Interview

Vergne : "Toujours se remettre en question, travailler sans relâche"

À 30 ans, Jean-Éric Vergne est à l'apogée de sa carrière. Le double champion de Formule E va partir en quête d'un troisième titre dans le championnat tout électrique et a été recruté par Peugeot Sport pour l'ère Hypercar à venir. Il s'est confié à Motorsport.com.

Jean-Eric Vergne, DS Techeetah, DS E-Tense FE20

Jean-Eric Vergne, DS Techeetah, DS E-Tense FE20

Sam Bloxham / Motorsport Images

Jean-Éric Vergne, voilà quatre ans que vous êtes chez Techeetah en Formule E. Pouvez-vous nous expliquer comment l'équipe a évolué ?

L'équipe a grandement évolué. Au début, nous étions la petite écurie du plateau, nous avions récupéré les cendres d'Aguri. Nous avions gardé un peu les ingénieurs clés de cette équipe, et nous avons commencé en étant non pas motoristes mais écurie cliente du moteur Renault. La première année a été un peu difficile parce qu'il fallait que tout se mette en place. Il y avait quand même des bonnes performances, ça marchait bien. Nous avons quand même gagné une course à la fin de l'année, pour notre première année en tant qu'équipe, c'était vraiment pas mal.

Après, nous avons commencé à discuter avec DS pour devenir une écurie officielle DS Techeetah. C'est ce que nous avons réussi à faire pour qu'en saison 5, nous devenions une équipe constructeur avec l'aide de DS. L'écurie grandit année après année. Elle se renforce aussi. Nous avons fait un très gros travail avec l'équipe pour sans cesse s'améliorer ; dès que nous gagnons, nous ne reposons pas sur nos lauriers. C'est une équipe qui a un très bel ADN et un très bon état d'esprit.

Quels ont été les facteurs majeurs de votre progression, avec trois titres consécutifs chez les pilotes ?

L'arrivée de DS, et puis toutes nos victoires. Je pense que les victoires forgent une équipe : victoires en course, victoires au championnat. Je pense que c'est un tout : ça assoit l'équipe économiquement, dès qu'on a une équipe qui gagne des courses ça attire les sponsors. C'est quelque chose qu'on sait extrêmement important en sport auto.

Jean-Eric Vergne, DS Techeetah

Le contexte est difficile. Avez-vous pu préparer la nouvelle saison comme vous le voulez ?

Nous l'avons bien préparée. Là, nous commençons la préparation pour la première course de Riyad au simulateur. Tout se passe très bien. Nous avons notre nouveau moteur qui va arriver pour la course de Rome. Il est prêt, nous sommes prêts à le mettre en piste, nous ferons juste les deux premières courses de Riyad avec notre ancien moteur, qui fonctionne quand même très bien. Nous ne pensons pas trop perdre par rapport à la concurrence.

Nous allions justement vous demander si l'objectif pour l'E-Prix de Diriyah était de sauver les meubles ou si vous pensiez quand même être aux avant-postes, vu votre domination de la saison dernière.

Non, nous allons à Riyad avec l'objectif clair de gagner. Je pense que se dire que nous avons le moteur de l'an dernier, c'est une fausse excuse – ou une excuse tout court. En plus, il faut toujours un peu un temps d'adaptation quand on a des nouveaux moteurs : il y a les nouveaux softwares, il y a pas mal de choses qui ne tournent pas rond au début d'un moteur. Peut-être qu'il y a d'autres équipes qui auront des problèmes que nous n'aurons pas – je touche du bois, j'espère que nous n'en aurons pas, mais ça fait quand même plus d'un an que nous avons ce moteur. Nous le connaissons bien, nous maîtrisons bien notre sujet avec ce moteur.

Avec le nouveau moteur, pensez-vous faire un bond en performance, ou cela commence-t-il déjà à être difficile de trouver des dixièmes de seconde par-ci par-là ?

Non, c'est compliqué de faire un bond en avant en performance aujourd'hui. Je pense que les moteurs sont déjà tellement performants que c'est difficile de faire beaucoup mieux.

Jean-Eric Vergne (FRA) DS Techeetah, DS E-Tense FE20

Seriez-vous d'accord pour dire qu'avec le report de certaines courses, il y a un avantage pour DS et Nissan notamment, par rapport aux périodes d'homologation des moteurs ?

Un avantage ? Je ne sais pas si c'est un avantage, on le dira à la fin de l'année. Je pense qu'il y a pas mal de personnes qui peuvent s'amuser à dire que nous avons un avantage, évidemment, mais nous n'avions pas prévu que le COVID tiendrait aussi longtemps, nous n'avions pas prévu que des courses soient reportées. Au final, nous n'y sommes pour rien. Nous avons suivi la réglementation, qui nous laissait le temps de choisir quand est-ce que nous voulions introduire notre moteur. Nous avons choisi pour pas mal de raisons que ce serait au mois d'avril 2021. Après, ce n'est pas de notre faute que le calendrier ait changé.

Vous ne trouveriez donc pas forcément ça juste que certaines équipes demandent un ajustement de la réglementation à ce sujet ?

