Comment la F1 a gâché le superbe duel Hamilton-Verstappen

Le Grand Prix de Bahreïn a offert un très beau duel, aussi bien tactique, psychologique et de pilotage entre Lewis Hamilton et Max Verstappen. Mais l'inconsistance de la direction de course a transformé l'après-course en un champ de bataille dans lequel l'aspect sportif est passé au second plan...

Max Verstappen, Red Bull Racing et le vainqueur Lewis Hamilton, Mercedes dans le parc fermé

Photo de: Steven Tee / Motorsport Images

Enfin ! Il était là ! L'affrontement tant attendu entre un Lewis Hamilton et un Max Verstappen tous deux vraisemblables candidats au même titre. On verserait presque dans le cliché en disant qu'il s'agit d'un duel de générations et de toute une génération. Pourtant, c'est la réalité.

D'un côté le vieux lion Hamilton, 36 ans et 14 saisons au plus haut niveau, à la tête d'une série de records qui s'allonge de course en course, et de l'autre, l'interminablement jeune lionceau Verstappen, 23 ans et six campagnes d'expérience à être à l'affût de la moindre chance de chiper à son aîné un succès par-ci par-là, enfin confrontés face à l'enjeu le plus élevé du sport automobile, sur une saison qui doit compter 23 manches.

Et le moins que l'on puisse dire c'est que les promesses de ce genre, face auxquelles un fan de Formule 1 aguerri a toujours tendance à adopter l'attitude circonspecte de celui qui s'attend invariablement à être déçu, ont été comblées ce dimanche. Certes, ce n'était pas un duel à la Villeneuve-Arnoux à Dijon (y en a-t-il eu beaucoup d'autres dans l'histoire, à vrai dire ?), ni à la Hamilton-Rosberg sur le même circuit de Sakhir en 2014, mais tous les ingrédients étaient réunis.

L'incertitude quant aux performances, la confirmation que Mercedes était en position d'infériorité sportive mais de supériorité numérique, la confrontation de style dans le pilotage, l'âpre combat tactique, la ruse de part et d'autre, et même, cerise sur le gâteau, une vraie lutte en piste qui, bien que n'ayant débouché que sur une seule tentative, aura tout de même été un duel au couteau au fil des dix derniers tours.

Bref, tout y était. Tout, sauf un acteur qui n'a pas été à la hauteur de cette première : la direction de course.

On ne reviendra évidemment pas en détails sur le pourquoi du comment au niveau réglementaire. Tout a été décortiqué et expliqué clairement depuis dimanche. Simplement, arrêtons-nous sur la chronologie : en arrivant à Bahreïn, la direction de course décide, dans la foulée des essais hivernaux où les pilotes avaient, comme dirait Jeff dans F1 2020, "une interprétation très personnelle des limites de piste", de ne pas appliquer de surveillance particulière au virage 4, en tout cas pas plus que pour n'importe quel virage de Sakhir.

Cela change entre les Essais Libres 1 et 2, où une seconde version des Notes du directeur de course indique cette fois qu'en essais et en qualifications, il ne faut plus aller au-delà du vibreur, mais que l'absence de surveillance particulière est maintenue en course. Conséquence directe : neuf tours chronométrés sont annulés lors des EL2, quatre en EL3 et deux en qualifications.

Dimanche, rien de spécial n'est à signaler jusqu'au 36e tour où, a priori après des échanges entre Red Bull et la direction de course, cette dernière intime à Mercedes l'ordre de ne plus aller aussi loin dans le virage 4 que depuis le début de la course, c'est-à-dire depuis environ une heure. À une demi-douzaine de tours de l'arrivée, le duel Hamilton-Verstappen atteint son paroxysme quand le Néerlandais tente de faire l'extérieur au virage 4 mais, pris par un léger décrochage, termine son dépassement en dehors des limites. Il rend sa place rapidement sur ordre de Michael Masi, se manque ensuite au virage 13 et la victoire revient au septuple Champion.

Bien entendu, chacun s'est déjà fait ou se fera une religion sur la sempiternelle question des limites de piste et de ce qu'elles devraient être ou non. Le problème, c'est que dans les minutes qui ont suivi la course, quand la tension et l'adrénaline du duel sont retombées, c'est ce sujet qui a été au centre des discussions, et pas vraiment la bataille. La F1 ne rechigne jamais à s'empêtrer dans des polémiques qui viennent ternir le spectacle en piste – un luxe pour une discipline qui, soyons francs, peine parfois à en produire – mais ici elle est particulièrement malheureuse car il aurait suffi à la direction de course de tenir sa ligne (sans mauvais jeu de mots) 20 tours de plus pour que le sport reste au centre des attentions.

