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Cette F1 "à la limite de l'indécence" qui pourrait tout changer

L'avantage de Mercedes en Hongrie était tel que la stratégie de Racing Point de copier la Flèche d'Argent a été récompensée, l'écurie trustant la deuxième ligne de la grille de départ. La décision attendue quant à la légalité de ses écopes de freins revêt maintenant une importance bien plus grande.

Lewis Hamilton, Mercedes F1 W11

Lewis Hamilton, Mercedes F1 W11

Steve Etherington / Motorsport Images

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Racing Point espérait que sa "Mercedes rose" soit bonne, mais au fond, l'écurie ne s'attendait pas à ce qu'elle le soit à ce point. Tout le monde, en début d'année, s'attendait à ce que Mercedes, Ferrari et Red Bull Racing soient aux avant-postes et maintiennent leur emprise en jouant dans leur propre cour. Au mieux, on pensait qu'une équipe comme Racing Point ou McLaren serait capable de combler le fossé qui s'est creusé ces dernières années entre les trois équipes de pointe et le reste du peloton. Mais personne n'aurait pu prédire à quel point la RP20 serait rapide. Et certainement pas le fait qu'elle devienne même, sur certains week-ends, la deuxième monoplace du plateau dans la hiérarchie. 

Bien sûr, Racing Point a peut-être bénéficié des difficultés rencontrées par Red Bull et Ferrari, mais l'équipe a accompli des progrès que peu d'autres ont déjà réalisés en si peu de temps. Son meilleur tour en qualifications sur le Hungaroring le week-end dernier était 2"732 plus rapide que l'an passé. Et n'oublions pas que cette année, la réglementation est stable tandis que les pneus sont identiques. Pour Racing Point, ce sont des débuts extrêmement encourageants qui, de son point de vue, confirment que la seule chose ayant freiné l'équipe durant des années était le manque d'argent. 

"Je pense que notre particularité, c'est que nous avons toujours eu des gens talentueux, qui étaient freinés par le manque de liquidités", estime ainsi son directeur, Otmar Szafnauer. "Nous voulions faire ce genre de choses depuis longtemps, mais nous n'avons jamais vraiment eu l'argent pour suivre les meilleures équipes en F1. Si vous vous souvenez, nous étions les premiers à installer un double diffuseur sur notre voiture en 2009, lorsque les trois autres équipes sont arrivées avec. Je pense que nous étions même en avance sur Red Bull. Nous avons toujours eu des gens talentueux qui, d'abord comprennent la course, et deuxièmement comprennent comment développer une voiture, tout en étant attentifs pour suivre ce qui se fait ailleurs et l'adapter chez nous."

Lance Stroll, Racing Point RP20, leads Valtteri Bottas, Mercedes F1 W11 href="https://www.motorsportimages.com" target="_blank" rel="noopener">Motorsport Images

L'incidence de ce qu'a fait Racing Point va bien au-delà des murs de son usine de Silverstone. Sa philosophie est devenue un test grandeur nature pour l'orientation future de la Formule 1 : veut-elle que les dix écuries se battent pour la gloire, ou que seulement quelques-unes travaillent ensemble comme des tribus ? Pour résumer, si copier la meilleure voiture de la grille peut rapporter immédiatement plusieurs secondes au tour, alors pourquoi dépenser des millions d'heures de travail sur une conception sur-mesure qui pourrait ne rapporter que quelques dixièmes ? La tentation du clonage est d'autant plus grande que la F1 se trouve dans une situation où, actuellement, la voiture de référence qu'est la Mercedes est loin devant la concurrence. 

Avec le gel des châssis et le report de la future réglementation à 2022, aucune équipe ne peut adopter dans l'immédiat la même approche que Racing Point, mais il est évident que cela deviendra une piste que toutes devront envisager si la dynamique se poursuit. Le week-end dernier, j'ai demandé à Dave Robson si, dans le cas d'une année normale et non bouleversée par le coronavirus, le niveau de Racing Point aurait forcé les autres écuries à devenir des imitatrices si elles avaient dû concevoir une nouvelle monoplace pour 2021. 

"Je pense qu'il aurait fallu y réfléchir", a répondu le directeur de la performance du véhicule chez Williams"Il est clair que depuis quelques années, la Mercedes est la voiture vedette, même si Red Bull et Ferrari ont parfois excellé sur certains circuits. La Mercedes a un package qui convient partout. Quoi qu'ils fassent, elle est phénoménale, et leur rythme ici [à Budapest] est juste à la limite de l'indécence par rapport au reste du peloton. Quand on constate la dure réalité de tout ça et que l'on voit le chemin qu'a pu prendre Racing Point, il faut y penser sérieusement. S'il y a tant de temps au tour à trouver et que c'est la manière d'y parvenir, je pense qu'il faudrait suivre cette voie."

