Stefan Bellof, star fauchée en plein envol

Stefan Bellof fait partie des espoirs déchus de la Formule 1, l'un de ceux qui auraient pu accomplir des exploits si la vie n'en avait pas décidé autrement. Un accident mortel a tout brisé il y a 36 ans, le 1er septembre 1985.

Stefan Bellof, Tyrrell 012 Ford

Photo de: Sutton Motorsport Images

Parmi les fans qui ont assisté à la manche d'ouverture du championnat d'Europe de Formule 2 1982 à Silverstone, rares sont ceux qui avaient déjà entendu parler de Stefan Bellof. Les officiels britanniques, eux, connaissaient bien ce nom : quatre mois plus tôt, l'Allemand avait été exclu du Formula Ford Festival à Brands Hatch. Il avait alors déclaré aux officiels en question : "Vous feriez bien de vous intéresser à ma carrière, car je reviendrai l'an prochain pour gagner ma première course en Formule 2."

Bellof a tenu sa promesse et a remporté une victoire surprise pour ses débuts en F2 avec l'écurie allemande Maurer face aux équipes Ralt et Spirit, soutenues par Honda et plus en vogue, et aux March d'usine. Le jeune pilote de 24 ans découvrait Silverstone mais s'est néanmoins qualifié neuvième et a remonté le peloton pour devenir seulement le deuxième à s'imposer pour sa première participation en F2 depuis 18 ans. Deux semaines plus tard, il a réussi l'impensable : deux victoires sur deux possibles, avec un nouveau succès à Hockenheim, cette fois depuis la pole position.

Après ça, l'on ne parlait plus que de Bellof, qui a signé de nouvelles performances éblouissantes en F2 en 1982 et 1983 – toutefois sans gagner. Rejoindre l'écurie d'usine Porsche en Endurance pour 1983 lui a permis de remporter de nombreuses victoires et le titre mondial l'année suivante. Il courait également en Formule 1 chez Tyrrell en 1984 et a failli remporter ce qui n'était que son sixième Grand Prix, lequel a été écourté, à Monaco.

Un contrat avec Marlboro était à la clé pour 1985, et il a continué à surpasser le niveau de son matériel au volant de sa Tyrrell à moteur atmosphérique. Une rencontre avec Enzo Ferrari était prévue. Sa carrière était sur une pente ascendante et rien ne semblait pouvoir l'arrêter.

Stefan Bellof, Tyrrell 012 Ford

Puis un accident lui a coûté la vie en Endurance à Spa-Francorchamps, beaucoup estimant alors la F1 privée d'un futur Champion du monde au talent phénoménal. Manfred Jankte, qui était responsable compétition chez Porsche et a recruté Bellof pour la marque de Stuttgart, en fait partie : "Si Stefan avait fini sa carrière, nous aurions connu le miracle Schumi en Allemagne bien avant qu'il ne se produise enfin. Il avait un tel talent ! Pour lui, cela paraissait facile. J'ai peu de doutes sur le fait qu'il aurait été Champion du monde."

C'est grâce à l'aide de gens tels que Jankte que Bellof est passé de la Formule Ford à la Formule 1 en l'espace de quatre saisons. Les directeurs d'équipe, les sponsors, les journalistes, les instances dirigeantes… fascinés par son talent et sa personnalité attachante, tous étaient prêts à l'aider, convaincus qu'il était destiné à un avenir brillant. Le jeune Bellof avait la course dans le sang (son père courait en rallye et son grand frère Georg est monté jusqu'au niveau F3 en Allemagne), mais il n'avait pas l'argent nécessaire.

Le premier à avoir soutenu Bellof est l'Autrichien Walter Lechner, qui venait de se lancer dans une carrière de directeur d'équipe. "Un ami m'avait dit : 'Il y a ce vrai talent que je connais, tu devrais lui donner une chance'", se rappelle Lechner. "Nous avons trouvé un peu d'argent partout. Une partie du budget venait du père de Stefan, et Valvoline nous sponsorisait. Je lui ai fait faire une course à Hockenheim fin 1979 et son talent ne faisait aucun doute. Stefan est le premier Allemand à être vraiment sorti du karting, et cela se voyait dans son pilotage."

Stefan Bellof, Tyrrell 012-Ford

Bellof a remporté le titre d'Allemagne en FF1600 au volant d'une PRS engagée par Lechner en 1980, tout en continuant le karting et en poursuivant sa formation de mécanicien. Ce n'est pas avant 1981, explique Lechner, qu'il "s'est vraiment concentré sur le sport auto". Et c'est lors de cette saison-là que sa carrière a décollé. Il y a eu la victoire dans la catégorie "internationale" du championnat allemand de FF1600 avec Lechner, qui a décidé de placer son jeune espoir dans quelques courses européennes de SuperVee. Il a notamment signé une deuxième place à Mainz-Finthen derrière John Nielsen, héros du SuperVee.