C'est impossible qu'ils ajustent quoi que ce soit, ça n'a rien à voir. Vous savez, c'est marrant, j'ai été dans la position où je perdais, dans la position où je gagnais, et quand on perd, on trouve toujours des excuses : soit ce sont les autres qui trichent, soit on a eu des problèmes. Ceux qui disent ça feraient mieux de se concentrer sur leur boulot et de ne pas dire des choses comme ça. Mais je ne sais pas qui a dit ça, peut-être que personne ne le dira.

Personne ne l'a dit en ces mots, mais il y a certaines équipes, clairement, qui disent : nous nous sentons désavantagés dans la situation actuelle.

Désavantagés, désavantagés… Ils ont probablement commencé à travailler sur le moteur plus tôt que nous, il y a des équipes qui ont aussi plus de moyens de nous. Peut-être qu'ils ont plus de ressources, plus de personnes pour pouvoir travailler sur un nouveau moteur. D'accord, ils sont désavantagés, mais nous sommes désavantagés aussi : nous avons beaucoup moins de budget que Porsche ou Mercedes. Dans ce cas-là, ça n'en finit plus de dire "lui il est désavantagé", "moi je suis désavantagé".

Pouvez-vous préciser les raisons pour lesquelles vous avez choisi la deuxième période d'homologation ?

C'est une homologation qui dure sur la saison 8 aussi, donc sur la saison d'après. Je pense que c'était un choix stratégique de DS, probablement, d'attendre d'être un peu plus certains de ce que nous voulions mettre dans ce moteur-là, étant donné que nous allions avoir une saison et demie à faire dessus. Parce que ceux qui se sont précipités à faire un moteur – si nous l'avions mal réalisé, nous aurions été bloqués avec ce moteur-là pendant deux ans. Je pense que DS a préféré probablement mettre un peu moins de chances de notre côté pour la première partie de saison de cette année, afin de se mettre le maximum de chances pour la seconde partie de saison et la saison d'après.

Antonio Felix da Costa, DS Techeetah, DS E-Tense FE20, Jean-Eric Vergne, DS Techeetah, DS E-Tense FE20

Y a-t-il des choses que vous avez l'intention d'améliorer cette saison pour reprendre l'avantage sur António ?

Déjà, j'avais pas mal de difficultés avec le frein, que lui n'avait pas : nous avons un style de pilotage différent. Toute l'année, j'ai essayé de modifier un peu mon pilotage, j'avais beaucoup de mal à faire ça. En fin d'année, nous avons réussi à finalement modifier ce que je souhaitais ; ça a pris un peu trop de temps, malheureusement. Pour la saison qui arrive, je n'ai plus de problème de frein, j'arrive à bien freiner, je me sens très bien avec la voiture. Quoi faire pour reprendre l'avantage ? Toujours se remettre en question, travailler sans relâche, évidemment plus que je n'ai pu le faire l'an dernier.

Dans l'hypothèse où vous vous retrouveriez dans un duel pour le titre, serait-il possible de maintenir votre bonne entente ?

Vous savez, la bonne entente, c'est important pour une équipe, mais le principal pour une équipe, c'est deux pilotes qui ramènent des points. À partir du moment où nous n'allons pas nous crasher l'un dans l'autre… Je m'entends très bien avec António, mais si demain j'ai quelqu'un à côté de moi qui ne me parle pas de l'année, je suis là pour faire mon job et lui aussi.

Si on arrive à bien s'entendre avec un coéquipier, c'est le top. Après, si je ne parle pas de l'année à mon coéquipier, ça ne va pas me changer la vie. Je fais mon boulot avec mes ingénieurs, avec mon équipe. Je prends le même plaisir à rouler, à voyager, à faire des courses. La bonne entente en dehors du circuit n'est pas très importante, mais le respect entre les deux pilotes sur le circuit, c'est ce qui est le plus important pour une équipe, et je pense que c'est à l'équipe de faire en sorte que ce respect mutuel soit gardé tout au long de l'année.

Jean-Éric Vergne, Antonio Félix da Costa, DS Techeetah, DS E-Tense FE21

Vous venez d'être confirmé parmi les pilotes titulaires du projet Peugeot Hypercar pour le WEC. Avez-vous l'impression que vous performances en Endurance étaient jusque-là passées un peu inaperçues, et que cela récompense en quelque sorte votre parcours ?

Malheureusement, sur les résultats, on peut penser que mes perfs en Endurance sont un peu passées inaperçues. J'ai gagné une fois Le Mans : nous avons été disqualifiés alors que nous avions gagné avec trois ou quatre tours d'avance [deux, ndlr]. Nous avions un gain au niveau de la recharge d'essence qui était bien moindre que l'écart avec lequel nous avons gagné. L'année d'après, nous menions la course, nous avions un tour d'avance et la cosse de démarrage – une pièce qui coûte deux centimes – a cassé. La troisième année, nous sommes encore en tête, j'améliore bien mes performances par rapport aux années d'avant, et nous avons un problème de boîtier électronique pendant la nuit, nous perdons environ douze à quinze minutes. Nous arrivons à remonter troisièmes, et à une heure de la fin, j'ai la suspension qui casse dans un virage rapide. C'étaient des courses difficiles évidemment, mais je pense que Peugeot et tous ceux qui regardent les performances de près voient la moyenne des relais, les tours qualif, et arrivent vraiment à bien analyser comment ça se passe. Chaque année, je me suis toujours bien placé parmi les meilleurs pilotes de LMP2. Chaque année, j'ai toujours eu une grosse marge de progression au Mans. L'an dernier, les performances étaient vraiment bonnes, je me sentais très bien dans la voiture. J'ai de plus en plus de confiance, de plaisir aussi à rouler au Mans, et sur tous les autres circuits en ELMS ou en WEC… Je crois que j'avais fait une pole à Spa avec une seconde d'avance une fois en WEC. Il y a quand même eu des belles performances.

