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L'ultime exploit du dernier petit poucet de la F1

La Formule 1 regorge d'histoires où de petites équipes se sont surpassées avec des moyens limités. Manor en fait partie. Avant de mourir dans l'anonymat début 2017, l'équipe a prouvé qu'il n'était pas nécessaire de dépenser des sommes folles pour marquer des points.

Pascal Wehrlein, Manor Racing MRT05

Pascal Wehrlein, Manor Racing MRT05

Glenn Dunbar / Motorsport Images

Alors que la lutte entre Lewis Hamilton et Max Verstappen a monopolisé toute l'attention en 2021 et que c'est celle entre Ferrari et Red Bull qui est au centre des débats en 2022, la bataille dans le ventre mou et en queue de peloton n'en est pas moins palpitante et les exploits récents ont été nombreux. Par exemple, George Russell avait profité des conditions pluvieuses en Belgique pour, dans un premier temps, hisser sa rétive Williams en première ligne puis, dans un second temps, monter sur son premier podium en F1 lorsque la course a été déclarée terminée après deux petits tours sous Safety Car.

Mais même si la Williams FW43B était une mauvaise voiture, l'écurie fondée par Frank Williams ne pourra jamais être considérée comme un "petit poucet" en raison des succès du passé. En réalité, Manor est la dernière écurie de ce genre à avoir créé l'exploit. Après le sauvetage du projet Virgin/Marussia mené par Stephen Fitzpatrick en 2014, Manor a tout simplement essayé de survivre lors de la saison suivante, fermement scotché aux deux dernières places de la grille.

Cependant, il y avait des raisons d'être optimiste pour 2016. Le nom Marussia avait disparu, tout comme le châssis obsolète et les unités de puissance Ferrari. Un accord avec Mercedes a été passé, permettant ainsi à Pascal Wehrlein, champion en DTM, de rejoindre l'équipe britannique. En outre, Nikolas Tombazis et Pat Fry sont venus renforcer le département technique.

Les promesses de l'hiver se sont rapidement matérialisées puisqu'à Bahreïn, deuxième manche de l'année, Wehrlein a signé le 16e meilleur temps des qualifications et a manqué de peu la Q2. Très vite, l'Allemand s'est mis à boxer dans la catégorie du dessus en se mêlant à la lutte avec les pilotes Sauber, Felipe Nasr et Marcus Ericsson.

Pascal Wehrlein

Pascal Wehrlein

Au Grand Prix d'Autriche, neuvième rendez-vous de l'année, ni Sauber ni Manor n'avaient encore ouvert leur compteur de points, ainsi relégués aux deux dernières places du championnat constructeurs. Si la lutte au championnat pour les équipes les plus modestes est encore importante aujourd'hui pour des questions d'argent, il était vital pour Manor de terminer dans le top 10 en 2016 car seules les dix premières équipes recevaient un beau chèque de la part de la F1. Et cette sacro-sainte dixième place, c'est Sauber qui l'occupait.

La nature du Red Bull Ring, très rapide, offrait à Manor une vraie chance de se battre pour quelque chose d'un peu plus gratifiant en course. Cela est devenu clair le samedi. Rio Haryanto, dans la Manor au numéro 88, s'est qualifié en 19e position devant les deux Sauber et la Toro Rosso de Daniil Kvyat, tandis que Wehrlein a bouclé la Q1 avec le dixième temps. En Q2, le protégé de Mercedes a prouvé que ce n'était pas un coup de chance puisqu'il a terminé à la 12e place, à un dixième seulement du top 10.

"Je dois être honnête et dire que demain, c'est une histoire différente", avait déclaré Wehrlein après les qualifications. "Nous avons eu des difficultés avec la dégradation des pneus en course et en ce moment, il nous manque un peu d'appui à l'arrière, ce qui est difficile pour les pneus. La météo sera un peu imprévisible [pour la course] alors j'espère que cela va mettre du désordre et nous aider. Mon plan est de boucler chaque tour aussi vite que possible et de voir jusqu'où nous irons."

En pneus ultratendres, Wehrlein s'est maintenu en 12e position au départ et a avancé jusqu'à la sixième lorsque les premiers pilotes ont effectué leur arrêt. Le pilote Manor s'est quant à lui immobilisé au 13e passage mais, en raison d'un undercut puissant, n'est ressorti qu'en 17e position, puis à la dernière lors de son second arrêt, au tour 23.

Lanterne rouge, à un tour des meneurs, Wehrlein voyait un potentiel bon résultat s'envoler sous ses yeux. Mais la course était encore longue et Sebastian Vettel l'a parfaitement illustré avec une spectaculaire crevaison poussant la direction de course à déployer le Safety Car. Cette bouée de sauvetage a été utilisée pour reprendre le tour perdu et recoller au peloton. Désormais en pneus tendres, Wehrlein avait pour mission de les emmener jusqu'à la ligne d'arrivée, ce qui était loin d'être une mince affaire puisqu'il devait pour cela parcourir près de 50 tours.

