Portrait

Joan Mir, un nouveau roi discret pour le MotoGP

Pour Motorsport.com, l'entourage de Joan Mir décrit le nouveau Champion du monde MotoGP, d'un point de vue professionnel mais aussi humain. Un jeune homme de 23 ans au parcours fulgurant et à la tête bien faite.

Le champion du monde 2020 : Joan Mir, Team Suzuki MotoGP

Photo de: MotoGP

Pour en savoir plus sur quelqu'un, il n'y a pas de meilleur moyen de s'y prendre que d'interroger ceux qui l'entourent, qu'il s'agisse de ses collègues, de ses collaborateurs, de ses patrons ou même de ses adversaires, afin qu'ils puissent décrire ses qualités et ses défauts. Et dans le cas de Joan Mir, il s'avère qu'il est très difficile de trouver quelqu'un qui ait un mot négatif à dire à son sujet, ce qui est loin d'être acquis dans un environnement aussi compétitif et dur que le MotoGP, où l'on cherche la plupart du temps à déstabiliser comme on peut l'adversaire. "Sympa", "bosseur", le nouveau lauréat de la catégorie reine est décrit comme un type bien, en plus de s'être affirmé comme un redoutable concurrent en piste.

L'arrivée du jeune pilote majorquin en MotoGP pourrait parfaitement définir son caractère. Sans faire de bruit, il a signé un contrat de pilote officiel Suzuki pour la saison 2019, après avoir passé seulement un an en Moto2, où il se trouvait au cœur des turbulences qui ont secoué l'équipe Marc VDS. Avant d'opter pour la marque d'Hamamatsu, il disposait également d'une possibilité de rejoindre Honda, qui avait mis une option sur lui, mais le fait que le HRC ne souhaite pas l'intégrer à son équipe officielle a fait capoter l'accord. Les réserves du constructeur à l'aile dorée contrastaient avec la volonté féroce de Suzuki, qui s'exprimait par l'intermédiaire de Davide Brivio, de convaincre celui qui avait remporté le titre Moto3 en 2017 de rejoindre son programme, lui garantissant qu'il s'agirait de l'environnement idéal pour se former et se développer.

Si même les plus fervents défenseurs de son recrutement chez Suzuki n'osaient rêver qu'il puisse être titré dès sa deuxième saison, Mir a rapidement montré à ses débuts des aptitudes décisives. D'abord, sa vitesse. "Les données ont clairement montré à quel point il était rapide", explique Claudio Rainato, son ingénieur en électronique, à Motorsport.com. Jugé trop agressif en 2019, il a vite tiré les leçons de sa saison d'apprentissage − bien qu'incomplète car marquée par une lourde chute − et a mis à profit la période hivernale pour définir grâce à cette expérience une nouvelle façon d'aborder les courses. "En 2019, avec plus d'efforts, j'allais plus lentement. Aujourd'hui, avec moins d'efforts, je vais plus vite", résume Joan Mir.

Et puis il y a eu sa force de caractère, teintée d'une grande maturité. Le #36 a fait preuve de patience durant cette première saison, il a accepté de jouer les seconds rôles après avoir vu Álex Rins ramener Suzuki à la victoire pour la première fois en trois ans, et il s'est préparé pour 2020, se présentant l'esprit libéré à sa deuxième campagne parmi l'élite.

La nouvelle saison n'a pourtant pas débuté comme prévu : tombé deux fois lors des trois premières courses, il n'était que 14e au championnat en quittant Brno, à 48 points du leader, Fabio Quartararo. Mais le tempérament dont il a fait preuve à ce moment-là est un autre de ses points forts. À aucun moment, Mir n'a perdu son sang-froid, certain que les choses allaient s'arranger. Et ce fut le cas, car à la quatrième manche, il était deuxième, entamant une série irrésistible : sur les dix courses qui se sont écoulées depuis, il est monté sept fois sur le podium et a été le seul à ne jamais manquer les points.

