Stoddart et la reprise de Minardi : "Alonso a fait des nuits blanches"

Fin 2000, Paul Stoddart reprenait une écurie Minardi à bout de souffle. Retour sur la tâche titanesque relevée par l'Australien et son équipe.

Fernando Alonso, European Minardi PS01

L'écurie Minardi a toujours été un Petit Poucet de la Formule 1, surtout dans ses dernières années d'existence. De 1985 à 2005, la petite Scuderia a permis à de nombreux pilotes de découvrir l'élite, en particulier Giancarlo Fisichella, Jarno Trulli, Fernando Alonso et Mark Webber, avec quelques exploits à la clé en dépit d'un petit budget.

Les cinq dernières saisons de l'écurie ont été vécues sous l'égide de Paul Stoddart, qui l'a rachetée pendant l'intersaison 2000-2001. Alors a commencé une véritable course contre la montre avant le premier Grand Prix, du 2 au 4 mars à Melbourne…

"On parle du 15 décembre 2000", narre Stoddart dans le podcast Beyond The Grid. "Je suis à Nice pour acheter un bateau. Je reçois un coup de fil de Mike Gascoyne [alors nouveau directeur technique chez Benetton, ndlr]. Il dit que Flavio [Briatore, directeur de Benetton F1] veut me parler. Je discute donc avec Flavio, et il me demande : 'Paul, ça t'intéresse de racheter une écurie de Formule 1 ? On a étudié ça avec un moteur Renault, mais ça ne va pas se faire. Ils sont à genoux. Tu peux les racheter pour pas cher'. Il n'en a pas fallu bien plus pour me convaincre. Je suis littéralement monté dans mon avion pour me rendre dans ma chère ville de Faenza, j'ai rencontré Giancarlo [Minardi] et nous avons trouvé un accord ce jour-là."

"Le principal actif que j'aie racheté, c'était Fernando Alonso, qui était le pilote d'essais. Nous n'avions pas de voiture et nous avions six semaines et trois jours pour arriver à Melbourne. Et tout ce que nous avions, c'était une maquette en bois avec un moteur Renault derrière. Une grande partie du personnel était partie, alors nous avons décidé qu'il n'y avait qu'une manière de faire ça. Nous avions notre propre écurie de F3000, et j'avais environ 35 employés, alors je les ai fait venir à Faenza immédiatement pour renforcer l'équipe. Je suis allé voir Bernard Ferguson de chez Cosworth et j'ai rapidement trouvé un accord avec lui. Il ne pouvait pas me vendre le moteur et il ne pouvait pas le produire, alors j'ai racheté les droits du moteur, j'ai recruté cinq personnes de Cosworth et nous avons produit nos propres moteurs. Franchement, c'est un autre record de Minardi. Personne d'autre n'a lancé une écurie de Formule 1 en six semaines et trois jours."

Fernando Alonso and Tarso Marques, Minardi PS01

Fernando Alonso et Tarso Marques avec la Minardi PS01 à Melbourne

Forcément, le rythme de travail était effréné. L'équipe est parvenue de justesse à déverminer sa nouvelle monoplace, baptisée PS01, avant d'envoyer tout son matériel en Australie. Non sans quelques coups de théâtre…

"Le départ du fret était si proche que pour faire ce shakedown, ça se présentait mal", explique Stoddart. "Nous n'allions pas y arriver. Et tous ces gars-là sont venus travailler pendant six semaines, sans rentrer chez eux. Nous n'avions pas suffisamment de chambres d'hôtels. Une fois que tu avais fait 12 ou 15 heures de travail et que tu n'arrivais plus à garder les yeux ouverts, tu rentrais à l'hôtel Catalina – on avait un passe-partout – tu entrais dans une chambre, tu virais quelqu'un qui y était depuis dix heures, tu lui disais de retourner travailler pour finir ce que tu faisais, et tu prenais le lit. Il nous manquait six chambres par rapport au nombre de personnes que nous avions, mais nous nous en sommes sortis." L'Australien ajoute : "Vous savez, Fernando a fait plein de nuits blanches pour aider à construire la voiture."

Un avion salvateur dans le brouillard

"Il y avait cette nuit où nous avions besoin de deux fixations d'échappement en titane qui étaient en train d'être produites à Nottingham ; sans elles, nous ne pouvions pas faire rouler la voiture. J'avais l'avion à [l'aéroport de] Forli et les deux pilotes sont retournés à Coventry jusqu'à trois heures du matin. Quand je suis sorti de l'usine, il faisait un brouillard à couper au couteau. Après tous ces efforts ! Je savais que l'avion était parti car c'est un vol de deux heures et demie, alors je savais qu'ils étaient dans les airs. Je me suis dit : je ne sais pas pourquoi je vais faire ça, mais je vais aller à l'aéroport, je suis trop fatigué pour faire quoi que ce soit d'autre. Mais je ne voyais même pas ce foutu terminal depuis le parking ! J'ai attendu encore et encore. Puis tout d'un coup, j'ai entendu l'assourdissant vrombissement des inverseurs de poussée : ils avaient atterri !"

Fernando Alonso, Minardi PS01 European

Fernando Alonso en piste à Monaco

"Nous avions une relation fantastique avec Forli. Tout le monde nous connaissait, prenait soin de nous. Ils sont venus et j'ai dit au capitaine, que je ne nommerai pas : 'Vous y voyiez quelque chose ?'. Bien sûr, le F-111 a un système d'atterrissage automatique, mais légalement, il faut quand même y voir un petit peu. Et il a répondu : 'Mieux vaut ne pas en parler. Bref, voici les pièces'."

"Nous avons installé les pièces sur la voiture et roulé ce jour-là pour ce qui était le seul shakedown, le mercredi. Et le jeudi, le fret est parti. Il y avait plein d'histoires, pas forcément aussi extrêmes que ça, mais vous savez, des trucs de dernière minute comme proposer aux fournisseurs de doubler la somme pour qu'ils s'occupent de nous avant quelqu'un d'autre. C'était interminable, mais nous avons réussi."

Minardi s'est concentré sur la monoplace d'Alonso à Melbourne, où celle de son coéquipier Tarso Marques a dû être construite de A à Z. L'Espagnol s'est qualifié 19e à 3"765 de la pole position, le Brésilien 22e avec 6"336 de déficit ; Marques a été trahi par un problème moteur dès le début de l'épreuve, mais Alonso a franchi la ligne d'arrivée au 12e rang.

"J'ai vu tous ces gens qui pleuraient dans le garage, et je leur ai demandé pourquoi", ajoute Stoddart. "Nous avons fini la course, et ils pleuraient de fierté. Absolument personne ne croyait que nous puissions réussir, mais nous l'avons fait !"

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