Vous savez, quand je suis parti de la F1, j'ai fait un test chez Toyota. Je pense que quand j'ai fait ce test-là, dans ma tête, je n'étais pas très fort et je n'étais pas du tout au bon endroit au bon moment. Du coup, ça ne l'a pas fait, Toyota ne m'a pas pris. Je me suis retrouvé sans volant ; j'avais la Formule E d'un côté, mais pour moi, c'était aussi important de pouvoir faire Le Mans, ça a toujours été un rêve. Je savais que même venant de la F1, même ayant un nom, ça allait être très compliqué pour moi de trouver un volant, parce qu'il y a une réputation qu'on se fait en F1 ou dans les catégories monoplace de pilote qui veut tout pour lui, un peu tête de mule – ce qu'un pilote de monoplace doit être s'il veut être champion. Mais en Endurance, les équipes ont peur de ce genre de pilote, vous voyez. Je me suis dit qu'avec l'image que j'avais, il fallait absolument que j'arrive à rouler en Endurance pour pouvoir changer ça et un jour espérer rouler pour un constructeur et jouer la gagne au général.

#24 CEFC Manor Oreca 07 Gibson: Tor Graves, Jonathan Hirschi, Jean-Eric Vergne

J'ai demandé à mon manager Julian Jakobi de vraiment appeler tout le monde, les équipes en LMP2 – je voulais rester en LMP, je ne voulais pas partir en GT, parce qu'après c'est difficile, je trouve, de faire du GT et de revenir en prototype. Il m'avait dit : "Écoute, ce n'est pas la meilleure équipe, ce n'est pas le meilleur volant, mais on a une possibilité de rouler chez Manor". Je dis OK, d'accord, parfait. C'était compliqué : il n'y avait pas d'argent dans l'équipe, ça fonctionnait très mal. Nous avions un coéquipier amateur [Tor Graves, ndlr] qui se faisait plaisir, mais qui était extrêmement loin des chronos, donc je savais que je n'avais aucune chance de résultat. Surtout, ce n'était pas payé, il fallait que je paye de ma poche tout ce qui était hôtel, hébergement, voyage, avion… Mais j'ai vu ça comme un investissement, même si je savais que je n'allais pas gagner, je savais que je n'allais pas pouvoir faire de podium. C'était un investissement pour pouvoir être dans le paddock. Pendant cette année, je crois que c'était à Fuji, j'ai rencontré Roman Rusinov, on devait faire un dîner – je crois d'ailleurs qu'il avait dit "ah non, Vergne, je n'ai pas envie de le voir, il n'est pas cool", alors qu'il ne me connaissait pas. Au final, nous avons fait ce dîner, nous sommes devenus super potes ; j'ai fait un test pour son équipe, G-Drive, à la fin de l'année, ça s'est très bien passé. Très bon feeling avec l'équipe, TDS [Racing], son ingénieur David Leach. Je crois que je suis un des seuls pilotes que Rusinov a gardés pour trois ans. Ça s'est très bien passé, j'ai énormément appris dans cette équipe. C'était un investissement, c'est l'aboutissement d'un plan de plusieurs années. Ce n'était pas facile non plus de se dire "tu sors de la F1, tu n'es pas voulu par Toyota"… Je suis redescendu bien bas, et il fallait être calme pour remonter un peu la pente.

Qu'avez-vous vu chez Peugeot qui vous a convaincu que vous alliez pouvoir jouer la victoire avec eux ?

Certaines personnes qui font partie du programme m'ont l'air vraiment très fortes, et j'en connais pas mal aussi, puisque je suis dans la même usine à Satory, là où sont Peugeot et DS. Au final, je me suis rendu compte que les anciens de programmes Peugeot, il y en a aussi dans notre équipe. Entre DS et Peugeot, c'est plus ou moins le même ADN, c'est un ADN de vainqueur. Tout ce qu'a fait Peugeot, ils l'ont gagné. Tout ce qu'a fait Citroën, ils l'ont gagné. Ils sont arrivés en WTCC, ils ont gagné la première année. Ils sont arrivés en Formule E, nous avons gagné plusieurs titres avec DS. C'est le même ADN, c'est l'ADN du groupe : nous ne sommes pas là pour faire de la figuration, nous sommes là pour gagner. En tant que pilote, c'est ce que l'on veut voir dans une équipe.

Teaser Peugeot Hypercar

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