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Comment la F1 a fini par adopter le numéro 13

Cette saison, Lewis Hamilton et George Russell piloteront la Mercedes W13, une monoplace de F1 intégrant un chiffre très connoté.

George Russell, Mercedes

Le chiffre 13 est considéré comme malchanceux dans de nombreuses cultures et la peur qu'il suscite a même un nom : la triskaïdékaphobie. Cette crainte est si répandue que, même au XXIe siècle, certains avions n'ont pas de rangée 13 et certains bâtiments sont construits sans 13e étage. Assez logiquement, la signification de ce chiffre n'est pas passée inaperçue dans le camp Mercedes, qui vient de présenter un modèle baptisé W13.

Le mois dernier, le service de communication de l'équipe a annoncé que le châssis avait été homologué le 13 janvier, tout en soulignant que les règles de crash-test appartenaient à l'Article 13 du Règlement Technique de la F1. "Heureusement que nous ne sommes pas superstitieux !" avait plaisanté un porte-parole de l'équipe.

Toutefois, il fut un temps où il était impossible d'associer le 13 au sport automobile. De grands noms de la catégorie reine tels que Colin Chapman, Jack Brabham, Bruce McLaren et Ken Tyrrell ont tous choisi de se tenir éloignés de ce porte-malheur en passant des châssis #12 à #14. Dans les autres disciplines, les sportifs redoutaient la baisse de forme et la défaite. Mais dans le monde de la course, la faucheuse rôdait à chaque virage. Il était donc important pour les pilotes et les équipes de mettre toutes leurs chances de leur côté.

Par ailleurs, le 13 n'est pas le seul nombre craint. En Italie par exemple, c'est le 17 qui est hautement impopulaire. Et aux États-Unis, il ne s'agit même pas de chiffres mais de couleur : pendant de longues années, le vert était à éviter, en particulier aux 500 Miles d'Indianapolis.

Alberto Ascari, double Champion du monde F1 né un 13 juillet, a été toute sa vie l'otage de la numérologie, et les chiffres autour de sa disparition sont bien connus. Son père, Antonio Ascari, était un pilote réputé et a trouvé la mort le 26 juillet 1925 alors qu'il menait le Grand Prix de France. Pour son jeune fils, le 26 (le double de treize) eut alors une signification toute particulière.

Alberto Ascari a connu lui aussi un accident en tête d'une course. C'était au GP de Monaco 1955 et l'Italien a fini dans le port avec des blessures mineures. Quatre jours plus tard, le 26 mai, il était de retour en piste dans le cadre d'essais privés à Monza. Son célèbre casque bleu porte-bonheur avait été endommagé dans l'accident monégasque et il a donc dû en emprunter un autre. Ascari a été victime d'un nouvel accident qui, cette fois-ci, lui a coûté la vie. Le champion avait 36 ans et 10 mois, soit le même âge que son père à sa mort.

Alberto Ascari, Ferrari 500

Alberto Ascari, Ferrari 500

En 1966, Anne van Malderen, petite amie d'un jeune pilote de Formule 3 dénommé François Cevert, s'est entretenue avec une voyante qui lui a confié que le Français n'atteindrait jamais son 30e anniversaire. Sept ans plus tard, avant de disputer les qualifications du GP des États-Unis 1973, Cevert a fait remarquer à ses mécaniciens que l'on était le 6 octobre et qu'il conduisait la Tyrrell 006 frappée du numéro 6 au moteur Ford Cosworth 066. C'était, disait-il, son jour de chance. Quelques minutes plus tard, il trouvait la mort dans un effroyable accident, à 29 ans.

Concernant la peur du 13 dans le sport automobile, c'est un pilote français d'une génération bien antérieure qui en serait à l'origine. Treize voitures étaient au départ du GP de Saint-Sébastien 1925, et Paul Torchy portait ce même numéro. Dans une tentative de dépassement, le pilote Delage avait perdu le contrôle de sa voiture, un choc contre un arbre l'ayant tué sur le coup. L'année suivante, le comte Giulio Masetti s'était également tué dans une Delage #13 lors de la Targa Florio.

Par la suite, les organisateurs des courses ont évité de donner aux participants le numéro 13, notamment en France. Une pratique qui a continué à exister jusqu'à la création du Championnat du monde de F1, en 1950. Alors, lorsque Moisés Solana a pris le départ de son Grand Prix national au Mexique, en 1963, avec une BRM privée au numéro 13, c'était un événement particulièrement inhabituel. Avant lui, seul Mauritz von Strachwitz avait osé prendre ce numéro, au Grand Prix d'Allemagne 1953, avant de déclarer forfait. Le 13 est ensuite apparu au GP de Grande-Bretagne 1976, lorsque Divina Galica – qui l'utilisait aussi dans d'autres catégories – n'a pas réussi à se qualifier.

