Averse en Russie : qui a tiré son épingle du jeu ?

De Lando Norris à Yuki Tsunoda en passant par Lewis Hamilton et Charles Leclerc, voici comment les écuries et pilotes ont (plus ou moins bien) géré l'averse survenue à la fin du Grand Prix de Russie.

Le vainqueur Lewis Hamilton, Mercedes W12, prend le drapeau à damiers

Le vainqueur Lewis Hamilton, Mercedes W12, prend le drapeau à damiers

Glenn Dunbar / Motorsport Images

L'arrivée de la pluie en fin de Grand Prix n'est jamais anodine. Pour le leader de la course, elle est redoutée ; pour ses poursuivants, et surtout ceux qui ne sont pas en position de marquer de gros points, elle est espérée afin de chambouler la hiérarchie.

Forcément, les premiers pilotes à tenter ce pari à Sotchi n'étaient pas les mieux placés au classement, tous aux portes des points : George Russell a demandé des pneus intermédiaires dès le 47e des 53 tours, alors qu'il n'était qu'au virage 5. Une vingtaine de secondes plus tard, on a indiqué à Valtteri Bottas : "Box box, beaucoup de voitures vont rentrer au stand". Peut-être une manière de convaincre le Finlandais, seulement 14e, d'embrasser ce choix stratégique qui allait évidemment permettre de peser le pour et le contre quant à un arrêt de son coéquipier Lewis Hamilton, qui jouait la victoire.

Son compatriote Kimi Räikkönen, comme Russell, a décidé lui-même de rentrer dans ce tour alors que son ingénieur Julien Simon-Chautemps lui demandait de rester en piste. "C'est très humide là, on ne voit pas… Stand, stand ! Box, box, box !",s'est exclamé le Finlandais. "Qu'est-ce que tu veux, des tendres ou des intermédiaires ?", s'est enquis Simon-Chautemps.

Kimi Raikkonen, Alfa Romeo Racing C41

La question n'était pas saugrenue. Räikkönen a logiquement choisi les intermédiaires, mais les pneus tendres peuvent faire des merveilles sur une piste très légèrement humide, d'autant que certaines portions étaient plus sèches que d'autres – mais de là à rattraper le temps perdu au stand ? C'est en tout cas la décision qui a été prise du côté de Yuki Tsunoda, cinquième pilote à passer par la pitlane au début de l'averse, sans le moindre débat entre le pilote et son ingénieur avant de changement de pneus.

"Les intermédiaires sont plus rapides, c'est si glissant !", s'est exclamé le Japonais dans son tour de sortie des stands. "Reste en piste, les intermédiaires sont plus lents", l'a rassuré Mattia Spini. Si c'était peut-être vrai à un instant très momentané, les chiffres ne vont pas dans ce sens. Tsunoda a bouclé ce premier tour en tendres en 2'23 ; Russell, Bottas et Räikkönen, rentrés au stand 45 secondes plus tôt, ont tourné entre 2'07 et 2'13 avec les intermédiaires ; Verstappen, Sainz et Ricciardo, arrivés dans la pitlane 50 secondes après Tsunoda, ont également signé des chronos entre 2'07 et 2'13 par la suite.

Pendant ce temps, Lando Norris et Lewis Hamilton se battaient pour la victoire sans réelle envie de passer par les stands. Pourtant, quelques secondes avant que Russell et Bottas n'y débarquent, Norris a connu une première sortie de piste au virage 7 dans le 48e tour. À ce stade, cependant, son unique préoccupation était qu'il n'y ait pas suffisamment de drapeaux bleus.

En parallèle, Max Verstappen s'inquiétait. "C'est glissant, mais je ne suis pas sûr qu'il faille rentrer au stand", a-t-il fait savoir. "Non, ne rentrons pas." Et du côté de Hamilton, la communication était bien plus exhaustive.

Peter Bonnington (ingénieur de course) : "L'intensité de la pluie augmente. C'est humide à l'autre bout du circuit."
Bonnington : "Nous sommes prêts dans les stands si tu en as besoin."
Hamilton : "C'est très glissant mais il ne pleut pas beaucoup !".
Bonnington : "Valtteri s'est arrêté pour prendre les intermédiaires."
Hamilton : "C'est vraiment glissant !".
Bonnington : "Box box, box box pour les intermédiaires."