C'est Lechner qui raconte l'histoire du Formula Ford Festival, et il jure qu'elle est authentique. Bellof venait d'être disqualifié de sa sixième place en quarts de finale pour s'être accroché avec plusieurs rivaux lorsqu'il a demandé à son patron de communiquer sa pensée. "Stefan était tellement déçu", relate Lechner. "Il ne parlait pas anglais à l'époque, il m'a donc demandé de faire passer son message au directeur de course."

C'est ensuite un autre pilier du sport auto allemand qui l'a aidé, à savoir Bertram Schafer, qui avait déjà eu le frère de Stefan, Georg, pour pilote en 1979. "Georg m'a toujours dit qu'il avait un petit frère qui était bien meilleur que lui", confie Schafer. "Nous avons fait une séance d'essais et j'ai su d'emblée que Stefan était le pilote ultime. Le seul problème était de trouver l'argent nécessaire pour le faire rouler."

Célèbre journaliste allemand de sport automobile, Rainer Braun – qui travaillait officieusement avec Bellof – a convaincu le pilote Georg Loos d'investir financièrement dans ce projet. Schafer reconnaît qu'il n'était pas "satisfait de l'accord", mais en même temps, "il n'y avait pas d'autre moyen de mettre Stefan en piste". Schafer estime que l'opération s'est avérée déficitaire, mais selon lui, cela valait le coup. Bellof s'est imposé trois fois en neuf courses au volant de sa Ralt-Toyota RT3 et s'est classé troisième du championnat grâce à ses sept podiums, alors qu'il a manqué deux épreuves.

Stefan Bellof, Tyrrell

L'altruisme de Schafer ne s'est pas arrêté là. Il aurait pu tenter de mener son poulain en F2, mais savait ne pas avoir les ressources pour faire honneur au talent de Bellof. C'est pourquoi il l'a mis en lien avec l'écurie de F2 à laquelle il avait déjà commandé deux châssis pour la saison suivante. Maurer Racing était le jouet de Willy Maurer, héritier de l'entreprise de boissons Mampe. Après avoir remporté ses premières victoires en 1981, cette belle voiture conçue par Gustav Brunner semblait destinée à jouer le titre. "J'avais besoin de pilotes payants et savais ne pas pouvoir prendre Stefan l'année suivante", se souvient Schafer. "J'ai dit à Maurer qu'il ferait mieux de l'engager avant que quelqu'un d'autre ne le fasse."

Maurer a testé Bellof fin 1981 au Paul Ricard, en présence de l'expérimenté Mike Thackwell – déjà pilote de F1, ne l'oublions pas – et d'Alain Ferté, vainqueur à Monaco en Formule 3. Pilote Maurer sortant, Eje Elgh était également au rendez-vous et a été époustouflé par la performance de Bellof. "Quand j'ai vu ce que faisait Stefan dans cette voiture… de toute ma vie, je n'ai jamais eu de certitude comme celle-ci : je suis allé voir Maurer direct et je lui ai dit de le faire signer. Je lui ai dit que Bellof était un futur Champion du monde", relate le Suédois.

Jankte, lui aussi, a vécu une révélation la première fois qu'il a vu Bellof courir. Braun aidait encore ce dernier (qui avait pourtant signé un contrat de management avec Maurer sur huit ans) et avait donc invité le dirigeant de Porsche à la course de F2 au Nürburgring. Jankte raconte : "Je me rappelle l'avoir vu sur l'ancien Nürburgring sous la pluie, et il n'y avait pas besoin de chronomètre pour voir qu'il était rapide."

Bellof était doué d'une maîtrise innée de son bolide, qui était visible chaque fois qu'il prenait le volant, autant dans une Porsche Groupe C de 800 ch qu'avec une Tyrrell 012 manquant quelque peu de puissance. Il a signé la pole position à Silverstone pour ses débuts à bord de sa Rothmans Porsche 956 avec deux secondes d'avance, excusez du peu. Il a également remporté la course avec son coéquipier, le vétéran Derek Bell. Au rendez-vous suivant, sur la Nordschleife du Nürburgring, il a réalisé une nouvelle pole, cette fois avec cinq secondes de marge.