Et même lorsque la FIA a introduit son système d'attribution des numéros selon l'ordre du classement constructeurs de l'année précédente, les paires passaient de 11-12 pour la sixième équipe à 14-15 pour la septième. Il a fallu attendre la saison 2014 pour que le 13 revienne sur le devant de la scène, au moment où les pilotes ont eu la possibilité de choisir un numéro fixe. Ainsi, Pastor Maldonado a fait fi des superstitions et l'a utilisé pendant ses deux saisons chez Lotus, sans grand succès.

Pastor Maldonado, Lotus E23

Pastor Maldonado, Lotus E23

Le numéro d'un pilote est une chose, mais qu'en est-il des désignations de châssis ? Colin Chapman a probablement été le premier constructeur F1 à sauter sciemment le 13, même s'il n'aurait pas été vu sur les grilles de toute façon : la Type 12 était certes une monoplace mais la machine suivante, la Type 14, était l'appellation interne de l'Elite, une simple voiture de sport.

"Papa n'était pas superstitieux", a assuré Clive Chapman, fils de Colin. "Mais vous avez raison de dire que Team Lotus a toujours évité le 13, et continue de le faire. Il y a bien eu la 33/R13 mais nous soupçonnons qu'elle a été numérotée par [l'équipe privée] Reg Parnell Racing, ça n'a jamais été un châssis d'usine."

Même situation chez Brabham et McLaren, qui sont respectivement passés de la BT12 à la BT14 en 1965, et de la M12 à la M14 en 1970. Ce qui est plus rare en revanche, c'est que l'équipe fondée par Bruce McLaren a également évité le 13 pour ses numéros de châssis. Certes, McLaren a conçu peu de F1 en grand nombre, toutefois lorsque l'équipe a construit en 1977 le treizième châssis de la M23 pour l'équipe privée BS Fabrications, il a été désigné officiellement McLaren M23/14.

En dehors de la Grande-Bretagne, Guy Ligier a également choisi de ne pas utiliser le 13 malgré sa préférence pour les numéros impairs. Ligier est donc passé de la JS11 de 1979 à la JS11/15 de 1980, puis à la JS17 en 1981. Et le dernier grand nom de la F1 à avoir évité le 13 est Ken Tyrrell. Sa première voiture à moteur turbo aurait dû s'appeler 013, mais il est directement passé à 014. "Ken n'était pas particulièrement superstitieux", s'est remémoré Bob Tyrrell, son fils. "Mais il a été décidé de sauter le 13 qui porte malheur. Pourquoi tenter le diable ?"

Mais à la fin des années 1980, le très sérieux Frank Williams décida de rompre avec la tradition, même s'il y avait cédé quelques années auparavant... "C'est amusant parce que la FW07 [de 1979] est notre seul modèle à avoir été produit à 13 exemplaires et plus", a confié son fils Jonathan. "Il y avait 16 châssis au total mais ils n'ont intentionnellement pas attribué le châssis 13, ils ont été numérotés de 01 à 12, puis de 14 à 17. J'ai posé la question à mon père des années plus tard et il m'a dit que c'était dû à la superstition de course. Je lui ai alors demandé pourquoi ils avaient attribué le 13 à un modèle, la FW13. Il y a réfléchi un moment et m'a répondu : 'On a dû oublier la superstition !'"

Thierry Boutsen, Williams FW13

Thierry Boutsen, Williams FW13

La FW13 de 1989 fut la première Williams à moteur Renault. L'équipe britannique a débuté la saison avec un châssis FW12 modifié pour accueillir le dix cylindres français tandis que le département technique travaillait sur le nouveau modèle, qui n'est apparu qu'à quatre courses de la fin de la saison.

Les premières sorties n'ont toutefois pas été brillantes. Au Portugal, les pilotes Riccardo Patrese et Thierry Boutsen ont dû abandonner en raison de l'accumulation de morceaux de pneus sur leurs radiateurs. Le Grand Prix suivant, en Espagne, leur aileron avant frottait le sol si violemment que l'élément de Boutsen s'est cassé pendant les essais, Patrese retournant quant à lui à la vieille FW12C.

La voiture était-elle maudite ? Pas si sûr : quelques semaines plus tard, dans des conditions particulièrement difficiles, Boutsen a survécu au déluge australien et s'est imposé devant Alessandro Nannini et Patrese. Tous les doutes sur la supposée malchance associée à la FW13 ont donc été oubliés. Et en 1990, Patrese et Boutsen sont tous deux montés sur la plus haute marche du podium avec le même modèle (dans sa version B).