Lorsqu'il cite ce qui le frappe le plus chez son pilote, Davide Brivio évoque "sa tranquillité et sa force mentale" auprès de Motorsport.com. "Nous en avons eu la démonstration en Aragón et à la première course de Valence", pointe-t-il. "Au MotorLand, il est passé en tête du championnat pour la première fois, mais sur la grille il était 12e et il a couru avec pour seule pensée d'atteindre le podium. Et puis, à Valence, il est parti pour gagner sans penser à aucun moment au championnat."

Sa forcé de caractère s'est également exprimée lorsqu'il a dû faire face aux questions récurrentes portant sur son manque de victoire, qu'il a patiemment balayées jusqu'au moment où il a affiché toute sa détermination dans la quête de ce succès qui lui manquait, au meilleur moment mais aussi l'un des plus délicats, alors que le championnat entrait dans son sprint final à Valence. Ce jour-là, il pouvait soit faire un grand pas vers le titre, soit s'en éloigner dangereusement. Cette première des deux courses de Valence résume on ne peut mieux le mélange de talent, de confiance, de détermination et de sang-froid qui définit le nouveau champion. Le tout sans se faire remarquer par des petites phrases polémiques, tenant un discours aussi structuré que crédible et naturel, loin des messages formatés.

Son caractère, il le puise chez ses parents − "Je ressemble à mon père sur certains points et à ma mère sur d'autres, probablement un bon mélange", explique-t-il − et son lieu de naissance, Majorque, une île qui a également vu grandir notamment Jorge Lorenzo et Rafael Nadal, pour ne citer qu'eux. S'il évoque une part de hasard dans ces origines, Joan Mir se dit aussi qu'il s'est peut-être imprégné de la force si atypique de la vie insulaire. "On me demande ce qu'il y a de spécial à Majorque, mais je ne sais pas ! Il est vrai qu'il y a beaucoup d'athlètes, qui connaissent beaucoup de succès, mais je ne sais pas… Peut-être l'air ou la mer… On n'a pas grand-chose de plus alors ça doit venir de l'un des deux ! Je pense ceci dit que les gens à Majorque ont un fort caractère et pour le sport ça doit fonctionner plutôt bien."

C'est à Majorque, et justement auprès du père de Jorge Lorenzo, que Joan Mir a commencé la moto, à 9 ans, l'année même ou Por Fuera, de dix ans son aîné, devenait Champion du monde en 250cc. Deux ans plus tard, Tomás Comas commençait à l'accompagner lorsque le jeune Joan a intégré le centre technologique sportif des Îles Baléares, à Palma. Il s'agit aujourd'hui encore de la personne qui a sans doute le plus d'autorité sur le jeune pilote, en tant que coach sportif mais souvent aussi son confident et celui qui peut lui dire non seulement ce qu'il veut entendre mais aussi ce qui lui plait un peu moins.

"Joan est un garçon très intelligent et compétent. Et ce qui est le plus important, c'est que c'est un gars normal", souligne Tomás Comas à Motorsport.com. "Je pense que cela vient aussi des gens qui l'entourent. Le respect et l'éducation sont essentiels pour obtenir sportivement plus de succès que quiconque. C'est quelqu'un qui ne dit jamais rien juste pour dire quelque chose, et qui n'a pas besoin d'élever la voix pour se faire entendre. Entre nous, il y a des moments où l'on se dispute, bien sûr, et je lui dis ce que je pense de la même manière que lui le fait."

Son préparateur a été aux premières loges pour assister à la très forte progression de celui que l'on surnomme "Johnny", qui a réussi en cinq ans à gravir tous les échelons du Championnat du monde, depuis ses débuts au Grand Prix d'Australie 2015 jusqu'à ce titre MotoGP conquis dimanche.

"Il est aujourd'hui plus calme, à la fois sur le plan personnel et professionnel. Au quotidien, il est installé en Andorre, avec sa compagne, où il mène une vie très tranquille. Et professionnellement, cette saison il a fait un pas en avant", décrit-il. "Quand on arrive dans un nouvel environnement, comme cela a été son cas en 2019, il est normal et il est même bon de se faire conseiller. Mais aujourd'hui, Joan commence à prendre ses propres décisions, alors disons qu'il a fait un pas en avant."