Stefan Bellof, Thierry Boutsen, Porsche 956

Les opportunités de briller en F1 se sont avérées rares, mais sous la pluie et en ville, Bellof était dans son élément. Ces conditions étaient réunies à Monaco en 1984, et l'Allemand est remonté de la 20e et dernière place sur la grille à la troisième place, lorsque la course a été interrompue. Nul ne sait ce qu'il aurait pu advenir ensuite. Même Brian Lisles, qui était l'ingénieur de Bellof chez Tyrrell, n'ose pas dire qu'il allait gagner. Cependant : "Il n'y avait pas la moindre trace sur la voiture après la course."

C'étaient les performances de celui que Paul Owens, directeur d'équipe chez Maurer, qualifiait de "pilote très doué". Schafer, lui, voyait en lui un "immense talent naturel". Owens raconte justement une anecdote des débuts de Bellof à Thruxton en 1982 qui en dit long sur les capacités de l'intéressé au volant : "Je n'oublierai jamais lui avoir de faire attention à Church à cause de la grosse bosse. Stefan est rentré au stand et m'a dit : 'Quelle bosse ?'. Il aimait que la voiture soit vive. Il avait toujours des réglages moins souples que les autres, ce qui convenait à l'effet de sol. Il était capable de faire avec, au contraire des autres pilotes."

Tous ceux qui ont travaillé avec Bellof s'accordent à dire que le plaisir du pilotage lui importait davantage que la victoire. "Il était différent des autres pilotes", confirme Schafer. "Gagner ou se crasher, Stefan s'en moquait. L'important, c'était d'aller vite." Norbert Singer, célèbre ingénieur en chef de Porsche, estime que Bellof "aimait piloter un peu au-dessus de la limite".

Derek Bell, quant à lui, partageait une Porsche avec l'Allemand au Nürburgring en 1983, et ils étaient aisément en tête de l'épreuve, mais Bellof continuait d'enchaîner les tours de l'Enfer Vert à une vitesse record. Deux boucles après avoir signé le meilleur tour en course, il a connu un spectaculaire accident au célèbre virage de Pflantzgarten.

Accident pour Derek Bell, Stefan Bellof, Porsche 956

Singer est convaincu que son pilote était alors légèrement sorti de la trajectoire, mais un an plus tard, Bellof a dévoilé sa propre version des faits. "Il nous a dit qu'il allait de plus en plus vite et que tous les ingénieurs lui disaient qu'il ne fallait pas qu'il passe à fond dans la montée", se rappelle Lisles. "Il a fini par le faire, et a promptement décollé." Ce crash, puis son accident fatal au volant d'une Porsche privée engagée par Brun Motorsport à Spa-Francorchamps, suite à un accrochage avec Jacky Ickx à l'entrée d'Eau Rouge, ont donné à Bellof une réputation posthume de pilote trop agressif. Les témoignages de ses collègues ne corroborent pourtant pas cette analyse.

"Je ne me rappelle pas avoir jamais dû réparer une voiture accidentée par Stefan", indique Owens. "Il attaquait, absolument, et il était le premier à tenter de prendre un virage à fond s'il pensait que c'était peut-être possible, mais il n'avait pas de tendance à se crasher." Coéquipier de Bellof en Formule 1, Martin Brundle confirme : "N'est-ce pas moi qui détruisais des Tyrrell en permanence ?" Brundle qualifie son ancien partenaire d'"extrêmement rapide, mais pour convertir ça en véritable succès, il allait devoir bien mieux maîtriser son pilotage".

L'Anglais relate une anecdote de la course de Detroit en 1984, où il a fini deuxième (avant de subir l'exclusion des Tyrrell). "Ken [Tyrrell] était convaincu que Stefan était plus rapide que moi. À l'époque, il n'y avait pas la radio, et nous avions un système selon lequel si l'un de nous pensait être plus rapide que l'autre, il levait la main en passant devant le muret des stands. J'ai vu la main de Stefan en l'air, alors que j'étais juste derrière plein de voitures turbo. Ken était tellement convaincu que Stefan était plus rapide qu'il m'a fait rentrer au stand pour chausser des pneus neufs. Au tour suivant, tentant sans doute de prouver qu'il était plus rapide, Stefan s'est mis dans le mur des stands."

"Bellof aurait dû s'associer à un personnage tel que Ross Brawn, comme l'a fait Schumacher, pour avoir un véritable succès. Il avait la vitesse pure, mais il lui fallait démontrer constamment le contrôle dont il a fait preuve ce jour-là à Monaco."

Stefan Bellof, Tyrrell 012-Ford

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