Interview

Alguersuari : "Il m'a fallu dix ans pour clore le chapitre F1"

Titulaire en Formule 1 à 19 ans, retraité du sport automobile à 25 ans, Jaime Alguersuari a traversé une période très difficile. Aujourd'hui, il reprend goût à la compétition en karting, et s'est longuement confié dans un entretien exclusif accordé à Motorsport.com.

Jaime Alguersuari

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Jaime, commençons par revenir sur une journée difficile, le 6 juin 2015. Vous êtes à Moscou, pour la neuvième manche du championnat de Formule E... 

Je m'étais promis depuis tout petit que le jour où je ne sourirais plus sous mon casque, j'abandonnerais, qu'il n'y aurait pas d'intérêt à continuer. C'est arrivé ce jour-là à Moscou, je me suis évanoui. Ce n'était pas accidentel, je n'étais pas bien depuis longtemps, je n'aimais pas penser à l'idée d'aller en piste. J'ai pris conscience que ce n'était plus la vie que je voulais vivre. 

Quatre mois plus tard, vous faisiez vos adieux au sport automobile... 

J'ai pris ma retraite avec beaucoup de déception et de douleur, car j'avais encore la tête en Formule 1, c'était encore une plaie ouverte. Je sentais que je devais être bien sur le plan personnel, comprendre ce que je voulais dans la vie car je n'étais pas heureux, pas content de courir, et c'est un métier que l'on est obligé de faire avec amour, sinon on ne peut pas donner le meilleur de soi-même. Quand je me suis évanoui à Moscou, je savais que quelque chose n'allait pas, c'était un rappel à l'ordre, je n'étais plus moi-même, je n'étais pas motivé, je n'avais pas le sourire. Même dans l'équipe les choses n'allaient pas bien. J'avais toujours l'envie de gagner mais nous ne comprenions pas pourquoi nous étions parfois lents et parfois pas. Je me suis cassé la tête pour comprendre, c'était la première année de la Formule E, il y avait tellement de problèmes. 

Prenons un peu de recul. Après avoir été renvoyé par Helmut Marko, trois années se sont écoulées avant vos adieux...

Une période vécue avec colère et rejet envers la Formule 1, envers Helmut Marko, envers Red Bull, envers tout ce qui s'était passé. J'ai essayé d'être commentateur en Formule 1 pour Movistar, mais dès que j'allais au circuit j'étais malade, je n'étais pas heureux d'être là, ce n'était pas ma place à ce moment-là, car je n'avais que 23 ans. À ce moment-là, je me suis accroché à une grande chance que j'ai toujours eue : ma passion pour la musique.

Comment cela vous est-il venu ?

Mes parents sont toujours allés à Ibiza, depuis 1975, et j'ai passé une grande partie de ma vie là-bas, j'y ai de nombreux amis et c'est un endroit que j'ai toujours adoré. À Ibiza, j'ai commencé à écouter de la musique électronique quand j'étais très jeune, et à 15 ans j'ai commencé à produire ma propre musique, par passion. Le pseudonyme Squire est né, je l'ai créé en 2009, plus ou moins lorsque j'ai fait mes débuts en Formule 1 au Grand Prix de Hongrie avec Toro Rosso. Une passion, celle de la musique, avait été mise en veilleuse pendant des années ; j'avais d'autres choses à faire, j'étais pilote professionnel, mais je savais que j'avais un plan B.

Je peux revenir dans un paddock de Formule 1 et dire bonjour à Christian Horner et Helmut Marko, je peux sourire.

 Jaime Alguersuari

Quelle importance a pris Squire dans votre découverte de vous-même ?

Très grande. Quand j'ai quitté le sport automobile, j'ai dit au revoir à Jaime Alguersuari, j'ai créé une nouvelle personne, Squire, et j'étais cette personne. J'ai fait une rupture nette, j'ai même effacé mes profils sur les réseaux sociaux, ce qui était une erreur mais me semblait être la bonne chose à faire sur le moment. J'ai eu envie de recommencer, d'écrire de la musique, quelque chose qui n'avait rien à voir avec le sport automobile, et j'ai eu la chance de le faire dans un nouvel environnement qui m'a permis de débrancher.