Après la Williams FW13, les équipes ont de moins en moins douté. En 1992, Footwork a aligné la FA13, puis la FA13B au début de l'année suivante. En 1994, Sauber a appelé sa deuxième F1 la C13, pilotée par Heinz-Harald Frentzen et Karl Wendlinger. Et dans une année marquée par les décès en piste d'Ayrton Senna et de Roland Ratzenberger, le championnat est passé tout près d'un troisième drame avec l'accident de Wendlinger à Monaco. Blessé à la tête, le pilote autrichien a non seulement survécu mais a pu revenir dans le cockpit d'une Sauber l'année suivante. La C13 portait-elle donc chance ou malheur ? Difficile à dire.

Mika Häkkinen et  David Coulthard au GP de Hongrie 1998

Mika Häkkinen et David Coulthard au GP de Hongrie 1998

Trois ans plus tard est arrivée une voiture qui a vraiment mis fin à tous les doutes concernant le 13. Sans réelle surprise, Ron Dennis, qui a pris la tête de McLaren en 1981, a choisi d'utiliser la désignation MP4/13 pour la voiture de 1998. À eux deux, Mika Häkkinen et David Coulthard ont signé neuf victoires cette saison-là, le Finlandais remportant son premier Championnat du monde.

Une autre F1 portant ce numéro, en 2003, a également gagné, de manière improbable de surcroît. "Je ne me souviens pas d'une vraie discussion sur l'utilisation [du nom] EJ13", a expliqué Ian Phillips, ancien directeur commercial de l'écurie Jordan. "[Eddie Jordan, le fondateur] a probablement dit : 'Je ne suis pas superstitieux' et la question a été réglée."

"La seule fois où il a prétendu être superstitieux, c'était lorsque [le sponsor-titre] Benson & Hedges a proposé le design du serpent pour 1997. Il ne l'a pas aimé, a prétendu que tout le monde en Irlande avait peur des serpents et qu'il serait la risée de tous. Il a été mis en minorité. C'est probablement notre livrée la plus appréciée !"

En 2003, Jordan était dans les cordes. L'équipe venait de perdre le soutien de Honda et s'était rabattue sur des V10 Ford mal-aimés, et Giancarlo Fisichella était épaulé par le pilote payant Ralph Firman. Les EJ13 n'ont pas brillé de l'année et la seule fois où la machine jaune s'est classée dans le top 6, c'était lors d'un après-midi pluvieux à São Paulo. Les accidents successifs de Mark Webber et Fernando Alonso dans la ligne droite des stands a poussé la direction de course à brandir le drapeau rouge quelques instants après que Fisichella s'est hissé en tête du peloton grâce à une stratégie et un pilotage efficaces.

Jordan était persuadé d'avoir gagné puisque son pilote avait franchi la ligne en tant que leader à deux reprises avant l'interruption, cependant la victoire a été attribuée (par erreur) à Kimi Räikkönen. La FIA a rectifié le tir mais bien plus tard, lors d'une cérémonie sommaire à Imola.

Fisichella reçoit le trophée de vainqueur du GP du Brésil des mains de Räikkönen

Fisichella reçoit le trophée de vainqueur du GP du Brésil des mains de Räikkönen

La Red Bull RB13 de 2017 était une voiture assez performante minée par les problèmes de fiabilité. L'écurie au taureau rouge a enregistré trois victoires aux mains de Daniel Ricciardo et Max Verstappen, cependant elle a marqué 100 points de moins que lors de l'exercice précédent. Un an plus tard, ce fut au tour de Toro Rosso (aujourd'hui AlphaTauri) d'engager un châssis au numéro 13 pour Pierre Gasly et Brendon Hartley. Des points ont été marqués mais l'écurie a glissé de la septième à la neuvième place du classement cette saison-là.

Désormais c'est au tour de Mercedes de suivre une tendance initiée par Frank Williams il y a 33 ans. Quand les équipes n'étaient dirigées que par une seule personne et que la sécurité était inexistante, on ne remettait pas en question le fait d'éviter le numéro 13. Mais aujourd'hui, il est beaucoup plus difficile de le justifier : les écuries appartiennent à des constructeurs ou des groupes d'actionnaires, elles sont sponsorisées par des multinationales qui opèrent dans des pays où le 13 n'a aucune signification particulière et elles emploient des centaines d'ingénieurs guidés par les données et la logique.

Néanmoins, les pilotes continuent d'avoir leurs propres croyances et leurs propres superstitions. Il sera donc intéressant de voir si les prochaines générations de pilotes jetteront leur dévolu sur le #13 ou si le numéro continuera d'être esquivé par peur de mauvais résultats.

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