Quant à la fraîcheur avec laquelle le pilote a géré la pression aux moments-clés, elle n'étonne pas son coach, qui connaît sa personnalité. "La gestion de la pression peut un petit peu se travailler, mais il est impossible de reproduire, par exemple, ce qui se passe dans les moments qui précèdent une course et la nervosité ou l'anxiété que cela peut provoquer. Certaines choses sont innées chez lui, comme cette tranquillité. C'est un garçon qui performe beaucoup mieux quand il est sous pression, et ça c'est quelque chose que l'on voit tous les jours."

Joan Mir admettait lui-même ces derniers jours la part d'inné dans la force de caractère qui le distingue et qui doit s'exprimer à des moments où il est seul avec lui-même. "Ce n'est pas quelque chose que l'on peut vous apprendre, c'est quelque chose que l'on a au fond de soi et que l'on doit improviser pour savoir comment gérer chaque moment et chaque situation", décrivait-il après sa première victoire.

Il reconnaissait aussi cependant, après avoir scellé son titre, à quel point il a dû prendre sur lui pour laisser penser que la pression ne l'atteignait pas. "Ce qui était important, c'était que je semblais calme et sans pression, mais ça n'était pas le cas", a-t-il admis, expliquant s'être inspiré de Jorge Lorenzo, l'une de ses idoles d'enfance, forcément. "Tu as toujours été une référence pour moi. Ta façon d'aborder les courses, avec la sérénité que tu affichais, c'est quelque chose que j'ai toujours cherché à répliquer", a-t-il expliqué à son aîné. "Tu apparaissais toujours très fort mentalement, et maintenant que je vis ce moment je pense que c'est ce que tu montrais, pas ce que tu ressentais. Parce que je dis que je n'étais pas nerveux, que je ne ressentais pas la pression, mais en fait j'étais vraiment nerveux et je ressentais une très forte pression. Simplement, je montrais quelque chose de différent."

Au moment d'entrer dans l'Histoire, dimanche, en succédant à Marc Márquez au palmarès du MotoGP et en ramenant le titre à Suzuki 20 ans après le précédent, le jeune homme de 23 ans s'est montré égal à lui-même, tenant des propos très matures sur la crise mondiale avec laquelle il lui aura fallu composer cette année, et affichant en course un sang-froid inébranlable alors qu'il vivait, a-t-il dit, "un cauchemar".

Malgré le fait qu'il a atteint le sommet dans son domaine, il a affiché sa simplicité et même donné une petite leçon à son aîné Jorge Lorenzo lorsque celui-ci lui a demandé si, comme lui, il allait fêter son titre en défilant dans Palma de Majorque, lui rappelant la gravité de la pandémie de COVID-19. "Cette situation fait que les célébrations sont un peu difficiles. J'aimerais le faire à Majorque, bien sûr, mais il faut se montrer responsable car des personnes meurent pour cette raison. La situation est difficile, on ne peut pas le fêter", a-t-il rappelé à son aîné, dévoilant par ailleurs n'avoir "jamais été à 100% calme à la maison" durant cette année pourtant si réussie pour lui.

"Joan est très discret, c'est quelqu'un qui fuit les excentricités que l'on peut voir chez les autres", décrit Paco Sanchez, son agent et conseiller. "Par exemple, quelqu'un sait-il quel type de voiture il possède ? Il a deux bonnes voitures [une Audi RS6 et une Ford Raptor], mais personne ne les voit car il n'est pas du genre à aimer les montrer. Il ne veut pas attirer l'attention, en aucune manière."

"Il gère ses finances comme il court : 60% de ce qu'il gagne est investi dans des propriétés, 20% va à la banque et les 20% restants il en profite", détaille Paco Sanchez, qui lors de la dernière négociation menée avec Suzuki, afin de signer un nouveau contrat qui expirera fin 2022, a parfaitement réussi son travail pour ajouter des bonus de résultats : "Disons qu'avec le titre, Joan devient l'un des quatre pilotes les mieux payés de la grille. Et Suzuki va désormais maintenir [cette somme] à partir de maintenant."

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