courses par saison.
Un spectacle de drones avant le départ du GP d'Arabie saoudite
Le scepticisme règne également quant à l'intégration des drones dans le dispositif TV. Les F1 sont trop rapides pour ces machines qui sont souvent limitées à 120 km/h. L'autonomie des batteries est également trop faible et il n'est guère pratique d'imaginer qu'un briefing de sécurité soit donné à chaque tribune survolée. De plus, la F1 est le sport le plus encombré en matière de transmission de multiples fréquences radio dans un espace restreint.
À de rares exceptions, les drones sont donc réservés aux jeux de lumière comme on peut en voir après la course en Arabie saoudite, avant d'être progressivement intégrés à la parade des pilotes, le tour de formation et peut-être même aux escarmouches dans la voie des stands.
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