À la place, l'après-course a été marquée par de la polémique sur les sites ou les réseaux sociaux ; par des échanges plus ou moins polis ; par la référence au désormais fameux complot "Mercedes/FIA" qui voudrait que les instances soient volontairement clémentes envers l'écurie allemande ; par l'apparition de compilations vidéos, non pas des plus belles manœuvres de la course, mais des plus beaux passages hors piste de Hamilton au mirage 4. Dans un sport déjà éminemment compliqué par nature, quand les lignes réglementaires bougent non plus en cours de week-end de GP mais en plein milieu de la course, on s'expose forcément à ce que la compréhension soit rendue difficile et toute explication inaudible. Même pour le fan aguerri dont nous parlions au début.

Et quand bien même Michael Masi, le directeur de course, se défend en assurant que rien n'a changé, personne n'est dupe. Quand, face à des pilotes déjà passés largement hors piste une trentaine de fois pour Hamilton, une quinzaine de fois pour Bottas et une demi-douzaine de fois pour Verstappen, il est soudainement indiqué qu'il ne faut plus le faire sous peine de s'exposer à avertissements et pénalités, c'est bien qu'il y a eu un changement. Et pas forcément dans la réglementation, mais simplement dans son interprétation ou dans son application.

D'aucuns ont pointé le rôle de Red Bull dans cette situation. Il est bien évident que l'écurie autrichienne, qui a perdu une manche qu'elle aurait dû gagner, en a joué pendant la course (avec la fameuse communication radio) mais aussi après, quand avec son air de-ne-pas-y-toucher Christian Horner a lâché que les passages hors piste permettaient de gagner jusqu'à deux dixièmes à cet endroit. Trop malin pour faire le calcul lui-même, le Britannique a laissé à chacun le soin d'imaginer sur quoi s'est jouée une course où vainqueur et second ont effectivement été séparés de 0,7 seconde sur la ligne d'arrivée... Écorner un peu la victoire de Mercedes en suggérant sans le dire qu'elle a été facilitée par de multiples passages hors piste, c'est aussi une manière de minorer sa défaite.

Mais la réalité, c'est que Red Bull n'a pas véritablement joué différemment de Mercedes, à la seule différence qu'il y a sans doute eu de la naïveté ou de la suffisance du côté du taureau rouge. Il a fallu jouer dans le registre de l'écurie qui était en train de perdre et qui a finalement perdu. Au contraire, dans le clan de la marque à l'étoile, l'utilisation des limites de piste a été une façon de pousser au maximum ce qui était permis pour tenter de réduire le plus possible le désavantage en performance face à Verstappen. Et aussi difficile cela peut-il être à entendre pour ceux qui crient au complot, cela était permis pendant une grosse moitié de course et Mercedes a été la seule équipe à en profiter vraiment et ostensiblement.

C'est aussi là que l'on peut regretter le manque de constance de la direction de course : car finalement son intervention n'était pas nécessaire. Si on a laissé Hamilton et Bottas le faire pendant 36 tours, Verstappen aurait pu prendre la même trajectoire pour les 20 restants et la lutte aurait alors quand même été à armes égales. En changeant son fusil d'épaule, l'arbitre a non seulement démontré qu'il était incapable de tenir une position pourtant clairement édictée avant la course mais surtout suggéré que ce qu'avait fait Hamilton auparavant était illicite, et donc qu'il avait tiré le fameux "avantage durable".

C'est juridiquement faux mais on déchaîne rarement les passions autour de la relecture collective, attentive et exégétique d'un alinéa des Notes de la direction de course... Les impressions laissées comptent aussi, non pas pour la bonne application de la réglementation mais pour l'acceptation par tous (acteurs comme spectateurs) du rôle de juge-arbitre et du fait que tout le monde se voit appliquer les mêmes règles.

La réalité froide, c'est que du premier au 36e tour, Verstappen n'a pas suffisamment exploité les limites du virage 4. La réalité froide, c'est qu'à partir du 36e tour, moment où l'affrontement tactique allait trouver sa résolution en piste, la passe d'armes sportive a été parasitée par la volte-face de la direction de course. Ou comment parfaitement s'y prendre pour gâcher en quelques secondes un duel attendu depuis si longtemps.

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