Dans l'univers musical, vous avez eu de bons retours, mais ensuite ? 

Un jour j'ai eu un coup de fil de Sete Gibernau, un ami de la famille, et il m'a dit : "Viens passer un week-end chez moi". Près de sa maison, pas loin de Barcelone, il y a un circuit de Supermotard et de karting, donc nous sommes allés rouler. Ça faisait sept ans que je n'avais pas piloté un karting, et ce fut un moment très particulier : j'ai mis mon casque, j'ai pris la piste avec un kart KZ et, tour après tour, j'ai commencé à ressentir de nouveau des choses que j'avais oubliées. Je riais sous mon casque et je me suis dit : "Whaou !" Puis j'ai commencé à réfléchir très vite : "Je ne suis pas si vieux, je ne me débrouille pas trop mal, si je perds un peu de poids...". Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais dans ces cas-là, on dit que j'ai "vu la lumière". J'ai réalisé que j'avais un immense désir de piloter.

Pensez-vous que c'était un hasard ou que ce moment serait arrivé tôt ou tard ? 

C'est arrivé parce qu'aujourd'hui, je suis quelqu'un d'autre, je suis Squire mais je me sens à nouveau comme Jaime Alguersuari. Je peux revenir dans un paddock de Formule 1 et dire bonjour à Christian Horner et Helmut Marko, je peux sourire. Il m'a fallu un certain temps pour me sentir bien dans ma peau et vivre avec certaines situations que je n'aimais pas, mais aujourd'hui elles ne me font plus aussi mal que par le passé. J'ai 31 ans et je suis quelqu'un de différent, je suis Jaime et Squire, je peux faire beaucoup de choses et bien vivre dans n'importe quel environnement. Et j'apprécie l'opportunité de pouvoir courir à nouveau, vous n'avez pas idée à quel point je prends du plaisir à piloter un karting ! J'ai rencontré plusieurs personnes dont je me souviens de l'époque où j'étais gamin, ils sont toujours là et travaillent avec passion.

Avez-vous repensé à votre histoire ? 

J'ai eu énormément de chance d'avoir les opportunités que j'ai eues, j'ai fait beaucoup de courses, j'ai fait de la Formule 1, j'ai marqué des points. Bien sûr, je n'ai pas eu ma chance chez Red Bull ni dans une voiture compétitive, mais j'ai commencé à réaliser que j'étais quand même privilégié et que je devais être reconnaissant pour ça. Mais je m'en suis rendu compte après un certain temps, il m'a fallu dix ans pour clore le chapitre. Il est clos désormais, je suis décidé à revenir en piste. J'ai aussi écrit un livre, Réinventez-vous, ce qui m'a pris deux ans. C'est quelque chose qui m'a beaucoup aidé, j'ai regardé au plus profond de moi-même en l'écrivant.

Qu'est-ce qui vous donne la confiance pour revenir ?

Avant, si je voyais quelque chose lié à la Formule 1 à la télévision, je changeais de chaîne. Si la même chose arrivait en lisant le journal, je tournais immédiatement la page. Aujourd'hui, je peux aller dans le stand AlphaTauri et saluer Franz Tost. J'ai commencé à voir le verre à moitié plein, j'ai réalisé la chance que j'avais.

Comment vous est venue l'idée de courir en Championnat d'Europe et en Championnat du monde de karting ? 

Je suis revenu dans le paddock de karting et j'ai demandé à Giancarlo Tinini [fondateur de l'équipe CRG, ndlr] ce qu'il pensait de mon idée. Il m'a dit : "OK, mais tu dois t'entraîner". Il m'a donc suggéré de participer au championnat espagnol, dans lequel j'ai couru le week-end dernier. 

On dirait que ça a bien commencé, puisque vous étiez en pole.

Ça s'est très bien passé, mais malheureusement une douleur aux côtes m'a empêché de terminer le week-end. C'est un bel environnement, j'ai rencontré beaucoup de gamins et leurs parents m'ont demandé conseil pour leur carrière. J'ai répondu : "Prenez du plaisir et soyez conscients de la chance que vous avez d'être là".

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