S'est alors ensuivie une belle remontée. Esteban Gutiérrez, Felipe Nasr et Felipe Massa sont rentrés au stand, Kevin Magnussen, Marcus Ericsson, Jolyon Palmer et Nico Hülkenberg ont abandonné, et Haryanto a été dûment dépassé. Ainsi, à dix tours de l'arrivée, Wehrlein était remonté jusqu'au 12e rang.

Wehrlein avait également doublé Valtteri Bottas au jeu des arrêts mais le Finlandais l'a éliminé au tour 55

Wehrlein avait également doublé Valtteri Bottas au jeu des arrêts, mais le Finlandais l'a éliminé au tour 55

Et la possibilité des points n'a fait que s'accroître lorsque Fernando Alonso, dans le top 10, a dû abandonner et que les pneus de Bottas ont commencé à lâcher. L'Allemand avait le pilote Williams en ligne de mire mais, malheureusement, il a dû lever le pied lorsque les leaders Nico Rosberg et Lewis Hamilton lui ont pris un tour en fin de parcours.

La onzième place semblait alors être le maximum pour Wehrlein jusqu'à la sortie de piste de Sergio Pérez dans l'avant-dernière boucle, conséquence d'une panne de freins. Sur un plateau, l'Allemand a pris la dixième place et, en dépit de la pression exercée par Gutiérrez et de l'arrivée de la pluie, a offert à Manor le deuxième top 10 de son histoire après la neuvième place de Jules Bianchi au Grand Prix de Monaco 2014.

"Je m'étais dit 'la course est finie', parce que nous avons été si malchanceux avant le Safety Car", avait expliqué le pilote à l'arrivée, la course ayant été neutralisée quelques minutes seulement après son second arrêt. "Mais j'ai continué à attaquer et à préserver mes pneus parce que je ne voulais pas m'arrêter à nouveau."

"J'espérais voir un scénario fou lorsque Rosberg et Hamilton sont arrivés dans [la zone de] drapeaux bleus et avoir un avantage grâce à ça. Dans le cas contraire, il aurait été difficile de doubler [Bottas] parce qu'il avait des supertendres vieux de 10 ou 15 tours, et moi des pneus tendres vieux de plus de 40 tours. J'ai quand même pu me battre avec lui, donc les performances de la voiture aujourd'hui ont été superbes. Je ne sais pas d'où c'est venu !"

Grâce aux températures fraîches, Manor n'a connu aucun problème avec ses pneus. Une grande première. L'écurie britannique a sans nul doute reçu un petit coup de pouce du destin puisque cinq pilotes ayant roulé dans le top 10 ce dimanche-là ont abandonné, mais Wehrlein n'a été dépassé que deux fois pendant toute l'épreuve. Très clairement, sa Manor avait un excellent rythme.

Wehrlein fête son premier point en F1

Wehrlein fête son premier point en F1

Le futur semblait radieux pour Manor, toutefois le point du Grand Prix d'Autriche a été le dernier de l'écurie. Au fil de la saison, Sauber progressait et Manor stagnait. Même l'arrivée d'un autre protégé de la marque à l'étoile, Esteban Ocon, pour remplacer le peu fringant Haryanto n'a pas suffi à remettre la structure sur de bons rails.

Le coup de grâce est arrivé au Grand Prix du Brésil, avant-dernière épreuve de l'année. Manor occupait encore la dixième place mais un orage, des accidents et des drapeaux rouges ont redistribué les cartes. Felipe Nasr en a profité pour terminer neuvième tandis qu'Ocon, qui a excellé dans ces conditions, a été éjecté du top 10 à quelques kilomètres de l'arrivée.

Avec les deux précieux points décrochés par Nasr à Interlagos, Manor est retombé à la dernière place du classement des constructeurs et s'est donc retrouvé face à d'énormes dettes. Le 6 janvier 2017, l'équipe a été placée sous administration judiciaire après avoir échoué à trouver les financements nécessaires pendant l'hiver.

"Quand j’ai racheté l’équipe en 2015, le challenge était clair ; il était impératif que l’écurie termine à la dixième place ou mieux en 2016", avait expliqué le propriétaire. "Pendant une grande partie de la saison, nous étions dans la course. Mais la spectaculaire course au Brésil a mis fin à nos espoirs d’obtenir ce résultat et finalement mis en doute la capacité de l’équipe à courir en 2017."

Trois semaines plus tard, l'équipe a confirmé qu'elle avait cessé ses activités après avoir échoué à trouver un repreneur. Une bien triste fin, en particulier après une telle performance en Autriche, où Manor avait prouvé qu'il était possible de se battre avec des concurrents bien mieux lotis.

 

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