Où cette ruée vers l'imitation se serait-elle arrêtée ? Toutes les équipes indépendantes auraient-elles été forcées de suivre ce chemin ou de faire face à un recul vers le fond de grille ? Et que serait-il advenu d'un constructeur comme Renault, ou d'un team indépendant à gros budget comme Red Bull ? Auraient-ils été capables de travailler sur leurs propres dossiers ou auraient-ils été contraints de modifier leur modèle économique pour eux aussi faire du clonage ?

Il n'est pas étonnant que le directeur de Red Bull, Christian Horner, concède que la décision que rendra la FIA sur les écopes de freins de Racing Point – déterminant ainsi à quel point deux conceptions peuvent avoir la même origine – est importante pour l'avenir de la F1. "C'est une position philosophique qui doit être clarifiée", a-t-il reconnu. "Car évidemment, il y a beaucoup de copies en ce moment, comme nous l'avons vu avec la Racing Point et la Mercedes. Je pense qu'il faut juste se demander s'il est acceptable d'aller plus loin ou pas. Je crois que c'est essentiel car si c'est le cas, alors je suis certain que les écuries convergeront. Si ça ne l'est pas, alors les équipes devront opérer de manière indépendante. C'est donc en quelque sorte une question globale pour le promoteur et pour la FIA."

Otmar Szafnauer, Team Principal and CEO, Racing Point  Sergio Perez, Racing Point href="https://www.motorsportimages.com" target="_blank" rel="noopener">Motorsport Images

Copier la concurrence est un jeu qui a sa place en F1 depuis des années. Chacun se rue sur les innovations et les nouvelles idées en étudiant les clichés des autres voitures, pris par des photographes missionnés, afin de comprendre ce que les autres font et dans quelle mesure il est possible d'introduire sa propre version. 

Là où le cas de Racing Point est différent, c'est qu'elle s'appuie sur une coopération entre deux équipes pour être aussi efficace. Il a fallu que Racing Point achète la suspension arrière et la boîte de vitesses (un domaine clé de la performance d'une voiture de nos jours). De plus, en utilisant la même soufflerie que Mercedes, elle a accès aux mêmes chiffres, ordinateurs et retours d'informations que l'écurie d'usine.  La clé pour concevoir une voiture "clone" qui fonctionne n'est pas de comprendre à quoi doivent ressembler les pièces. Il faut comprendre pourquoi les pièces fonctionnent et pourquoi elles ont été créées d'une certaine manière. 

"Copier a toujours fait partie du jeu", souligne Dave Robson. "La difficulté, c'est que ces voitures sont tellement compliquées que c'est vraiment le concept qu'il faut copier. Si vous pouvez prendre toutes ces photos, regarder toutes les vidéos et comprendre comment fonctionne la Mercedes, alors vous pouvez la faire fonctionner vous-mêmes. Certaines parties sont assez évidentes en ce qui concerne les choix de hauteur de caisse, et l'on peut voir certains des éléments clés au niveau des surfaces aérodynamiques. Si vous pouvez copier tout ça et comprendre comment ça fonctionne, puis le faire fonctionner sur votre voiture, alors c'est fair-play. Je ne vois aucun problème à ça. Je pense que ça fait partie du jeu, et ils [Racing Point] ont fait un travail exceptionnel là-dessus."

La F1 doit décider jusqu'où peut aller la coopération entre écuries et comment les choses peuvent être correctement contrôlées afin de garantir qu'il n'y ait aucune transmission de propriété intellectuelle. Après tout, qu'est-ce qui empêcherait que toutes les données d'un travail en soufflerie restent accidentellement sur un ordinateur auquel a accès une autre équipe, afin de connaître les objectifs qu'elle doit atteindre ? Ou comment éviter qu'un modèle soit accidentellement oublié en soufflerie et que cela aide plus facilement à reproduire ses caractéristiques ?

À tort ou raison, la porte est actuellement entrouverte pour que la F1 accepte les voitures clones et une coopération davantage poussée entre les équipes. La décision imminente au sujet des écopes de freins de Racing Point déterminera si cette porte est claquée ou si elle s'ouvre encore plus. Cette issue décidera si l'avenir de la F1 est de voir les écuries travailler seules pour leur propre succès ou s'il sera fait d'alliances entre des constructeurs et des satellites. En fin de compte, c'est une décision qui pourrait contraindre tous ceux qui ne sont pas Champion du monde à choisir entre devenir un imitateur à part entière ou tenter de réussir par soi-même. Mais en se basant sur le rythme "à la limite de l'indécence" de la Mercedes, et sur ce qu'a fait Racing Point, il semble qu'il n'y ait pour l'instant qu'une seule voie qui ait vraiment du sens.

Sergio Perez, Racing Point RP20

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