Hamilton n'a pas obtempéré et a décidé de faire comme Norris : rester en piste. Au même moment, Verstappen était informé par son ingénieur Gianpiero Lambiase : "Il y a quelques pilotes qui rentrent pour les intermédiaires, Max. Qu'est-ce que tu en penses ? […] C'est piégeux devant toi, quelques pilotes sont sortis de la piste au virage 7 devant toi." Verstappen a lui aussi commis une erreur. "Est-ce que la pluie empire, Max ?", a insisté Lambiase. "Je pense qu'on devrait rentrer, on ne fait que perdre du temps !", a estimé le Néerlandais en guise de réponse. Il a ainsi pris la décision de s'arrêter deux minutes après Russell, le premier à l'avoir fait.

Max Verstappen, Red Bull Racing RB16B

Au début du 49e tour, Norris a été informé que certaines voitures étaient en pneus intermédiaires. Les échanges étaient toutefois peu constructifs. "La piste est très glissante d'ici jusqu'au virage 10, il y a beaucoup de voitures qui sortent", a fait savoir son ingénieur de course William Joseph. "La ferme !", a rétorqué Norris sans ménagement. "Lando, qu'est-ce que tu penses des intermédiaires ?", a demandé Joseph quelques instants plus tard. "Non !", s'est exclamé son pilote. Et lorsque son coéquipier Daniel Ricciardo est rentré au stand, cela n'a pas été mentionné dans la conversation.

À la fin de cette boucle, Peter Bonnington a informé Hamilton : "Verstappen est rentré pour prendre les intermédiaires. Norris pourrait faire de même. Nous avons un écart [permettant de faire un arrêt sans perdre de place]. Box box, box box !"  Hamilton a protesté, affirmant qu'il s'était arrêté de pleuvoir, mais Bonnington n'en démordait pas : "Box box, box box. Davantage de pluie arrive".

Il est vrai que Hamilton et Norris se sont montrés plus rapides au 49e tour qu'au 48e, le pilote McLaren signant un 1'52"785 contre 1'54"639 dans la boucle précédente. Cependant, Bottas a signé quelques secondes plus tôt un 2'07"040, et compte tenu du temps qu'il a passé dans les stands, c'était plus compétitif. Le Finlandais a enchaîné avec un 1'49"681, Russell avec un 1'54"619 en intermédiaires usés. Norris, lui, a ensuite tourné en 1'57"502, quand Hamilton a réalisé un remarquable 2'06"316 dans son tour de sortie des stands, plus rapide que le tour de sortie de Bottas deux boucles plus tôt (2'07"040), alors que la pluie s'intensifiait désormais et que l'arrêt du Finlandais avait été une demi-seconde plus rapide entre l'entrée et la sortie des stands.

Lewis Hamilton, Mercedes W12

"OK Lando, Hamilton l'a fait, il est passé en intermédiaires", a fait savoir William Joseph à Norris au début du 50e des 53 tours. "Oui, je vois, je vois ! Il faut juste rester en piste et s'y tenir", s'est obstiné le pilote anglais. "OK Lando, juste pour confirmer, il faut que tu sois capable de rester sur la piste. Ça te va de continuer avec ces pneus ?", Norris n'a pas répondu et est passé à côté de l'entrée des stands, encore plus en difficulté – il s'est même fait doubler par Antonio Giovinazzi à l'accélération, avant que l'Italien ne le laisse repasser devant.

Du côté de Mercedes, Peter Bonnington tenait Hamilton informé de l'écart avec Norris, qui a très rapidement décru. "Si Norris tente de tenir jusqu'au bout, il va avoir des problèmes, il est en train de se faire dépasser par Mazepin en intermédiaires", a notamment indiqué Bonnington, ajoutant quelques instants plus tard : "Norris va essayer d'aller jusqu'au bout".

Norris a essayé, effectivement. Mais au 51e tour, la pluie s'intensifiant, le pilote McLaren s'est résolu à l'évidence : "C'est complètement mouillé les gars, il faut que je rentre. Je ne peux pas y arriver". Norris est sorti à trois reprises dans cette boucle, notamment au virage 13, malgré une vitesse réduite et une décélération entamée 200 mètres avant le virage. Il est rentré au stand, non sans interrompre son ingénieur de piste quand ce dernier l'informait que la pitlane était glissante, franchissant largement la ligne blanche à l'entrée des stands presque aussitôt. Il a échappé à une pénalité pour cette infraction.

Avec cet arrêt au stand neuf minutes après la décision prise par le pionnier Russell, le mal était fait. Le tour de rentrée au stand de Norris en 3'11 l'a nettement éjecté de la course au podium, et c'est septième qu'il a fini un Grand Prix qu'il était bien parti pour remporter.

Lando Norris, McLaren MCL35M, fait un arrêt

Certes, les intermédiaires risquaient de se dégrader à l'excès sur les portions de piste qui n'étaient pas suffisamment humides, mais il semble néanmoins que les premiers à s'arrêter aient été les plus favorisés, à conditions d'avoir des gommes neuves. Russell n'est passé que de la onzième place avant l'averse à la dixième à l'arrivée, mais les pneus dont il a été équipé avaient déjà fait quatre tours en qualifications. Ceux de Sainz en avaient fait six, ceux de Ricciardo en avaient couvert trois ; le pilote Ferrari s'est maintenu troisième, celui de McLaren a grappillé une place pour finir quatrième.

Les véritables gains sont ceux des pilotes qui se sont arrêtés au 47e ou 48e tour et ont chaussé des pneus neufs : Max Verstappen s'est propulsé de la septième à la deuxième place, Valtteri Bottas de la quatorzième à la cinquième, Kimi Räikkönen de la treizième à la huitième.

Et le plus grand perdant – à l'exception de Lando Norris et peut-être de Sergio Pérez, qui a dégringolé au classement après avoir joué le podium – est clairement Charles Leclerc, le dernier pilote à être passé par les stands. Ferrari avait pourtant vu juste avec son coéquipier Carlos Sainz, qui avait demandé à rentrer à peine une minute après Russell. De surcroît, avant même la décision de ce dernier, Leclerc avait été informé par son ingénieur de course Xavier Marcos Padros : "De la pluie comme ça pour les dix prochaines minutes. Donne-moi ton avis sur les pneus".

Désormais dans le 48e tour, Padros a maintenu son flux d'informations : "La pire section de la piste, c'est les virages 6 et 7. Des voitures y font des tête-à-queue. […] Beaucoup de voitures rentrent chausser les intermédiaires. Il reste cinq tours. Sainz rentre chausser les intermédiaires". Au même moment, Sainz est sorti de la piste au virage 13 sous les yeux de Leclerc, qui l'a dépassé avant que ce dernier ne rentre au stand. Le Monégasque est resté en piste sans répondre. "Les intermédiaires semblent être plus rapides", a ajouté Padros. De vraies hésitations sont survenues dès la ligne droite des stands, dans le 49e tour.

Leclerc : "Il faut qu'on s'arrête dans ce tour. Si la pluie continue…"
Padros : "Oui, la pluie va continuer comme ça."
Leclerc : "Restons en piste, restons en piste, restons en piste."
Padros : "Bien reçu […] OK pour rester en piste si tu arrives à rester dessus."

Charles Leclerc, Ferrari SF21

À ce stade, il commençait à être clair que Sainz était plus rapide après être passé par les stands, malgré ses pneus intermédiaires usés. Leclerc avait toutefois une belle carotte devant lui, puisqu'il rattrapait Sergio Pérez, mais il s'est alors mis à pleuvoir plus fort. "Nous nous attendons à ce que l'intensité augmente, alors rentre dans ce tour, box", a demandé Padros. "Bien reçu. Est-ce qu'on a tout perdu ?", s'est enquis Leclerc, alors que Pérez sortait de piste au virage 13. "Non. Si tu penses pouvoir garder la voiture en piste, le mieux est de rester en piste. Sinon, rentre", a répondu Padros, qui a ajouté, au moment où Leclerc passait à côté de l'entrée des stands : "Rentre maintenant, box !" C'était trop tard, et Verstappen a fait l'extérieur à la Ferrari dans l'avant-dernier virage.

Un tour de calvaire a commencé pour Leclerc, sorti de piste à trois reprises, notamment au virage 5, où il s'est immobilisé face au mur. Entre frustration et jurons, Leclerc a tourné en 3'19"316, mais nul doute que cela lui a paru encore plus long que ça, à tel point qu'il se demandait s'il était dernier. Il ne l'était pas, mais il a perdu tellement de temps qu'il s'est fait prendre un tour et est ainsi rentré au stand, dix minutes après la décision initiale de Russell… pour une ultime boucle en intermédiaires.

La météo n'est pas une science exacte ; on ne peut reprocher à 18 pilotes de ne pas avoir eu le même flair que Russell et Räikkönen, les premiers à avoir décidé de rentrer au stand, car l'intensité de l'averse à venir était imprévisible. Cependant, la persévérance de Leclerc et l'entêtement de Norris, associés à l'indécision cruciale de Ferrari et de McLaren, leur ont coûté très cher.

Lando Norris, McLaren, déçu après la course

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